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01 Aug 2021

Macron : ils sont encore dans la rue

Ce samedi 31 juillet sous un ciel de plomb Poitiers connaissait sa troisième manifestation des opposants à la loi sanitaire voulu par Jupiter. Une fois encore, après tant et tant de fois et pour tellement de raisons différentes, des citoyens sont dans la rue pour crier leur hostilité à la politique d’E. Macron. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de l’hostilité à une politique qui met chaque jour les plus humbles de plus en plus en difficulté, une politique de répression et de contrôle, une politique du « coup de com » dépourvue de cohérence. Peut-être y a-t-il aussi de l’hostilité, quand ce n’est pas de la haine, à l’égard d’un président de la République vécu, ressenti souvent à juste titre comme arrogant et méprisant à l‘égard des « gens de peu », des gens du « parlement des invisibles », des « seconds de corvée » ?

 

Une fois encore c’est par le mépris que le gouvernement, et plus largement la frange la plus conservatrice des politiciens, a accueilli ces manifestations en caricaturant et souvent en salissant ces manifestants dans l’espoir de les couper du reste de la population, celle des lèche-bottes et des couards, celle des soumis, celle qui craint pour son médiocre patrimoine. Curieux, j’utilise la même arme : celle du mépris, de la disqualification. Je le fais comme Macron, c’est aujourd’hui bien connu et bien analysé, qui cherche à diviser pour gouverner, ça rappelle un peu ce qui s’est passé en 1940 dans notre pays, du moins en termes de métaphore psycho-sociologique. On voit bien comment Monsieur Batignole (le personnage du film éponyme) aurait réagi en présence de cette situation sociale et de ces manifestations. C’est sur cette frange de la population que Macron a assis son succès en 2017 et il compte bien récidiver en 2002 avec les mêmes armes.

 

Donc rien de surprenant qu’à la suite de la première manifestation le très jeune porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, déclare que les manifestants appartiennent « à la frange capricieuse et défaitiste ». Si on peut accoler le qualificatif de capricieux à des gens qui refusent une règle, on ne voit pas bien ce que défaitiste recouvre ici. Le mot serait peut-être opportun si la vaccination avait fait totalement ses preuves ; ce n’est pas le cas puisque dans sa chronique (Le Monde du 30 juillet) Chloé Hecketsweiler écrivait : « Le vaccin Pfizer ne protègerait qu’à 39% contre les infections par le variant Delta. » Une lecture approfondie de l’article, mieux une lecture attentive des études scientifiques, permet de minimiser cette alerte. Toutefois l’article se termine sur les propos d’une scientifique qui rappelle que « si la vaccination reste efficace contre le variant Delta, de nouvelles données “indiquent qu'en de rares occasions, des personnes vaccinées(...) pourraient être contagieuse et transmettre le virus” ». Emmanuel Macron ne fut pas en reste de déclarations toxiques ; le 25 juillet alors qu’il était aux antipodes critiquant des antivax il parlait de leur « irresponsabilité » et de leur « égoïsme ». Sans doute comme le mentionne Solenn De Royer dans sa chronique (Le Monde) Macron voit-il dans ces manifestations le moyen de réactiver, ou de creuser plus, le « clivage entre progressisme et populisme, qu’il tente d’imposer depuis 2017 ». Si on peut comprendre la démarche philosophique et politique, on voit le danger pour la société qu’il y a à aviver ces clivages en utilisant les citoyens, pire en les opposant entre eux.

 

Une fois encore Macron, rejoint par de nombreux politiciens, par des médecins et des intellectuels tous à l’abris des fins de mois difficiles, refuse d’entendre les gens. Comme l’a écrit le politologue Arnaud Benedetti dans Le Figaro : « La macronie n’a rien appris depuis les Gilets Jaunes » ; pire elle récidive dans l’utilisation de l’arme de la disqualification. Mais, Jérôme Fourquet, analyste à l’IFOP cité par Solenn De Royer, « identifie deux risques majeurs. Observant le caractère inédit d'une mobilisation (antivax et gilets jaunes) en plein mois de juillet, il met en garde contre l'imprévisibilité d'un tel mouvement. » En outre Jérôme Fouquet met en avant la position clivée de la cote de popularité d’Emmanuel Macron qui atteint 52% chez les cadres alors qu’elle ne dépasse pas 26% chez les ouvriers. Jérôme Fourquet évoque la possibilité d’une réactivation « d’un puissant clivage de classes ».

 

C’est bien ce clivage qu’évoquent ces manifestations « anti passe sanitaire ». L’hétérogénéité des manifestants pourrait laisser à penser qu’il s’agirait bien de ces « gaulois réfractaires » si toutefois ils n’avaient pas un point commun à deux faces. Plus que la défense des libertés la première face évoque un profond ras le bol des contraintes et des interdictions de toutes sortes qui vont au-delà des « mesures sanitaires » ; ce sont aussi les restrictions de circulations en ville, les contraintes liées à la transition écologique, les difficultés pour se faire soigner, pour finir ses fins de mois, pour accéder aux services publics... La deuxième face, au-delà de l’opposition de principe à la vaccination, c’est la crainte par apport à des vaccins dont on ne sait pas les effets secondaires notamment génétiques, c’est la perte de confiance dans des médecins qui assènent des vérités alors qu’ils ne sont sûrs de rien et là on se rappelle le coup de « la grippette » en février-mars 2020, la non-nécessité des masques..., et surtout ces manifestations marquent la perte de confiance dans un gouvernement qui ayant parlé de guerre a conduit une stratégie incohérente, inconstante, faite d’aller-retour, de décisions et de contre-décisions, et là on se rappellera les propos des ministres sur l’usage du masque, sur les vaccinodromes...

