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31 Dec 2018

Gilets Jaunes : le temps de la contre‑manifestation.

Après plus d’un mois de manifestations des Gilets Jaunes qui contestent la politique du président de la République et, au-delà, la gouvernance du pays, voilà comme en mai 1968 les réactionnaires, ceux qui n’aiment pas le Peuple, vont descendre dans la rue pour défendre le « Boss ». L’analogie s’arrête là.

Le contexte et la structuration socioculturelle des deux mouvements sont dissemblables même si des similitudes peuvent être trouvées. Aujourd’hui, point d’étudiants dans le mouvement, pas de syndicats puisque disparus depuis longtemps du paysage social, et surtout les revendications de Gilets Jaunes vont bien au-delà de celles des étudiants, des « jeunes » et des ouvriers de 1968. D’autre part une étude plus approfondie des deux populations de manifestants montrerait sans doute une plus grande hétérogénéité en 2018 qu’en 1968. Cette hétérogénéité empreint aussi la population des « soutiens » aux mouvements. Peut‑être pourrait-on aussi avancer qu’en 1968 la séparation entre groupes d'opposants et groupes de « soutiens » se faisait sur une base politique classique droite‑gauche autour de la figure du général de Gaulle, aujourd’hui il s’agit moins d’une opposition organisée sur une base politique ou idéologique qu’un clivage c’est-à-dire une séparation par plans ou par niveaux avec des zones de recouvrement. Retenons qu’aujourd’hui le mouvement des Gilets Jaunes est soutenu par plus de 70% de la population au sein desquels des niveaux d’adhésion peuvent être discriminés sans doute corvéables à l'appartenance socio-économique des personnes. Les 30% d’opposition aux Gilets Jaunes correspondent à l’électorat, à peine augmenté, qui avait voté en faveur d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de mai 2017 ; ce groupe d’opposition est sans doute lui aussi clivé mais grosso-modo il est constitué par les Français les mieux nantis et vivant plutôt dans les villes. On ne voit pas dans les sondages et les études apparaître un véritable clivage politique mais plutôt une ligne de partage entre les « riches » et les « pauvres », entre ceux qui peuvent aller au ski et ceux qui galèrent pour finir les fins de mois, ceux pour qui acheter une voiture électrique n’est pas impossible et ceux qui peinent à remplacer leur vieille guimbarde…

Au-delà de la configuration des camps, l’analogie entre les deux mouvements est largement battue en brèche par la nature même des actions des manifestants : les blocages de rond-point ne sont pas des occupations d'usines, et aujourd’hui il n’y a pas de grève générale comme en 1968. Quoi qu’en disent certains le pays n’est pas bloqué et son économie n’est pas mise à mal comme elle le fut en 1968.

Il n’y a donc pas de véritable analogie entre Mai 68 et Novembre 2018 (on évitera de limiter l’écriture à « novembre 18 ») sauf en ce qui concerne l'existence d’un groupe d’irréductibles soutiens au Pouvoir en place, bien qu’ils soient moins nombreux que ceux du Général de Gaulle ils se constituent en mouvement : « les Foulards Rouges » et « Stop, maintenant ça suffit » ? Ces mouvements de soutiens au président de la République appellent à manifester le 27 janvier 2018 ; Emmanuel Macron amènera-t-il 1 million de personnes sur les Champs Elysées pour le soutenir et plébisciter sa politique ?

