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24 Mar 2020

CoViD-19 : une épidémie entre orgueil et bêtise

Comme l’a dit récemment sur une chaîne de télévision la porte-parole de EELV « l’heure n’est pas aux règlements de comptes », d’autant moins qu’il est certain que les deux gouvernements précédents n’auraient pas mieux fait, d’ailleurs ne sont-ils pas largement responsables de l’état de décrépitude dans lequel se trouve le système de santé français. Toutefois l’heure est à l’analyse des « paroles » et des comportements, ceux du gouvernement, ceux des médecins, ceux des journalistes ainsi que ceux des citoyens.

 

Jeudi 19 mars, Elisabeth Lemoine et Patrick Cohen (de C à vous sur France 5) recevaient Michel Cymes, le médecin le plus médiatisé, qui revint sur son mea culpa de lundi 16 mars qui déclarait :  « J’ai juste dit que je regrettais peut-être une chose, c’est de ne pas avoir alarmé suffisamment et inquiété suffisamment les Français, puisque le fait de dire la vérité scientifique du moment - et chaque spécialiste/expert qui vient sur votre plateau vous donne la vérité scientifique au moment où on la dit. […] Il y a quinze jours ou trois semaines, quand je m’exprimais, je le faisais avec la vérité scientifique du moment. J’étais pas dans l’intuition, j’étais dans la vérité scientifique. Et effectivement, à l’époque, personne, aucun scientifique, ne pensait que ça allait prendre cette ampleur. Donc, je rassurais les gens en disant : « Oui, c’est compliqué, oui, on ne sait pas ce qui va se passer, mais quand on attrape le coronavirus, a priori, on attrape une grippe un peu cognée. Voilà c’est tout ». Et je me dis que finalement, je rassurais beaucoup les gens. Qu’est-ce que ça a eu comme conséquence, le fait de rassurer ? Et bien que personne n’est resté chez soi. »

 

Pauvre docteur Cymes, plein de science mais pas de celle de la communication ni de la gouvernance qui inclus l’anticipation. Lorsqu’on rassure les gens en leur racontant que la maladie n’est pas grave, que 98 % des malades guérissent, il ne faut pas s’étonner que les gens réagissent et agissent en conséquence. Ils se disent que si ce n’est pas grave il n’y a aucune précaution à prendre. Pour moi, pendant une période assez courte j’étais dans cette tendance, mais d’une part je suis un grand sceptique et d’autre part je lis beaucoup la presse et la littérature médicale ce qui m’a permis de m’interroger sur le décalage entre la situation en Chine, les alertes de l’OMS et ce que j’appellerai la sérénité du monde médical français du moins celui médiatisé.

 

De quelle vérité scientifique parle Michel Cymes quand on voit que la Fondation Bill Gates a donné 100 millions de dollars à l’OMS pour lutter contre le CoViD-19 : « SEATTLE, February 5, 2020 – The Bill & Melinda Gates Foundation today announced that it will immediately commit up to $100 million for the global response to the 2019 novel coronavirus (2019-nCoV). » (site de l’OMS) C’était le 5 février et déjà depuis janvier la situation en Chine alertait sur la dangerosité de la maladie : « Si la Chine a tardé à reconnaître la dangerosité de l’épidémie, n’hésitant pas à arrêter des médecins qui tentaient de donner l’alerte fin décembre 2019, ses premières mesures ont été radicales. Le 20 janvier, le président chinois, Xi Jinping, déclarait que la situation était « grave », et l’épidémiologiste de renom Zhong Nanshan expliquait à la télévision nationale que le virus était bien contagieux entre humains. » (Le Monde) Si les Chinois mentent sur les chiffres, ils ne prennent de telles mesures pour faire de l’image médiatique !

 

Alors, qu’on ne sache pas tout de la nature du virus, de son mode de transmission et de sa dangerosité est compréhensible à la lumière des difficultés à embrasser ce que sont les virus. Pourtant la lecture d’un petit livre simple écrit par des chercheurs (Les virus – ennemis ou alliés, éditions Quae) qui, en même temps que le livre montre l’immensité du monde des virus, fait éclater en pleine lumière leur dangerosité potentielle et les aléas de raisonnement auxquels ils confrontent les chercheurs et les médecins. La vérité scientifique, en présence d’un nouveau virus, c’est de dire qu’on ne connaît pas grand-chose de son identité, de sa capacité de mutation, de la façon dont il rejoint et attaque les cellules hôtes et peut-être même qu’on ne sait pas vraiment qu’elles sont ces cellules, partant on ne minimise pas la dangerosité, on prévient (dans toutes les acceptions du terme).

 

Les médecins, dans ce moment d’ignorance, nous disaient : « vous ne savez pas nager, mais allez‑y, quand l’eau vous chatouillera les narines vous ferez demi‑tour. » Nous sommes partis nous amuser dans la rivière, nous pensions qu’en sachant nager ou avec une bouée (le paracétamol) quoiqu’il arrive nous nous en sortirions sains‑et‑sauf ; sauf qu’il y avait un trou et du remous ignorés par notre conseilleur ! La sagesse eût été de dire « j’ignore s’il y a un trou et du remous, alors ne t’aventure pas ».

