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03 May 2020

CoVid-19/4 réouverture de l’école, la grande embrouille

Pauvre École, pauvres enseignants, pauvres parents, pauvres élèves : à quel Saint laïque se vouer ?

 

Au mois de mars, au début de « la crise », un jour le Ministre de l’Éducation nationale annonçait que les écoles resteraient ouvertes, le lendemain, jeudi 12 mars, le président de la République les fermait « jusqu’à nouvel ordre ». Le vendredi le Ministre de l’Éducation nationale déclarait à propos de la durée de fermeture : « On parle forcément de semaines, qui peuvent durer des mois bien sûr », a-t-il indiqué.

 

Promesse tenue, les écoles sont restées fermées jusqu’à la fin des congés scolaires de la dernière zone, et même au-delà puisqu’elles ne rouvriront qu’une semaine après : le 11 mai. Le 21 avril lors de son audition devant la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale, le Ministre, Jean-Michel Blanquer, déclarait que la rentrée des élèves « commencera durant la semaine du 11 mai par le premier degré en grande section de maternelle, CP et CM2. Elle s’effectuera par groupe de 15 élèves maximum à partir du 12 mai. Une semaine plus tard, le 18 mai s’effectuera la rentrée des collégiens et lycéens, 6es et 3es et première et terminales et les classes du professionnel industriel, toujours avec la limite de 15 élèves maximum par classe. Puis le 25 mai tous les autres élèves rentreront avec la même limite. » L’après-midi du même jour, à l’Assemblée nationale, au cours de la séance de questions au gouvernement, le même ministre répondait que le matin il n’avait qu’évoqué des hypothèses à propos desquelles il annonce : « Par ailleurs, selon les hypothèses que j’ai présentées ce matin, le retour à l’école sera progressif, notamment afin de pouvoir constituer les demi-groupes indispensables pour respecter les règles de distanciation sociale. Là aussi, ces hypothèses sont faites pour être débattues. Il me paraît souhaitable de commencer par les classes considérées comme charnières. Je reste très ouvert à toutes les propositions qui pourraient être faites pour améliorer encore le dispositif que nous commençons à envisager. »

 

Tout le monde, y compris la presse et ses journalistes, resta fixé sur l’idée que la réouverture des écoles se fera suivant les « hypothèses » déclarées par le ministre qui n’a démenti à aucun moment, et les maires, responsables des écoles, ont préparé la rentrée du 11 mai suivant ces règles. Surprise, le mardi 28 avril le Premier ministre vient, en bon camelot, vendre son plan de déconfinement devant les députés : « Ainsi, nous proposons une réouverture très progressive des maternelles et de l’école primaire à partir du 11 mai, partout dans le territoire et sur la base du volontariat. Ensuite, à partir du 18 mai, seulement dans les départements où la circulation du virus est très faible, nous pourrons envisager d’ouvrir les collèges, en commençant par les classes de 6e et de 5e. Nous déciderons fin mai si nous pouvons rouvrir les lycées, en commençant par les lycées professionnels, début juin. […] Les enfants devront pouvoir suivre une scolarité, soit au sein de leur établissement scolaire, dans la limite de quinze élèves par classe, soit chez eux, grâce à un enseignement à distance qui restera gratuit, soit en étude si les locaux scolaires le permettent ou dans des locaux périscolaires mis à disposition par les collectivités territoriales, si elles le souhaitent, pour des activités sportives, culturelles, civiques ou liées à la santé. » Faut-il voir là que le Premier ministre contredisait, une fois encore, son ministre de l’Éducation nationale, mais puisque celui‑ci n’avait annoncé que des hypothèses sept jours avant devant les députés, il ne s’agissait donc que de la transformation des hypothèses en stratégie. Pourtant le flou s’installa chez les Maires, chez les enseignants, chez les parents, chez les partenaires de l’école.

 

Au lendemain de cette déclaration qui semblait remettre en cause celle du Ministre de l’Éducation nationale, on s’aperçut que la compréhension du discours orientait vers deux décisions contradictoires autour du mot « progressive ». Certains entendaient que la progressivité était celle décrite précédemment par le Ministre de l’Éducation nationale, d’autres réduisaient « progressive » au seul fait de l’étalement des rentrées : l’école primaire, puis les collèges et, peut-être un jour, les lycées. Contredit lors d’une réunion par ceux qui avaient compris que l’ensemble de classes des écoles primaires rentrerait le 11 mai alors que je tenais que le Ministre n’ayant pas envoyé de nouvelles directives aux académies, j’ai procédé à une rapide enquête[1] auprès d’une vingtaine de mes amis enseignants, inspecteurs de l’éducation nationale et seulement parents d’élèves. Les deux tiers en restaient au premier discours du Ministre de l’Éducation nationale, le dernier tiers comprenait que toutes les classes d’école primaire étaient appelées à reprendre la classe le 12 mai.

