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02 Nov 2022

Politiciens : ils sont devenus fous

Qui pouvait intelligemment envisager que le Projet de Loi de Finance échappe au 49-3 ? Cette loi de finance détermine et encadre la politique du gouvernement, aussi habituellement est-elle votée par la majorité gouvernementale alors que l’opposition la rejette.

Dans la configuration actuelle : une assemblée sans majorité claire pour le gouvernement, aucune alliance avec le groupe (LR) soutenant le gouvernement ne se manifestant, le gouvernement ne pouvait pas prendre le risque de voir son budget rejeté. Donc le recours à l’article 49-3 de la Constitution était inévitable.

En outre le vote de la Loi de finances est encadré par des règles très strictes dont une règle de « délai » : le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) ne dispose que de 70 jours pour statuer sur le projet de loi de finances : 40 jours pour la première lecture à l'Assemblée nationale, 20 jours pour la première lecture au Sénat, 10 jours pour la navette parlementaire. Passé ce délai, si le dépassement est imputable au Parlement, le gouvernement peut recourir à une ordonnance pour mettre en œuvre le projet de loi de finances.

Le gouvernement aurait pu opter pour la solution qui consistait à laisser courir les débats en pariant sur un dépassement du délai de 70 jours et recourir à une Ordonnance, ce qui sans doute aurait donné une image négative au gouvernement alors possiblement vu comme trop monarchique. C’était un pari risqué que le gouvernement n’a pas engagé et, fort logiquement, la Première ministre inversa la charge de la preuve et prétexta une prétendue obstruction des oppositions en raison du nombre élevé d’amendements déposés en considérant que « Tout indique que nous ne tiendrons pas les délais ». Ainsi, un « possible obstacle à la tenue du délai » bien qu’incertain obligeait le recours au 49-3. Effectivement, à part les députés d’opposition, qui pouvait imaginer que le président Macron laisserait la Loi de Finances lui échapper ?

Il fallait donc bloquer les oppositions tout en laissant penser que le débat parlementaire avait eu lieu, que le parlement était respecté. D’ailleurs dans le texte de loi finalement remodelé par le gouvernement 94 articles sont des propositions retenues pendant les débats : 94 amendements sur le fond, dont l’immense majorité (75) provient… du gouvernement et de la majorité. Six autres amendements déjà votés en commission de finances, à l’initiative de l’opposition, ont été gardés, auxquels il faut ajouter 5 amendements provenant du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), 3 de LR, 3 des socialistes, 1 des communistes et 1 des écologistes. Donc, l’image de la Démocratie est sauve. Le président de la République et le gouvernement pensent avoir, ainsi, donné l’impression aux citoyens que le Parlement a pu débattre suffisamment. Bien sûr au passage on peut regretter qu’un certain nombre d’amendements se trouvent enterrés, comme celui qui permettait un crédit d’impôt pour les familles ayant à financer l’hébergement d’une personne en Ehpad, qui a disparu de la version définitive du texte. Il faudra surtout s’interroger à propos du régime de faveur accordé aux amendements issus du groupe présidentiel, n’étaient-ce pas des amendements suggérés par le gouvernement ?

 

La question n’est donc pas de savoir si le 49-3 est démocratique ou pas ; l’usage du 49-3 est inscrit dans la Constitution, donc parfaitement conforme aux institutions de la Ve République. La vraie question est double : peut-on prendre le risque que l’État ne dispose pas, à temps, d’un budget, et conséquemment à quel moment avoir recours au 49-3. Là, je renverrai le lecteur vers la chronique de Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, intitulée : « L'instant du 49.3 » publiée le 19 octobre 2022 dans Le Monde et sur son blog (Le blog - La Constitution décodée (constitutiondecodee.fr))

 

