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26 Aug 2020

Covid 19 – 6 bis : communication d’embrouille (2)

Je commençais la conclusion de mon précédent billet par « Quand je corrobore mon analyse à la longue litanie des morts et des hospitalisations qu’égrenait chaque soir le directeur général de la santé, je me demande si cette mauvaise communication qui n’incombe pas qu’au président de la République, n’a pas pour but unique d’installer la peur et l’indiscipline pour mieux favoriser des mesures d’exceptions notamment de contrôle des populations et des citoyens. », loin de moi une quelconque idée de complot ourdi par le gouvernement ou le chef de l’État, ni par quiconque contrairement à ce que certains commentaires à ce billet ont pu suggérer. Pour qu’il y ait complot il eut fallu une volonté prédéterminée de la part du gouvernement à utiliser l’épidémie à des fins de gouvernance si on suit la définition que l’Encyclopédiste donne du complot : « Le conspirationnisme[1] est une vision du monde qui affirme que le cours de l’histoire n’est pas le fruit des jeux politiques nationaux et d’actions humaines incertaines, mais qu’il est en réalité provoqué uniformément par l’action secrète d’un petit groupe d’hommes désireux de réaliser un projet de contrôle et de domination des populations. » On voit bien que dans la gestion, discutable bien que difficile, de l’épidémie de la COVID-19 il n’y a pas, en France comme ailleurs, une volonté des gouvernants de se servir de l’épidémie pour contrôler et dominer les populations, cela même si les opérations de traçage notamment celles par des applications informatiques et les lois d’exceptions peuvent le laisser penser. Comme l’exprimait Karl Popper, pour la première fois en 1945, il faudrait que l’épidémie et sans doute aussi la communication à son propos vu comme événements politiques aient été causées par une action concertée d’un groupe de personnes qui croyaient avoir intérêt à ce qu’il se produise, plutôt que par le hasard. Donc nous n’en sommes pas là, mais je mets en discussion l’intérêt que le gouvernement peut avoir dans ce que la communication à propos de l’épidémie soit tellement désordonnée.

 

J’écris bien « cette mauvaise communication qui n’incombe pas qu’au président de la République », c’est dire que je ne vois aucune anticipation d’une volonté particulière de domination dans l’organisation de cette communication. Pour autant est-ce qu’il n’essaie pas d’en tirer avantage ? Il aurait pu demander que ce soit le porte‑parole du gouvernement (mais il est vrai qu’à l’époque la porte‑parole ne brillait ni par la clarté de son discours ni par le respect des gens) qui vienne chaque soir faire un point de situation et indiquer aux citoyens les consignes de protection et de prévention à suivre. En outre face au foisonnement des interventions de médecins, souvent contradictoires entre‑elles, un discours posé par le porte‑parole du gouvernement ou par le ministre de la santé aurait apporté un peu de clarté et, si on ne voulait pas risquer d’être taxé de produire un discours d’État, on aurait pu avoir recours au conseil scientifique qui se serait exprimé officiellement et pas de façon officieuse dans les médias[2]. Le choix a été fait que ce soit un fonctionnaire, certes le directeur général de la santé, qui vienne égrener chaque soir le nombre de morts et celui des hospitalisations. Donc on peut peut-être même doit‑on se poser la question du choix de ce type de communication.

 