 

Au-delà de la désignation des classes et de la désignation du jour de leur rentrée deux éléments posent question : le volontariat des parents avec le maintien de l’école à distance, et l’organisation de l’accueil des élèves dans des espaces différents des classes. Il faudrait aussi rajouter une foultitude d’autres aspects matériels et humains : comment les enseignants assureront-ils en même temps la classe face à élèves et l’enseignement à distance. En outre de tous ces aspects « techniques » dont certains, suivant l’association des maires de France, seront difficiles voire impossibles à mettre en place, que faut-il penser des propos suivants du Premier ministre : « Je veux laisser le maximum de souplesse aux acteurs de terrain en la matière. C’est ainsi que les directeurs d’école, les parents d’élève, les collectivités locales trouveront ensemble, avec pragmatisme, les meilleures solutions. Nous les soutiendrons et je leur fais confiance. »

 

Là où chacun est en droit d’attendre des directives claires, une fois de plus c’est le flou qui prédomine et le gouvernement renvoie sur d’autres l’obligation de décider. Pour les masques dont le pays était (est toujours) dépourvu on nous racontait qu’ils ne servaient à rien ou, comme le ressassait la porte‑parole du gouvernement, que nous ne savions pas nous en servir. Concernant l’école, au contraire, nous savons tellement ce qu’il faut faire que c’est à nous de décider. Tout d’un coup le citoyen et le « local » trouvent grâce aux yeux des macroniens.

 

Toutefois, les parents et les enseignants sont dans le flou, dans la crainte et les maires font ce qu’ils peuvent, en se protégeant et protégeant autant que faire se peut leur personnel. Ainsi, certains ont décidé de ne pas ouvrir les écoles de leur ville, d’autres de s’en tenir au plan annoncé par le Ministre de l’Éducation nationale le 21 avril comme à Poitiers : « Suite à une réunion organisée avec le directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) le 30 avril 2020, la Ville de Poitiers a décidé d’ouvrir, conjointement avec l’Éducation Nationale, la première semaine de reprise des écoles aux grandes sections de maternelle, CP et CM2 ainsi qu’aux enfants des professions prioritaires, d’enseignants, animateurs des maisons de quartier et agents de la ville intervenants dans les écoles. Au total, cette rentrée concernera 2 300 élèves sur les 6 300 scolarisés dans les écoles de la Ville[2]. », et d’autres ont repoussé la rentrée à plus tard comme la ville de Grenoble : « Nouveau point d’étape d’Éric Piolle mercredi 29 avril, suite aux annonces du Premier ministre la veille. Le maire de Grenoble présentera son propre plan de déconfinement le jeudi 7 mai, mais il annonce déjà une réouverture des écoles élémentaires pour le jeudi 14 mai et des écoles maternelles le lundi 25 mai.[3] »

 

Que d’incohérence, à moins qu’il s’agisse d’une stratégie qui viserait à faire porter à d’autres la charge de la décision et donc de la responsabilité, morale et pénale, en cas d’échec. En outre une telle stratégie permet de masquer ses propres insuffisances et ses incompétences, sans compter les aspects financiers : faire payer par l’autre ce qu’on est incapable de payer. Une telle stratégie n’est pas de nature à rassurer les citoyens ni à annihiler la défiance qu’ils manifestent à l’égard des gouvernants.

 

[1] Bien sûr sans valeur scientifique.

[2] Relevé sur le site de la Ville de Poitiers le 1er mai à 17h. L’histoire ne dit pas si les parents d’élèves et les enseignants ont participé à la discussion.

[3] Source : article Quel déconfinement pour Grenoble ? | Place Gre'net - Place Gre'net consulté le 1er mai, https://www.placegrenet.fr/2020/04/30/deconfinement-les-ecoles-elementaires-de-grenoble-rouvriront-le-jeudi-14-mai-et-les-maternelles-le-25/292807