Dès avant le dépôt du 49-3 nous avons pu assister à un grand spectacle dans l’enceinte de l’Assemblée nationale où chacun y allait de ses invectives contre le gouvernement, ou à l’inverse on fustigeait « les oppositions ». Mme Borne nous apprenait que ceux qui faisaient obstacle au vote du texte budgétaire du gouvernement sont des irresponsables démontrant ainsi que seuls ceux qui se couchent devant son gouvernement dans un vaste élan de « soumission volontaire » seraient des personnes responsables, et de déclamer une de ces phrases creuses et dépourvues de sens comme savent en concocter les politiciens : « Les Français attendent de nous de la cohérence, de l’action et des résultats », a-t-elle poursuivi sous les applaudissements de sa majorité. Ainsi, aujourd’hui les discussions parlementaires sont reléguées au rang de discussions de comptoir et dépourvues de toute empreinte de responsabilité. Madame Borne aurait dû lire Balzac : « le comptoir d’un café est le parlement du peuple ». Il est dommage que Mme Borne limite la cohérence politique aux idées et aux paroles du président de la République et à celles du gouvernement ; les prises de position et les paroles des députés étaient on ne peut plus cohérentes et « intelligentes ». M. Macron et ses ministres ne possèdent le monopole ni de la cohérence politique ni de l’intelligence ; d’ailleurs l’expérience des actions gouvernementales montre souvent une forte incohérence et fréquemment peu d’intelligence : le marketing en politique ne remplace pas l’intelligence ; c’est ainsi d’ailleurs qu’un chroniqueur d’une chaîne de télévision au moment de la pénurie de carburant avait taxé les actions du gouvernement comme étant le résultat d’une pénurie intellectuelle !

La pénurie intellectuelle chez les ministres et chez leurs conseillés s’illustre dans ces propos d’un conseiller de président de la République transmis par la presse : « À la fin, les gens n’auront pas retenu tout ça, veut-on croire au gouvernement. Les Français se diront juste qu’un budget a été voté et que l’exécutif ne s’en est pas trop mal tiré. » Comment peut-on penser que les Français accepteront le résultat du recours au 49-3 comme étant le résultat d’un vote ? Au comptoir de mon bistrot préféré les propos étaient : Macron nous a imposé son budget ! Alors penser comme cette députée que « Le premier est le plus dur, glisse une députée Renaissance. Après cela, le 49-3 sera quasiment banalisé. », c’est méconnaître les citoyens voire les mépriser !

 

Après le cirque à propos du 49-3, délirant et lassant, les invectives se construisirent autour de l’assassinat d’une enfant de 12 ans par une jeune femme immigrée qui est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Bien sûr dire que l’enfant n’aurait pas été assassinée si l’obligation de quitter le territoire avait été exécutée est une monstrueuse ânerie. C’est à peu près aussi stupide que de déclarer au retour d’une promenade que s’il n’avait pas plu on n’aurait pas été obligé de se munir d’un parapluie… Mais on est prompt à régler les problèmes sans les poser, or, comme disait Einstein, « s’il n’y a pas de solution, c’est que le problème a été mal posé ». Là, tous les ingrédients d’une fable médiatique sont présents : l’assassinat d’une enfant, une meurtrière algérienne donc pas française, même pas « blanche » et sans doute de confession musulmane, une OQTF non exécutée. Alors la foule médiatique et politique s’est déchaînée dans un vaste mouvement de « récupération » de cette situation (mais il faut battre le fer quand il est chaud, diront certains) sans penser ne serait-ce qu’une once de seconde au mal que ce déchaînement fait à la famille de l’enfant assaillie par les médias, engloutie sous un flot de commentaires et d’images qui décortique le crime, submergée par les règlements de comptes politiques. La décence et surtout le respect dû à la famille voudraient que les médias se limitassent à annoncer le crime sans le feuilletonner, et que les politiciens attendent, pour le moins, que les funérailles soient passées pour fourailler à propos de l’inexécution de l’OQTF. Non seulement s’eût été de l’ordre de la décence mais cela permettrait de poser sereinement le problème dont finalement on ne sait pas quel il est : l’origine étrangère de l’assassin ou son rapport à la religion, voir sa culture qui l’inscrirait dans un système de vengeance vis-à-vis de la France coloniale, ou peut-être l’incapacité des gouvernements à mettre en place un système efficace d’exécution des OQTF, à moins qu’il ne s’agisse plus prosaïquement du « problème de l’immigration » ? En attendant chacun accuse son adversaire de récupération, mais l’exemple n’est-il pas venu « d’en haut ». Qu’est-ce qui justifiait que le président de la République (je devrais écrire le couple Macron) reçoive la famille de la victime, que le ministre de l’Intérieur se rende aux obsèques ? BFM-TV qui a toujours réponse à tout, même aux questions qui ne sont pas posées, annonçait la présence de Darmanin aux funérailles comme le rapporte le Voix du Nord : « Gérald Darmanin sera présent sur invitation de la famille, a indiqué l’entourage du ministre de l’Intérieur, confirmant une information de BFM‑TV. » Alors ? Qui a suggéré l’idée à cette famille, fallait-il que le ministre accepte, et bien d’autres questions pourraient être posées, mais fallait-il que le Ministre accepte, alimentant ainsi le procès en récupération, car ira-t-il désormais à toutes les funérailles des victimes d’assassinat, notamment à celle de la jeune Justine assassinée à 20 ans et qui laisse un enfant de 2 ans orphelin et une famille tout aussi éplorée ?