On peut d’autant mieux se poser la question de l’intérêt qu’ont le chef de l’État et le gouvernement à laisser s’installer et perdurer une telle communication et à ne pas mettre en œuvre une communication mieux structurée, que chacun a pu, durant les trois ans de mandat qui viennent de s’écouler, observer à quel point Emmanuel Macron est un habile communicant. La gestion de la crise des Gilets Jaunes a été organisée en trois phases, dans la première confiée au ministre de l’Intérieur il s’est agi de jouer sur les violences et de créer autour d’elles un climat que chacun qualifiera suivant ses options idéologiques, puis dans une deuxième phase de donner quelques réponses sonnantes et trébuchantes comme la prime Macron, la suspension de la taxe sur les carburants…, et comme cela n’éteignait pas la crise une troisième phase : « le grand débat national », venait dire aux citoyens que l’État avait répondu aux inquiétudes financières ou économiques des Français les plus en difficulté et que se mettant à l’écoute désormais il ferait mieux ou plus. Mais, il n’y eut pas d’écoute, seulement un camelot qui venait vendre sa camelote ; ce fut un débat en forme de monologue. De cela Emmanuel Macron est sorti conforté auprès de l’opinion publique ; reconnaissons‑le, ce fut une remarquable opération de communication. On pourrait dresser une liste copieuse d’actions de communication de ce type : le G7 à Biarritz, le baroud à propos de la sortie des USA de l’accord de Paris sur le climat ou de celui sur le nucléaire iranien, plus récemment la visite surprise à Beyrouth ; certaines ont conduit à des succès en termes d’actions politiques d’autres n’ont produit qu’un peu de vapeur, mais le camelot ne réussit pas toujours. Alors comment pourrait-on penser aujourd’hui nous ne serions pas dans une vaste opération qui consisterait à utiliser, voire à mettre à profit, les dysfonctionnements de la communication relative à l’épidémie à des fins d’une stratégie politique ciblée ?

 

Cette pratique de communication s’apparente à une technique d’amorçage que l’on décrit en psychologie‑sociologie à propos de la manipulation ; il s’agit, par diverses techniques notamment oratoires, d’amener un individu à adopter librement un comportement dans le but d’en retirer un avantage. Puis on lui apprend que les circonstances ont changé alors qu’il n’a plus la possibilité de changer son comportement, alors on lui offre l’opportunité de choisir un autre comportement (sorte de comportement de substitution) mais il n’en retirera pas les mêmes avantages. C’est ainsi qu’en insistant dès le début sur le désastre économique engendré par l’épidémie le gouvernement a pu assouplir le Code du travail jusqu’à le détricoter, et amener les salariés à « travailler plus » sans véritable compensation. Chacun (ou presque) y a adhéré dans l’espoir de conserver son emploi. Puis les choses reviennent petit à petit à la normale, on pourrait alors revenir en arrière, mais – et, pour faire simple, c’est un pilier essentiel de la politique macronienne ‑  il faut casser les 35 heures hebdomadaires, supprimer ou réduire à la plus simple expression possible le Code du travail qui gêne tant les chefs d’entreprise, il faut donc obtenir l’adhésion des salariés en leur montrant que les circonstances ont changé et que puisqu’ils ne peuvent pas changer de comportement (en plus de l’accord des salariés celui‑ci ayant été figé dans des accords d’entreprise), on leur propose un comportement de substitution. C’est là que le discours sur l’horreur des morts dues à la pandémie, la saturation des hôpitaux, le travail extraordinaire des soignants, leur héroïsme, etc. intervient pour orienter les gens vers un comportement « solidaire, engagé ». On n’accepte plus de travailler plus pour conserver son emploi, mais on le fait désormais par engagement, dévouement solidarité avec la cause nationale et pour remercier les soignants, mais les avantages sont-ils les mêmes ?

 

On observe une manipulation analogue avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, avec le dispositif de continuité pédagogique[3] dont il finissait par dire qu’il pourrait être pérennisé tout comme le dispositif 2s2c[4]. Ces dispositifs ne figurent ni sous forme définitive ni sous une quelconque préfiguration dans les livres de JM Blanquer, mais ils sont souvent évoqués, sous différentes formes dans les cercles d’influence autour d’Emmanuel Macron comme, pour ne citer que le plus connu, l’Institut Montaigne.