 

L’excès d’optimisme ou de confiance n’est-il pas un signe d’orgueil ?

 

Oui, l’attitude des « sachants » début mars comme déjà en février relevait plus de l’orgueil que de la pure ignorance ou de la bêtise ; il s’agissait de cacher son ignorance et de faire montre d’un optimisme débordant qui devait montrer que nous, en France, on saurait mieux faire que les Chinois. Or, comme écrivait Sophocle dans son Antigone : « La sagesse est de beaucoup la première des conditions du bonheur. […] Les orgueilleux voient leurs grands mots payés de grands coups du sort, et ce n’est qu’avec les années qu’ils apprennent à être sages. » Nous sommes en train de vivre un grand coup du sort et il n’est absolument pas certain que la sagesse vienne aux « sachants » ni aux politiciens. Déjà Molière dans le « Médecin malgré lui » avait cette réplique merveilleuse : « Les bévues ne sont point pour nous, et c’est toujours la faute de celui qui meurt. » Cette réplique est en exergue du livre d’Alexandre Minkowski (Le mandarin aux pieds nus, 1975) où j’espérais trouver de l’aide pour étayer ma thèse présente, mais je ne l’ai pas relu et je me suis arrêté sur le titre d’un chapitre : « Où le mandarin rappelle qu’il vaut mieux prévenir que guérir » !

 

Pendant les quinze années durant lesquelles j’ai été cadre dans un organisme de secours en étroite collaboration avec la Protection Civile (aujourd’hui la Sécurité Civile) j’ai été confronté à cette incapacité des uns et des autres à prévenir, mais nous étions remarquablement performants en matière d’intervention post-incident et en gestion de crise, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui semble-t-il, mais l’anticipation était encore à l’ordre du jour ; nous n’étions que trente après la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide était là. La coordination des secours était réelle et efficace, les querelles d’ego attendaient le débriefing pour éclater. Aujourd’hui on se demande qui pilote l’avion. Comment se fait-il que dans une situation épidémique, désormais avérée, toutes les forces, civiles et militaires, ne soient pas entièrement mobilisées et sous les ordres d’un seul commandement ? Il aura fallu attendre le 16 mars pour que le président de la République fasse appel au service de santé de l’armée dont on s’aperçoit qu’il est bien démuni, en d’autre occasion ‑mais les dirigeants du pays avaient un autre envergure‑ il fallut moins de temps pour faire intervenir les véhicules de l’armée pour pallier l’absence de transports en commun ou prendre en charge le ramassage des ordures suite à une grève massive.

 

Après l’orgueil, en France nous sommes meilleurs, voilà que vient la bêtise, autre élément d’un couple infernal qui refuse de voir la réalité, qui s’enferme dans ses « doctrines » et son dogmatisme, et qui méprise l’Autre, mais qui, de nos jours, communique.

Les gouvernants ne gouvernent plus, ils gèrent et ils communiquent. Macron et ses ministres dans un vaste mouvement de « business is first » se préoccupent prioritairement de l’économie et si peu de la santé, les gens, les personnes ne les intéressent pas. Certes les mesures économiques sont importantes pour limiter une trop grande chute après l’épidémie mais présentement elles se font, trop nombreuses, au détriment des plus humbles à qui on enjoint d’aller au travail sans se soucier de leur santé ni de leurs conditions de travail. La porte‑parole du gouvernement, n’a-t-elle pas déclaré que le travail est meilleur pour la santé que le masque ? Le gouvernement soumis aux financiers n’hésite pas à rogner sur les droits des salariés, comme le montre, par exemple, le projet de loi relatif à l’État d’urgence sanitaire, voté à l’unanimité par les sénateurs notamment de droite trop contents de faire la peau au droit du travail ; ce projet contient dans son article 7 cet alinéa qui par ordonnance du gouvernement permettra aux chefs d’entreprise : « de modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du Code du travail, les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique. » Ainsi, les « héros du quotidien » comme dit Macron sont taillables et corvéables à souhait et sans compensation ; l’ineffable Bruno Le Maire craignant une levée de bouclier social a invité « toutes les fédérations et les grandes entreprises à verser cette prime de 1.000 euros défiscalisée. Nous devons faire mieux pour toutes ces personnes dont nous avons impérativement besoin », bien sûr il est soutenu par le Medef qui soulignait, dans Les Échos, l’importance de récompenser "les héros du quotidien".