 

En démocratie un gouvernement se doit à tous, pas à chacun en particulier. Mais on voit bien de nos jours, et Macron s’en est fait une spécialité, qu’on utilise les « cas particuliers » pour cacher les insuffisances d’une politique qui n’a pas pour but le bien commun mais au contraire dont l’ambition n’est que la promotion des ambitions individuelles de tel ou tel individu ou telle ou telle communauté. La question n’est donc pas celle de la récupération des faits de société par les politiciens : que serait une politique qui ne « récupérerait » pas les faits de société sinon une mise en action froide et glaçante d’une idéologie. La question est celle de l’objectif des politiciens lorsqu’ils « récupèrent » un fait de société. Pour quoi faire le fait de société devient une question politique ? Cette « récupération » qu’on nommerait prise en compte dans une situation plus sereine est la matrice génitale d’une politique publique ; on voit bien qu’ici, faite de sérénité, à cause de la violence politique, la mort de Lola ne servira pas à réfléchir aux problèmes qui sont posés par la situation sociale qui ont conduit ou accompagné la mort de cette enfant. Et, une fois le ramdam médiatique passé, le soufflé s’effondrera jusqu’à une prochaine affaire qui marque une époque où la politique se fait autour des émotions plutôt qu’à partir de la sérénité et de la sagesse.

 

Puis il y eut les élucubrations de M. Mélenchon tentant d’inscrire sa « marche pour le pouvoir d’achat » dans une analogie avec les mouvements qui ont généré la Révolution de 1789 : comme si les citoyens et la situation sociale d’aujourd’hui avaient quoi que ce soit de semblable avec les mères de famille de 1789. Ça ne valait pas l’once d’un commentaire mais les politiciens opposés, viscéralement à Mélenchon, s’en sont fait des gorges chaudes. Pendant que les uns enfilaient des niaiseries pour essayer d’affadir les niaiseries de l’adversaire, le citoyen oubliait (du moins le pensait-on au gouvernement) l’inflation, les fins de mois difficiles…

 

Quel mépris nous opposa le ministre de l’Économie, mais c’est son habitude, lorsqu’il déclarait que la grève des employés des raffineries était illégitime. Par définition et par le droit une grève est toujours légitime, sauf bien sûr sous les gouvernements autoritaires et dans les dictatures. Lui, comme la première ministre, devrait lire les articles de Simone Weil regroupés dans un opuscule intitulé « Grèves et joie pure » (ed Libertalia), ils comprendraient (peut-être) ce que représente une grève pour des salariés : « Il s'agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé pendant des mois et des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange. » La grève, c’est plus qu’un paquet de revendications, la grève c’est surtout une action visant à faire reconnaître sa dignité. Il y a longtemps que certains syndicats ont oublié cela et signent des compromis assez « basiques ». Du coup certains qui ne signent pas sont déclarés, parce qu’ils sont minoritaires, irresponsables ; peut-être ont-ils simplement un sens de l’honneur qui ne cède pas à n’importe quel compromis qui ressemblerait plus à de la compromission. Quoi qu’il en soit la minorité n’est jamais obligée de se plier devant une majorité sinon les Résistants de 1940 à 1945 auraient dû accepter la volonté de la majorité représentée par le gouvernement dirigé par Philippe Pétain. Sans doute faudrait-il se souvenir de la phrase d’Albert Camus : « La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » Toutefois je veux bien concéder que le dialogue social n’est pas une habitude française comme l'écrivait Simone Weil : « L'idée de négocier avec les patrons, d'obtenir des compromis, ne viens à personne. On veut avoir ce qu'on demande. On veut l’avoir parce que les choses qu'on demande, on les désire, mais surtout parce qu’après avoir si longtemps plié, pour une fois qu'on relève la tête, on ne veut pas céder. On ne veut pas se laisser rouler, être pris pour des imbéciles. »

