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03 May 2020

Macron nous a volé le 1er mai

Le 1er mai 1886, aux États-Unis, 200 000 travailleurs obtiennent la journée de huit heures grâce à une forte pression des syndicats. Mais un affrontement avec la police cause la mort de plusieurs personnes.

 

En souvenir de cette victoire amère, le 20 juin 1889 les syndicats européens, sur une proposition du Français Raymond Lavigne, décident qu’une grande manifestation sera organisée toutes les années à date fixe de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, au cours de laquelle les travailleurs mettront les pouvoirs publics en demeure de prendre en compte leurs revendications en vue d’améliorer les conditions de travail. Le 1er mai fut choisi comme date de la « journée internationale des travailleurs » ou « Fête des travailleurs ». C’est donc bien improprement qu’on l’appelle parfois « Fête du Travail », le 1er moi on ne fête pas le travail mais on rend hommage aux travailleurs notamment, en France, en souvenir des ouvriers qui furent assassinés par la police et les militaires le 1er mai 1891, à Fourmies, une petite ville du nord de la France. La manifestation a tourné au drame lorsque la troupe tire à bout portant sur la foule pacifique des ouvriers. Elle fait dix morts dont huit de moins de 21 ans, l’une des victimes, l’ouvrière Marie Blondeau, défilait habillée de blanc et les bras couverts de fleurs d’aubépine. L’aubépine devint le symbole de cette journée. Alors il y a de l’indécence à ce que Monsieur Emmanuel Macron vienne, dans une vidéo sur Twitter, fêter le 1er mai en des termes d’une incroyable malhonnêteté : « Car c’est bien grâce au travail, célébré ce jour, que la Nation tient. », « ce jour si symbolique ». De quel travail se revendique-t-il ? À quel symbole raccroche-t-il sa pensée politique ?

 

Qu’il soit né avec une cuillère en or dans la bouche, qu’il ait été bercé dans un berceau en velours, qu’il ait eu une tirelire toujours débordante, importe peu ; après tout cela lui fut donné et il n’en porterait pas la responsabilité s’il était moins orgueilleux et plus respectueux des humbles. Or, ce freluquet à l’allure d’un dandy, d’un mondain plus que d’un sage ou d’un philosophe humaniste, est à l’origine de la destruction, lente et méthodique, des conquêtes des travailleurs sur leurs oppresseurs.

 

La première décision qu’il a prise dans le cadre de la lutte contre l’épidémie qui assaille le monde, fut d’organiser les dérogations au droit du travail par l’ordonnance du 25 mars[1]. Ainsi, la durée quotidienne maximale de travail peut être portée à 12 heures même pour un travailleur de nuit (sous réserve pour ce dernier de l’attribution d’un repos compensateur). La durée du repos quotidien peut être réduite jusqu’à 9 heures, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pu bénéficier. La durée maximale hebdomadaire peut monter jusqu’à 60 heures et cette durée maximale calculée sur 12 semaines consécutives peut être portée jusqu’à 48 heures (44 heures pour le travailleur de nuit). Rien ne justifie ces dispositions sinon l’intention, bien connue des historiens, de juristes et des politologues, de créer une exception qui se figera dans la durée jusqu’à devenir la nouvelle norme. Venir s’associer à la fête des travailleurs alors qu’on massacre le droit du travail, relève de la fumisterie la plus profonde.

 

Depuis, qu’il fut nommé secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’économie ce suppôt du monde de la finance, n’a de cesse que de réduire les droits des travailleurs. Sa stratégie, un peu contenue par Hollande et Valls, ni l’un ni l’autre parangon de socialisme ni d’idéal social, qui confièrent « la loi travail » à une autre ministre par peur de trop déplaire aux électeurs, consiste à écarter les syndicats à propos desquels il dit aujourd’hui : « je veux avoir une pensée en ce jour pour les organisations syndicales qui ne peuvent tenir les traditionnels défilés », et à humilier les travailleurs des « ceux qui ne sont rien qu’il oppose dans une gare à ceux qui ont réussi » à « celles qui sont illettrées » en passant par « si je peux m’acheter un costume c’est parce que moi je travaille », etc., à ceux‑là il ose envoyer des vœux : « je veux avoir une pensée pour les travailleuses et les travailleurs de notre pays. »

 