 

Ces craintes doivent être entendues, interrogées et discutées plutôt que de se voir opposer la disqualification de ceux qui les portent. Sur RTL le 11 mars 2020 le professeur Gilbert Deray avait une analyse très intéressante : « La peur du coronavirus devient beaucoup plus importante dans ce qu'elle va générer comme réactions que le virus lui-même. » Or, on ne combat pas la peur par la coercition et l’insulte. Il ajoutait, sorte de prémonition, « Je crains que ce virus ne soit le miroir d'une société complètement fracturée qui conduise à l'affrontement de l'individu dans indifférence de l'intérêt collectif. Il faut que l’on fasse très attention à ça ». Malheureusement ça ne l’empêchera pas sur LCI le 27 juillet 2021 de qualifier « de criminels » ceux qui diffusent de fausses informations à propos de la vaccination ; les connaît-ils, sait-il de quoi parlent ces gens parmi lesquels on compte des médecins ? Nous pouvons comprendre ce coup de colère mais à fustiger, à la limite de l’insulte, les gens on est contre-productifs dans la plupart des cas. D’ailleurs dans cette interview il rappelle bien deux choses fondamentales dans cette histoire : l’état des méconnaissances scientifiques vis-à-vis de ce virus et de cette pandémie, et l’augmentation de la perte de confiance dans le discours médical.

 

Mais le gouvernement et le corps médical préfèrent faire peur et, prérogative gouvernementale, utiliser la menace. Où sont les actions, alors qu’on en parle depuis 7 mois, pour aller à la rencontre des personnes isolées (que ce soit physiquement, économiquement ou culturellement), à part quelques expériences de-ci delà rien d’organisé de façon systématique. On fustige les restaurants et les boîtes de nuit, et au passage les jeunes, mais on a autorisé leur réouverture. On préfère exercer un véritable chantage sur l’ensemble des Français et plus particulièrement sur les jeunes et les soignants. Mais, comme le dit Barbara Stiegler dans une interview sur Reporterre : « Si la menace au code QR fonctionne pour les populations les mieux insérées socialement, elle est globalement inopérante pour les publics précaires et fragiles. Le gouvernement laisse les citoyens livrés à eux-mêmes, seuls devant leurs applications numériques. » [...] « Au lieu de reconnaître ses torts et ses responsabilités, il (Emmanuel Macron) transforme les victimes de sa propre politique - à savoir les citoyens - en coupables. Il les rend responsables de la situation présente. » Les gens qui manifestent aujourd’hui ne supportent plus cette position d’esclave du délire présidentiel et du mépris des privilégiés. En outre soyons clairs, depuis le début de l’épidémie, le gouvernement n’a cessé de brandir des solutions miracles : le confinement, le couvre-feu, les nouveaux vaccins et maintenant le passe sanitaire..., cela depuis 18 mois et le succès est chaque jour remis en cause, donc les gens n’ont plus envie de subir des restrictions et des contraintes à l’efficacité cachée dans les articles scientifiques. Comment supporterait-on ces contraintes alors qu’un rapport de la Cour des comptes nous apprend que la France n’a affecté que 530 millions d’euros à la recherche contre le covid-19, contre 1,2 milliards par le Royaume-Uni ou 1,5 milliards par l’Allemagne, et que les maigres investissements français sont jugés trop dispersés pour répondre aux enjeux de la crise à travers les nombreux organes pilotant les fonds. Les gens ne se sentent pas pris en compte, ils se vivent comme de simples variables d’ajustement d’un système économique qui leur échappe et victime du délire d’un président néophyte et sans culture ni sociale ni humaine.

 

Alors les gens manifestent, parfois en utilisant des actions stupides : violence, utilisation de l’Etoile Jaune (encore qu’il faudrait discuter de ce qu’est un symbole et du droit à l’utiliser). Alors ils constituent des rassemblements hétéroclites où tout se côtoie, pour autant comme le rappelle Barbara Stiegler : « L’argument selon lequel il n’est pas question d’aller manifester aux côtés d’électeurs d’extrême droite est ici de mauvaise foi. Il n’est jamais évoqué quand il s’agit de manifester contre un attentat terroriste ou pour soutenir la police. Récemment, des membres du Parti socialiste (PS), d’Europe Écologie—Les Verts (EELV) et du Parti communiste (PCF) ont marché aux côtés du syndicat de police Alliance et à côté du Rassemblement national (RN), et cela ne leur a posé visiblement aucun problème. »

 

Alors, oui les gens ont peur, oui les gens sont inquiets, oui les gens sont épuisés par les contraintes « sanitaires » mais plus généralement par la vie, oui les gens sont fatigués des privilèges de certains qui profèrent des idéologies contraignantes comme la transition écologique voulue par un groupuscule de bobo-nunuches... Il faut entendre cela. Sinon !

 

À ne pas vouloir écouter les gens, à ne pas vouloir traiter dignement les problèmes qu’ils rencontrent, car lorsque la parole est interdite on arrive à une situation qui fit dire à Martin Luther King en 1967 à Stanford : « au bout du compte, l’émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus ».