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04 Nov 2022

L’Université de Valence en Dauphiné et Jean de Montluc, (Évêque de Valence, pédagogue ou p

Dire qui était Jean de Montluc et analyser la façon dont il conçut sa mission d'évêque de Valence en Dauphiné, en même temps que nous regardons son action par rapport à l’université de cette ville, au moment où croissent la pensée protestante et l'implantation de la Réforme, nous semble devoir concourir à mieux comprendre comment à cette époque une université était indissociable du contexte sociopolitique de la ville qui l’accueillait.

Le rôle de Jean de Montluc prend bien sa place dans l’interrogation que nous pouvons avoir du lien entre l’université de Valence et l’émergence de la Réforme à Valence. Ce rôle et l'action de Jean de Montluc se situent bien dans la provocation évoquée par la confrontation de deux mots de la question suivante : était-il calviniste convaincu ou fin diplomate ?

De lui Brantôme écrivait : « On le tenait luthérien au commencement et puis calviniste ; mais il se comportait par belle mine et beau semblant ». Cette remarque trouve son origine à la fois dans les études que Jean de Montluc suivit, les rencontres qu'il fit, le discours qu'il tint et les attitudes bienveillantes dont il fit preuve à l'égard des tenants de la Réforme.

 

   Ces études se passèrent tout d'abord à l'abbaye de Condom où officiait le célèbre évêque Jean Marre réputé comme humaniste et réformiste ; ne fit-il pas venir en 1517 Jacques Almain théologien nominaliste et gallican ? Pour lui succéder il appela Jacques Lefèvre d'Étaples qui se désista. On voit comment Jean de Montluc rencontra « la pensée réformatrice et humaniste ». Il fut remarqué pour ses dons intellectuels, ce qui convainquit Jean Marre de l'envoyer étudier à l'université de Toulouse le droit civil et le droit canonique. Ses historiographes pensent, sans certitude, qu'il fréquenta aussi la faculté de théologie tenue par les Dominicains. De la même façon il n'existe aucune certitude qu'il assistât aux lectures des textes de Lefèvre d'Étaples faites dans un cercle d'étudiants animé par son professeur de droit, Jean de Boysonné. Durant l'hiver 1532 -1533 il quitta définitivement l'abbaye de Condom, au moment où Marguerite de Navarre passait dans la ville. La rencontra-t-il ? L'histoire n'en dit rien. Cependant on sait qu'il assista au carême commandé à Gérard Roussel par Marguerite de Navarre, et, semble-t-il, Jean de Montluc se serait rapproché d'elle. À tel point que Brantôme écrivit qu'elle le défroqua. Ce fut le début d'une longue carrière diplomatique, marquée entre autres par un séjour à Rome en 1535 durant lequel il enseigna la théologie au collège Sapienza, bien que le pape le soupçonnât d'être acquis aux idées luthériennes. Le 18 août 1553 le roi lui accorde le diocèse de Valence et de Die. Un diocèse où les idées hérétiques étaient déjà bien installées comme le rappelle Michel Devert (p77) : « A la mort de Jacques de Tournon, l'évêché de Valence et de Die était donc bien contaminé par l'hérésie ; ses adeptes semblaient bien résolus à propager leurs croyances. Si un évêque bien résolu ne venait lui faire échec, elle risquait de s'étendre à tout le diocèse ».

 

    C'est donc dans ce climat que Jean de Montluc arrive physiquement à Valence en 1555. Dès l'année précédente il déclarait sa résolution à prendre en charge la destinée de l'université de la ville. Dans une lettre aux consuls, François Joubert, professeur, écrivait : « Elle (l'université) est, m'a-t-il déclaré, la plus belle rose que les Valentinois aient à leur chapeau et qu'il aura moyen, comme il l'espère, faire tant que Monsieur Arnaud Ferrier conseiller du roi au parlement de Paris, l'un des premiers hommes de notre temps, pourra venir à Valence, lire et régenter pendant six mois qu'il a de vacations. Pour les autres six mois, il moyennera le semblable de Monsieur Coréas, conseiller du roi au parlement de Toulouse. D'avantage il aura moyen d'y faire venir Monsieur Govéa, homme de grand bruit et savoir pour continuer l'année ». Dès lors il est indubitable qu'il mit tout en œuvre pour favoriser le développement et la prospérité de l'université de Valence, allant jusqu’à offrir de l’argent pour que Cujas. Là où nous devons interroger son histoire, c'est dans le choix qu'il fit de certains professeurs qu'il attira à Valence, comme Bourg en 1556 ou Hotman en 1563, tous deux étaient réputés favorables aux idées hérétiques, le premier fut condamné à mort.