D'ailleurs, peut-être que les gens se sont moins mis en grève pour des histoires de salaire que pour « être reconnus ». Comment justifier, en dehors de toute démonstration économique, qu’on n'augmente pas les salaires modestes alors que certains qui sont plus que grassement rémunérés voient leur rémunération s’exprimer en dizaines de millions. Certes le ministre de l’Économie et son caniche (le ministre du budget) expliquent que les très hauts salaires sont un bien pour notre économie puisqu’ils génèrent de forts impôts ; c’est oublier les niches fiscales, les placements Offshores. Plus prosaïquement payer 50 % d’impôts sur des revenus de 50 000 000 € laisse 25 000 000 € soit un revenu mensuel de 2 084 000 € ce qui demeure confortable pour organiser sa vie, alors que se voir prélever 12 % de ses revenus quand on gagne 51 000 € soit 4 250 € mensuels (brut) ne laisse que 44 880 € soit 3 740 € mensuels ce qui est terriblement moins confortable et surtout plus pénalisant dans le « reste à vivre », et cet exemple se situe bien au-dessus du salaire médian. Je laisserai au lecteur le soin de calculer le « reste à vivre » et l’ampleur de la pénalité fiscale à chaque niveau de salaire. À ce calcul il conviendrait d’ajouter la TVA et diverses taxes comme la taxe foncière. Quelle est l’incidence d’une taxe foncière de 1600€ sur un revenu de 44 880 € par rapport à une taxe foncière (supposée) de 15 000 € sur un revenu de 25 000 000 € ?

Nous pourrions aussi discuter cette pseudo-théorie économique selon laquelle une augmentation des salaires entraîne ipso facto une augmentation des prix de vente. Simplement une augmentation des salaires n’a pas d’autres raisons d’entraîner l’augmentation des prix de vente que le maintien des dividendes versés aux actionnaires. Je ne ferais pas du marxisme d’opérette mais peut-être les ministres, les politiciens de tous bords pourraient-ils poser, autrement qu’ils le font, le problème des salaires et la reconnaissance des grèves.

 

N'oublions pas, les propos des nervis de Macron et du grand manitou lui-même lors du deuxième acte de sa pièce sur France 2 : Mélenchon aurait signé un pacte avec Marine Le Pen à l’occasion du vote de la motion de censure ! Belle affaire si cela avait été. Lui-même devenu inséparable d’un président battu à l’élection présidentielle et qui donc ne fut pas reconduit, et battu fortement à la primaire de son propre parti, courtise le parti LR dans la perspective de l’accaparer, telle une fleur carnivore, dans son camp. C’est bien là la politique politicienne de l’ancien monde dont Macron avait promis de nous débarrasser.

On voit là à quel point Macron refuse le débat parlementaire et voudrait tout avoir en main. Dans un régime parlementaire il n’est nul besoin d’alliance figée dans le marbre pour que plusieurs partis se rejoignent pour voter un même texte. Non seulement ces attaques, puantes et irrespectueuses pour les citoyens qui ont soutenu LFI et le Rn et qui n’ont pas besoin que Macron leur tienne la main pour savoir ce qu’ils doivent penser et faire, ces attaques montrent l’état de décrépitude de l’idéologie macronienne qui ne maîtrise plus rien. Or, quand le chasseur ne maîtrise plus son chien il déclare qu’il a la rage pour l’abattre.

 

Pénurie culturelle et intellectuelle, absence de réflexion profonde, goût du scandale et du sordide, agressivité et violence… voilà ce qui a caractérisé la vie politique de notre pays ces derniers jours largement relayé voire amplifié par certains médias si souvent sans éthiques et sans beaucoup d’intelligence ni de culture mus uniquement par la recherche du sensationnel : on s’étonnera que l’indice de confiance des Français dans les médias, comme dans les politiciens, ne dépasse pas 23% et que 36% des Français ne regardent plus ni ne lisent les informations.

 

Je citerai, une fois encore mais en conclusion, Simone Weil : « Allons-nous enfin assister à une amélioration effective et durable des conditions du travail industriel ? L’avenir le dira ; mais cet avenir il ne faut pas l’attendre, il faut le faire. »