 

Qui sont ces héros du quotidien ? Ceux qui sont en télétravail au chaud chez eux bien que très ennuyés par les enfants qu’il faut occuper et auxquels il faut « faire classe » ? Ceux-là sont majoritairement des cadres, des informaticiens, des membres de professions intellectuelles, et plus rarement des employés de bureau ou des commerciaux… en tout cas ils ne sont pas des salariés soumis aux métiers les plus pénibles qui subissent le bruit intense, portent de lourdes charges, peinent sous les intempéries… Ces métiers-là sont dévolus aux humbles, ceux qui n’ont pas bien travaillé à l’école comme l’a dit une députée LREM dans une émission de télé consacrée à la réforme des retraites. Ces travailleurs sont les grands oubliés des « applaudissements de 20 heures » : caissières, livreurs, coursiers, ouvriers du bâtiment, chauffeurs de bus et de taxi, ouvriers des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d’énergie… facteurs et manutentionnaires, non seulement ils sont d’autant plus oubliés que ceux qui applaudissent sont ceux qui utilisent leur service. Si on peut comprendre que certaines activités industrielles doivent continuer parce qu’elles sont indispensables au maintien d’un bon état sanitaire et aux besoins premiers (alimentaires et d’hygiène) des personnes, on comprend mal en quoi fabriquer des soutiens-gorges ou des voitures qui iront gonfler des stocks dormants présente un intérêt majeur pour le pays en ce moment.

 

Là on atteint le point de la bêtise de certains citoyens. Christophe Castaner a eu raison de qualifier d’imbéciles ceux qui ne respectent pas les consignes liées au confinement mais il pourrait faire de même à l’endroit de certains « savants » comme le sociologue Jean Viard qui déclarait, face à l’inquiétude d’un coursier, que les entreprises doivent mettre en œuvre les consignes mais qu’il n’est pas possible d’arrêter l’activité du pays, alors les coursiers doivent travailler coûte que coûte. On ne pouvait pas s’attendre à un autre discours de la part d’un « macronien » ; extrait du journal la Provence : « Jean-Philippe Agresti se lance à son tour dans la course aux municipales. Le doyen de la faculté de droit d’Aix, né à Marseille il y a 45 ans, annoncera ce soir sa candidature à ses soutiens, parmi lesquels la députée LREM Claire Pitollat et le sociologue Jean Viard. », Jean Viard fut le candidat, battu, investit par LREM dans la 5e circonscription de Vaucluse en 2017. Si Jean Viard est un affidé de Macron et que son discours relève de la bêtise la plus profonde et du mépris à l’égard des humbles (j’en resterai là sur la façon de qualifier ce personnage), c’est aussi le comportement des gens, de ceux qui restent chez eux, qui est en cause et qui met à mal la santé des « héros du quotidien ». Castaner aurait aussi pu adresser son compliment à la « conne », vue dans un reportage, qui laissait éclater sa joie de pouvoir encore recevoir des vêtements commandés « en ligne » ; « ça fait du bien » disait-elle dans un vaste élan altruiste car à n’en pas douter elle participe à la séance d’applaudissement de 20h.

 

La séance d’applaudissement de 20h sera à analyser, plus tard comme le fut l’amalgame de janvier 2015, pour ce qu’elle est : une séance de conjuration des peurs, et pour ce qu’elle n’est pas : une prise de conscience de la situation épidémique et de sa dangerosité. Si cette prise de conscience était là les gens seraient capables de surseoir à leurs envies de consommation ; qui a un besoin si pressant de vêtements et de chaussures neuves, qui n’est pas capable de se préparer à manger et ne peut se passer des pizzas et autres repas livrés ? Outre l’absence de prise de conscience de la situation, ce comportement manifeste le mépris dans lequel ces gens tiennent les humbles qui les servent, car il s’agit bien d’un service qui vire à une forme d’esclavage : demain on entendra à propos de la mort d’un coursier, « ce n’était qu’un coursier » et pourvu qu’il ne soit pas d’origine africaine sinon quels seront les mots…

 

À qui profite le crime ? Comme d’habitude, et l’épidémie exacerbe le phénomène et n’y changera rien, à l’élite : un premier groupe avec les financiers, les soiffards du fric comme Amazon, les riches comme certains chefs d’entreprise et les politiciens trop heureux de trouver une occasion de rejeter la faute de leurs insuffisances sur ceux qui vont mourir, et un deuxième groupe avec les bobos installés dans un confort de discours intellectuo-politiques alimentés par les éditocrates qui ont le cul plus usé par un usage effréné de leur chaise que ne le sont leurs yeux par l’observation de la vie sociale « profonde », et les « insuffisants mentaux » intoxiqués à la consommation comme le cas cité plus haut .

 

Ainsi, nous vivons coincés entre l’orgueil et l’avidité du premier groupe et la bêtise et la béatitude du second. Les sachants dont je parlais plus haut choisiront en conscience leur camp : celui de l’élite ou celui des humbles, des « héros du quotidien » ; « La première qualité d'un héros, c'est d'être mort et enterré. » écrivait Marcel Pagnol, et un mort ne réclame rien à personne même pas à son assassin.