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28 Dec 2018

Apprendre et enseigner : du simple au complexe, et vice versa

Regard d’acteur sur un texte de Marcel Crahay.

« Apprendre et enseigner : du simple au complexe, et vice versa »

 

Publié dans « Enseigner » sous la direction de Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle, PUF, mars 2007, et dans Patchwork pour l'école de JJ Latouille, L'Harmattan, 2017.

 

En tant qu’expert en pédagogie, que vous évoque le texte de Marcel Crahay ?

Jean‑Jacques Latouille : C’est d’abord la conclusion de l’article de Marcel Crahay qui m’interpelle à travers la proximité de l’emploi de la locution « sans doute » et du conditionnel. Ainsi, la manière de mobiliser les connaissances chez l’enfant et la façon dont cela aurait de l’effet peuvent apparaître comme situées dans une zone d’incertitude bornée par un possible incontestable et par une hypothèse vraisemblable. On voit là s’ouvrir le champ aventuro‑rationnel de la recherche scientifique. Toutefois, convenons que ce n’est que parce qu’il y a de l’inconnu et de l’incertain dans l’explication du connu que la recherche peut se justifier et qu’elle trouve une légitimité sociale. Mais que devient le praticien dans sa classe face à cette béance ? Comment le professeur peut‑il construire des séquences pédagogiques s’il est dépourvu de certitude à propos du bien-fondé de ce qu’il va mettre en œuvre ?

 

Vous soulignez en fait là toute la distance qui existe entre la recherche scientifique et la pratique de la classe. Comment résoudre, selon vous, ce problème ?

 

JJL : En nous éclairant sur l’évolution des conceptions scientifiques autour de la mise en dialectique et du déplacement l’un vers l’autre de « enseigner » et de « apprendre », fortement indissociable de la connaissance du fonctionnement des structures mentales de l’enfant, le texte de Marcel Crahay met en évidence que nous pourrions attendre du professeur qu’il fût un savant omniscient. En somme, que doit savoir et connaître le professeur pour être efficace auprès des élèves ? La question est trop vaste pour y répondre ici ; je me limiterai à citer Goéry Delacôte : « Ignorer l’architecture et la dynamique cognitives de ceux qui apprennent, revient à faire de la médecine sans tenir compte des connaissances de la biologie moléculaire et cellulaire. ». Mais pour nécessaire que ce soit, tout savoir des neurosciences, des sciences cognitives, de la psychologie voire de la sociologie ne suffit pas pour être efficace en classe.

 

Là encore, M. Crahay nous met sur la voie de la réponse lorsqu’il rappelle comment les recherches ont mis en évidence que les élèves faibles ne fonctionnent pas de la même façon que les forts ; il semblerait que les uns et les autres s’alignent et se font face sur une ligne, un peu comme au jeu du tire à la corde. Implicitement, il montre que dans la pratique du maître, la méthode ne peut pas être unique lorsqu’il s’agit de s’adresser à l’ensemble du groupe‑classe. Une méthode, dans son unicité, n’est efficace que lorsqu’elle rencontre un enfant et chacune de ses particularités. Rousseau écrivait qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode mais de bon ou de mauvais maître, et Freinet racontait que lorsqu’un élève avait échoué, il se demandait ce qui dans sa méthode ne convenait pas à l’élève.

 

L’approche en spirale, que propose Marcel Crahay, vous paraît‑elle possible A utiliser dans la pratique de l’enseignement ?

 

JJL : L’approche en spirale pousse vers une conception du maître explorateur plus que du maître savant. Voilà que notre maître est dans un univers de complexité ; il a en face de lui des êtres complexes qu’il confronte à des situations complexes. Une complexité qui se retrouve dans la conduite de l’articulation des quatre moments didactiques. En ethnologue plus qu’en aventurier, c’est en explorant cet univers comme il le ferait d’une jungle, qu’il observe l’enfant pour le guider. Le maître devra trouver, pas à pas, pour chacun des enfants, la méthode, l’exercice, l’étincelle qui leur permettront de rentrer et de progresser dans « l’apprendre ». Iront‑ils, le maître et l’élève, du simple au complexe ou du complexe au simple ? L’observation que le maître fera de l’enfant et de la façon dont il est élève, jointe à une bonne connaissance des « sciences de l’apprentissage et de l’enfant », permettra d’éviter une pédagogie qui ne s’adresserait qu’à un élève idéal‑typique.