N’est-ce pas insultant que d’entendre ce freluquet nous dire : « Avec cette volonté forte : retrouver dès que possible les 1er mai joyeux, chamailleurs parfois, qui font notre Nation. » Qu’entend-il par « chamailleurs » : que les travailleurs passeraient leur temps à se disputer bruyamment, suivant en ça la définition du mot, ou que le 1er mai ne serait plus qu’une vaste foire dépourvue de tous sens politique ? Ne faut-il pas entendre des accents pétainistes dans « qui font notre Nation » et dans « Car c’est bien grâce au travail, célébré ce jour, que la Nation tient. » ? Le 24 avril 1941, le maréchal Pétain instaura officiellement le 1er mai comme « la fête du Travail et de la Concorde sociale », appliquant ainsi la devise Travail, Famille, Patrie. Pétain refusant à la fois le capitalisme et le socialisme (ça rappelle le ni droite ni gauche) recherchait une troisième voie fondée sur le corporatisme, il débaptisa « la fête des travailleurs » qui faisait trop référence à la lutte des classes pour en faire une fête du Travail. La radio (d’État) ne manque pas l’occasion de souligner que le 1er mai coïncide avec la fête du saint patron du maréchal, saint Philippe. L’églantine rouge, associée à la gauche, est remplacée par le muguet. Cette fête disparaît à la Libération en 1945. L’intention de Macron est-elle de ressusciter la fête pétainiste ?

 

Voyez quelques extraits du discours de Pétain le 1er mai 1941 : « Mes Amis, J’ai tenu à passer au milieu de vous cette journée du 1er mai, la première depuis l’armistice, afin de bien marquer le sens et l’importance que j’attache à l’idée du travail autour de laquelle doit s’opérer, selon moi, la réconciliation de tous les Français. Le 1er mai a été, jusqu’ici, un symbole de division et de haine ; il sera désormais un symbole d’union et d’amitié parce qu’il sera la fête du Travail et des travailleurs. […] Mais si le travail est pour l’homme un passe-temps, il est aussi un bienfait. Il est, en effet, une condition de la bonne santé morale et physique, de l’équilibre et du développement des facultés humaines. […] Abandonner tout ensemble le principe de l’individu isolé en face de l’État, et la pratique de coalitions ouvrières et patronales dressées les unes contre les autres. Il institue des groupements comprenant tous les membres d’un même métier : patrons, techniciens, ouvriers. Le centre de groupement n’est plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l’intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise. Le bon sens indique, en effet, lorsqu’il n’est pas obscurci par la passion ou par la chimère, que l’intérêt primordial, essentiel, des membres d’un même métier, c’est la prospérité réelle de ce métier. […] Dès lors l’union de la nation ne sera plus une formule trop souvent trompeuse, mais une réalité bienfaisante. L’ordre social nouveau, tenant compte de la réalité économique et de la réalité humaine, permettra à tous de donner leur effort maximum dans la dignité, la sécurité et la justice. Patrons, techniciens, ouvriers, dans l’industrie comme dans l’artisanat, formeront des équipes étroitement unies qui joueront ensemble, pour la gagner ensemble, la même partie. Et la France, sur le plan du travail comme sur tous les autres, retrouvera l’équilibre et l’harmonie qui lui permettront de hâter l’heure de son relèvement. »

 

Est-ce donc vers cette soumission que veut nous conduire Macron ? Je l’entends, je le crois et je n’entends aucun signe de révolte ; je n’entends que de la résignation, comme en 1941. Les raisons en sont différentes. En 1941 la majorité des Françaises et des Français était apeurée ou désemparée, seuls quelques‑uns avaient rejoint la minorité des lâches collaborationnistes, et d’autres plus hardis qui croyaient en des valeurs humanistes fortes rejoignirent la Résistance, ces derniers constituèrent les bataillons qui, en 1945, ont fait de notre pays une Nation de solidarité à travers ses institutions sociales, son École, son système institutionnel, sa Constitution, son Droit du travail, autant d’œuvres que le macronisme, faisant suite au sarkozysme et au hollandisme, veut détruire pour à nouveau asservir les humble. Et, Macron réussira car aujourd’hui les Françaises et les Français n’ont rien du caractère de leurs aïeux de 1941. Ce n’est pas la peur qui les maintient dans la soumission, c’est la consommation. La seule ambition de la majorité des Français se limite à avoir suffisamment d’argent pour acheter une voiture, les dernières chaussures à la mode, essayer de répondre à des désirs plus qu’à des besoins réels. Le Peuple est trop gras, engraissé artificiellement par l’accès aux désirs, plus qu’aux plaisirs, organisé par les « marchands » qui ont mis au point une soumission réduite aux acquêts. Le mouvement des Gilets Jaunes aurait pu contredire cette perspective en laissant espérer sinon une révolte au moins un sursaut de courage et de volonté de sortir de la résignation, rien ! Macron leur a donné quelques cacahuètes et ils sont rentrés chez eux, puis il envoya sa police, comme à Fourmies en 1891, massacrer les récalcitrants.

 

Qui à la suite de cette ignominieuse intervention de Macron, le 1er mai, osera chanter :

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines,

Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne,

Ohé ! Partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !

Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. »

 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755940&categorieLien=id