Comme tout en ce monde, nouveau comme ancien, conserve un caractère d’imprévisibilité je me garderai de toute prévision. Toutefois, l’électorat macronien ne dépassant pas les 21% du premier tour de l’élection présidentielle de mai 2017, certains disent 25%, je ne vois pas de raison à ce que la manifestation des « Foulards rouges » et du collectif « Stop, maintenant ça suffit » puisse rassembler une foule exceptionnelle. En outre du nombre toujours aussi restreint de personnes qui le soutiennent, la cote de popularité d’Emmanuel Macron s'effondre : « En décembre 2018, la popularité du président de la République, calculée à partir des enquêtes publiées par sept instituts de sondage (BVA, Ifop, Elabe, Harris Interactive, Ipsos, Kantar Sofres et Odoxa), n’atteint plus que 23,5 %. Soit une nouvelle baisse ‑cette fois de 4,2 points‑ par rapport à la moyenne des études publiées en novembre. L’an dernier, à la même époque, cette moyenne s’élevait à 47,3 %. » (Ouest France, 21/12/2018) ; ce ne sont donc pas d’éventuels sympathisants qui viendront renforcer les rangs des collectifs de soutien même si ceux-ci se déclarent apolitiques. D’autre part, aussi jupitérien qu’il veuille être, Emmanuel Macron est très loin d’avoir la stature politique du Général de Gaulle y compris à l’international, comme l’illustre l’analyse des résultats des élections présidentielles. Toutefois, une illustration n'est ni une vérité ni même une preuve suffisante donc l’analogie entre les élections présidentielles doit être manipulée avec circonspection. En 1965 l’élection présidentielle est la première de la Ve République à se dérouler au suffrage universel direct. Charles de Gaulle fut réélu avec 55,20 % des voix au second tour. On nous rétorquera qu’Emmanuel Macron a fait mieux : 66,60% au deuxième tour. Mais, la circonspection voulue plus haut oblige à analyser d’autres chiffres qui rendent bien mieux compte des situations électorales de 1965 et de 2017. L’élection du Général avait amené dans les bureaux de vote 84,32% des inscrits soit une abstention limitée à 15,58%, en mai 2017 l’abstention a atteint 25,40% ; en 1965 le nombre de bulletins nuls et blancs étaient au nombre de 2,74%, il fut de 11,47% en 2017. Il est donc hasardeux, si ce n’est présomptueux, que de revendiquer en 2017 d’avoir été élu « par les Français ». Les chiffres bruts des votants sont plus explicites puisque Monsieur Macron a reçu le suffrage de 20,8 millions d’électeurs, alors que ceux qui n’ont pas voté en sa faveur sont aux nombres de 26,77 millions (10,6 millions ont voté Marine Le Pen, 12,1 millions se sont abstenus et 4,07 millions ont déposé un bulletin blanc ou nul) ; ainsi Emmanuel Macron n’a été porté au pouvoir que par moins de la moitié des électeurs qui sont allés dans un bureau de vote et, en outre, les sondages ont montré que 47% de ceux qui ont voté pour lui l’ont fait pas défaut notamment pour faire barrage à Marine Le Pen. Alors, si la légitimité de l'actuel président de la République ne peut pas être remise en cause du fait du fonctionnement de nos institutions, elle se limite à la « légitimité légale », la « légitimité charismatique » est amplement absente. Emmanuel Macron n’est qu’un personnage sorti d’un quasi néant du théâtre politique qui a surgit au moment où un tsunami dû à la rencontre de deux plaques tectoniques : celle de la nullité du précédent gouvernement et celle de l’affaire Fillon, créait un vide dont une faible partie des Français ont cru qu’il pourrait le remplir, l’autre partie (minoritaire en suffrages mais majoritaire en nombre absolu) s’est contenté de laisser faire : quand on ne sait pas quoi faire on laisse faire les autres, pour autant on n’entend pas être méprisé. Cette élection n’est basée que sur une accumulation de leurres sans qu’on se soit aperçu qu’avec du vent et du creux on n’a jamais rempli un désert.

L’Histoire ne se reproduit pas et nous ne pourrons pas écrire après le mouvement des Gilets Jaunes ce que la Fondation Charles de Gaulle[1] conte de la fin de « Mai 68 » : « Le 30 mai 1968, après un mois de grèves, d’occupations des usines et des universités, de manifestations et d’affrontements que le pouvoir en place ne parvient pas à maîtriser, malgré les accords de Grenelle du 27 mai, la situation bascule en faveur du général de Gaulle.

Après avoir réuni le Conseil des ministres, le général de Gaulle prononce une allocution à la radio dans l’après-midi du 30 mai : « Etant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions ».

Renonçant au référendum qu’il avait proposé le 24, il annonce son maintien à la tête de l’État, la dissolution de l’Assemblée nationale – à la demande insistante du Premier ministre Georges Pompidou – et donc de nouvelles élections à tenir « dans les délais prévus par la Constitution ».

Peu après son allocution, une foule immense se rassemble et défile sur les Champs-Elysées pour lui apporter son soutien. » Cinquante ans après, le 10 décembre 2018, le président de la République n’a rien dit si ce n’est décliner quelques promesses technocratiques dont la plupart sont jugées insuffisantes et dont beaucoup accroîtront les inégalités entre les Français. Alors que le discours de Charles de Gaulle était politique celui d’Emmanuel Macron ne fut que gestionnaire, voire au niveau d’une comptabilité de caisse, de Gaulle parlait à des personnes et leur parlait de la France, Macron ne s’adresse qu’à des « porte-monnaie » et ne leur parle que d’une économie désincarnée !

[1] http://www.charles-de-gaulle.org/espace-pedagogie/dossiers-thematiques/de-crise-de-mai-1968/manifestation-soutien-de-gaulle-30-mai-1968/