Blog

29 Sep 2019

Deux morts opposées l’une à l’autre : Jacques Chirac / une directrice d’école

J’ai signé une drôle de pétition.

 

Ici, on prendra le mot drôle dans cette acception où il évoque la bizarrerie d’une chose. La pétition que j’évoque n’a rien d’amusant, en elle-même elle n’est pas bizarre ; ce qui l’est c’est la contradiction dans laquelle elle mettra la plupart des signataires et peut-être aussi des non-signataires. Sans doute ce recours à la bizarrerie permet de poser un voile de pudeur sur de l’incohérence ou une pensée paradoxale.

 

J’ai rencontré cette pétition grâce au blog de « patchanka » sur Médiapart dont le billet s’intitule « On ne commémore pas la mémoire d’un délinquant dans les écoles » qui reprend le titre de la pétition https://www.change.org/p/blanquer-on-ne-commémore-pas-la-mémoire-d-un-délinquant-public-chirac?recruiter=339753163&utm_source=share_petition&utm_medium=copylink&utm_campaign=share_petition&use_react=false.

 

Dans ces textes l’hommage à Jacques Chirac est mis en opposition avec le décès, par suicide, d’une directrice d’école à Pantin. Est-ce raisonnable ? Est-ce inévitable ? Est-ce exagéré ?

 

Je ne sais pas répondre. Si j’ai signé malgré une réticence forte, c’est parce que je connais bien le malaise des enseignants qui comme les policiers, comme les infirmières, comme les agriculteurs se suicident « en masse » tant ils sont déboussolés et fatigués par leurs conditions de travail et l’absence de reconnaissance sociale suffisante. Dans le cas des enseignants, peut‑être aussi pour d’autres, il faut ajouter une absence totale de prise en compte de leurs problèmes, professionnels et personnels, par une hiérarchie obnubilée, elle-même, par sa sauvegarde dans un système de plus en plus déshumanisé, de plus en plus technocratisé, de plus en plus financiarisé.

 

Au moment où j’allais apposer ma signature je trouvai la charge contre Jacques Chirac exagérée dans ce moment où la mort devrait nous éloigner provisoirement des querelles. Mais, faut-il oublier ? Non, il ne faut pas oublier, ni le bien ni le mal, et il faut le dire. Est-ce le moment opportun ? Là aussi je ne sais pas répondre. Pour, ma part je ne vouais aucune admiration au Président Chirac tout en lui reconnaissant des erreurs mais aussi des actes de courage. Étant en situation de handicap, je lui reconnais les lois relatives au handicap… Mais ça ne suffit pas à faire oublier Malik Oussekine, et le discours du Vel d’Hiv ne peut pas gommer le massacre de la grotte d’Ouvéa. Seulement la politique et la direction des affaires publiques ne sont pas chose simple et l’histoire qu’on en fait ne peut pas se réduire à quelques faits. L’article de Edwy Plenel le montre avec la justesse d’analyse propre à l’auteur (Si faible et si fragile démocratie française, 28 septembre 2019 par Edwy Plenel) : « Devoir patriotique, le chagrin semble devenu obligatoire. Les rares voix qui, à l’instar de Mediapart (lire la nécrologie de Jacques Chirac par notre rédaction), rappellent que la vie publique de l’ancien président ne saurait se réduire à la figure bonhomme des dernières années, au « non » bienvenu opposé à l’aventure américaine en Irak et au choc des civilisations, au nécessaire « discours du Vel d’Hiv » sur la participation de l’État français au génocide des juifs, à l’appel solennel d’urgence écologique face à une planète qui brûle, ces voix dissidentes sont étouffées, inaudibles ou vilipendées.

Elles ne font pourtant que rappeler des faits d’histoire face à un décès qui, s’agissant d’un homme public, n’est pas une affaire de famille, où les secrets dérangeants devraient être éclipsés ou oubliés, mais le moment, au contraire, où une nation devrait avoir la force de se regarder en face. »

 

C’est sans doute cette phrase « où une nation devrait avoir la force de se regarder en face », lu après que j’ai signé, qui me conforte dans le choix que j’ai fait : rendre hommage pour le travail accompli sans oublier les erreurs, les fautes et, surtout, ne pas utiliser l’hommage à quelqu’un pour masquer les fautes présentes des autres. Il fallait signer cette pétition pour rappeler à la hiérarchie de l’Éducation nationale le poids et les conséquences de ses fautes de gestion des ressources humaines.