    Là s'installent à la fois le doute et le paradoxe : Jean de Montluc soutenait la candidature de professeurs "hérétiques" en même temps qu'il s'opposait, en vain, à la venue de Loriol connu comme calviniste. Négligeait-il de voir les agissements des hérétiques en même temps qu'il rédige « les instructions chrétiennes de l'évêque de Valence » où il écrit : « notre religion est par les hérétiques déchirée, et peu sans faut délaissée par ceux qui la dussent maintenir… Celles (les brebis) qui sont au vrai troupeau sont en continuel danger d'être séduites et diverties du bon chemin ». Quoi de plus conforme à l'orthodoxie. Cependant l'évêque portait la barbe, prêchait sans habits sacerdotaux, se couvrait le chef du bonnet semblable… ceux des réformés. Au-delà de cela, ses sermons heurtèrent la Sorbonne qui eut à en connaître, et qui les déclara hérétiques. L'œuvre de Jean de Montluc à Valence au sein de l'université et en direction de ses diocésains fut sans doute tout empreinte d'un grand désir d'éducation, d'une éducation sans doute plus humaniste qu'hétérodoxe mais qui s'opposait aux privilèges du clergé local, notamment du chapitre cathédral. Cependant, notons qu’accusé par le doyen du chapitre d'être hérétique, il obtint réparation de la condamnation. Il fut quand même excommunié en 1563 mais la promulgation n'en fut jamais faite. Il est vrai qu'il était un des principaux conseillers de Catherine de Médicis.

     Nous suivrons facilement Michel Devert lorsqu'il écrit qu'il est difficile de porter un jugement sur la personnalité religieuse de Jean de Montluc. Sans doute était-il un humaniste qui sans aller jusqu'à adhérer aux idées de la religion réformée, se trouvait bien à côtoyer les critiques de la corruption de l'Église, le retour aux textes fondateurs, et l'idée que l'homme peut participer à la compréhension du monde ; il croyait en l’Homme. Ne fut-il pas de ces évêques qui condamnèrent l’astrologie comme l’indique Marc Venard : « et nombre d’évêques, d’un bout à l’autre du siècle, condamnent l’astrologie divinatrice, tel Jean de Montluc, évêque de Valence en 1558, qui contre les clients des astrologues, leur rappelle : que nous sommes, nous et nos biens, sous le pouvoir de Dieu, et que toutes choses sont faites, mues et gérées par sa libre volonté. ». Sans doute aussi, comme l’écrit Marc Venard, Jean de Montluc « comme d’autres prélats, plus politiques, voient surtout dans le protestantisme un remède à des abus invétérés et une position d’indépendance vis-à-vis de Rome. » C'est dans ce cadre de pensée qu'il fonda ou qu'il soutint la fondation (il subsiste un flou dans la connaissance historique) d'un collège en 1564. À ce propos l'abbé Nadal souligne la décadence de l'enseignement de la théologie à Valence où entre 1560 et 1575 il n'y eut que deux promotions d'étudiants en théologie contre plus de trois cents en droit, et d'écrire : « Montluc s'étant aperçu du préjudice que causait à la religion la décadence de l'enseignement de la théologie, il forma un dessein qui honore sa mémoire… Il résolut de confier aux jésuites l'éducation de la jeunesse de sa ville épiscopale ».

 

     Nous conclurons, provisoirement, par une citation extraite de la thèse (1893) de Hector Reynaud : « Ce qui frappe tout d'abord chez lui, c'est l'estime qu'il professe pour les lettres, le soin qu'il prend pour les mettre en honneur parmi ses diocésains. Il favorisa de tout son pouvoir l'enseignement public à Valence et inaugura, pour l'université de cette ville, une ère de prospérité ».

      C'est ainsi, dans cette œuvre éducative, qu'il écrivit en 1461 dans « familières explications des articles de la foi » : « ployons notre esprit et l'assujettissons à consentir et à croire tout ce que le Saint-Esprit nous a révélé dans les Écritures ».