 

L’usage de ces manipulations, plus fréquent dans la vie qu’on ne le croit, n’a rien d’exceptionnel en politique où pourtant on s’attendrait à ce que le pouvoir en s’exerçant normalement exige et impose. Mais nous sommes en présence d’individus libres et égaux en droit aussi « si quelqu’un veut obtenir quelque chose d’autrui, il ne peut y parvenir en s’appuyant sur un pouvoir formel ou sur la force de la loi. Il doit alors séduire convaincre où manipuler[5]. » Le recours à la manipulation se fait donc dans le cadre de l’idéal démocratique des sociétés parce que l’exercice pur et dur de pouvoir aujourd’hui a quelque chose de suranné. Trop imposer présente l’inconvénient d’entretenir les dominés dans un sentiment permanent d’arbitraire ou d’incontrôlabilité des événements, un sentiment qui est peu propice au développement du sens des responsabilités et de l’autonomie nécessaire aux pratiques démocratiques, écrivent RV Joule et JL Beauvois[6]. Dès lors, on comprend mieux le recours à un comité scientifique qui apporte une caution d’honorabilité au discours politique, d’autant que dans l’imaginaire commun la science n’est pas manipulatrice.

 

Dans ce contexte il n’est donc pas anormal de questionner la technique de communication du chef de l’État et de son gouvernement ainsi que de chercher à en connaître l’objectif réel, caché. Poser l’hypothèse que cette communication s’appuierait sur une « politique de la peur » n’est pas faire œuvre de complotisme, c’est simplement questionner l’action politique d’autant que comme la manipulation la peur est consubstantielle de la politique comme l’écrit Jean-Paul Dollé[7] : « Parler de politique de la peur, n’est-ce pas énoncer ni plus ni moins une lapalissade et faire preuve de redondance ? […] En effet, s’il est bon de ne jamais oublier que c’est la peur qui est au fondement du contrat, base de tout pacte républicain et du consensus démocratique, et que Hobbes a le grand mérite de tempérer toute possible euphorie démocratique en assignant à ce régime du vivre ensemble sa vraie place – modeste mais absolument nécessaire –, celle de se substituer à la vie naturelle – “misérable, sale, animale et brève‑”. » Pour autant toute peur n’est pas égale en politique, certaines visent moins l’instauration d’une coupure d’avec la vie primitive pour instaurer une vie sociale et démocratique, qu’elles n’essaient d’engendrer un état de soumission. Jean-Paul Dollé le suggère : « Il est évident que la politique répressive mise en œuvre par les gouvernements des pays capitalistes, vainqueurs de leur confrontation avec le camp socialiste, obéissent à de tout autres motifs que la défense de l’intégrité corporelle des citoyens, autrement dit de l’Habeas Corpus. Les politiques dites de sécurité mises en œuvre par le gouvernement Raffarin en France, et celles conduites sur le plan international par les USA, répondent à de tout autres mobiles, qui participent d’une stratégie globale que l’on pourrait désigner comme celle de « l’état de guerre permanent ». Il est donc légitime que le citoyen questionne le bien‑fondé des lois dites « d’urgence sanitaire » et cherche à voir en quoi, sous couvert de discours scientifiques, les décisions prises sont, ou pas, attentatoires aux libertés fondamentales des citoyens.

 

Ne pas poser ces questions serait refuser l’engagement citoyen, interdire qu’on les pose serait profondément antidémocratique.

 

 

 

[1] Conspirationnisme et complotisme sont des néologismes qui expriment la notion de théorie du complot.

[2] La mise en place de cette communication par  l’État en tant qu’il est responsable de la gestion de la cité  n’aurait pas empêché les médias de faire leur travail d’information, libre ensuite au citoyen de choisir.

[3] Où une partie de l’enseignement pourrait se faire par enseignement à distance.

[4] Où des activités habituellement conduites par les enseignants ont été déléguées à d’autres : animateurs périscolaires, centres sociaux...

[5] Robert‑Vincent Joule et Jean‑Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, PUG, édition de 2002.

[6] ibd

[7] Dollé Jean Paul, « Politique de la peur », Lignes, 2004/3 (n° 15), p. 109-118.

https://www.cairn.info/revue-lignes1-2004-3-page-109.htm