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09 Oct 2024

Palestine- Israël : aporie politique et humaine

« Cela ne concerne pas l’un des belligérants à l’exclusion de l’autre : au camp d’extermination répondent Nagasaki et Hiroshima, qui ont tout autant déchiré l’histoire et les consciences et, dans les deux cas, de manière radicale, en attaquant les racines mêmes de l’hominité : non pas seulement le temps de l’histoire, mais celui de l’hominisation[1]. » Michel Serres.

 

L’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 restera dans l’histoire un des actes les plus odieux que des hommes sont capables de faire. Que l’on qualifie les auteurs de cette attaque de terroristes ou de résistants ne change rien au caractère insupportable, exécrable et ignoble de cet acte.

Si, tenant de la philosophie de la guerre juste, on peut admettre la riposte d’Israël, force est de reconnaître que celle-ci, totalement démesurée, et tout aussi insupportable, exécrable et ignoble. Un homme politique de gauche, refusant de s’engager dans les manifestations pro-palestiniennes disait qu’on n’oppose pas des morts à d’autres morts, qui lui donnerait tort ? Mais, on peut mettre en dialogue en vue d’une dialectique rigoureuse le nombre de morts et les circonstances de la survenue de la mort. Qui admettrait, de nos jours, que quelqu’un dont un membre de la famille aurait été assassiné aille à son tour, dans un esprit de pure vengeance, exterminer l’ensemble de la famille – femmes, enfants, vieillards – de l’assassin ?

Ce qui doit être discuté à propos du conflit israélo-palestinien, ce n’est pas la nature des actes, mais leur disproportion tant en termes de moyens que de victimes. C’est en quoi le président Emmanuel Macron a eu totalement raison lorsqu’il a mis en évidence le cynisme politique et moral qui consiste à réclamer un cessez-le-feu entre les belligérants tout en continuant à les armer plus particulièrement l’un d’eux dont le représentant est allé jusqu’à la tribune de l’ONU pour dire haut et fort qu’il n’accepterait aucun cessez-le-feu. Mais là aussi, on relèvera la disproportion qui consisterait à priver d’armes des belligérants pendant que l’autre continuerait à recevoir par d’autres donateurs. Dans une dialectique cohérente on doit rejeter les cris d’orfraie de ceux qui ont déclaré avoir honte des propos présidentiels, cris d’orfraie qui masquent péniblement leur haine des Arabes ou – à moins que ce soient les deux – leur bêtise teintée d’amoralité. Tout au plus concernant cette déclaration présidentielle peut-on regretter qu’elle intervienne aussi tard et qu’il a fallu les attaques contre le Liban pour qu’elle intervienne. Ces réactions comme les huées hostiles au président de la République lors de la cérémonie organisée par le CRIF aussi bien les appels adressés aux étudiants de brandir des drapeaux palestiniens dans leurs universités dessinent bien le virus de la haine qui enveloppe et qui alimente ce conflit le rendant aussi déraisonnable qu’inhumain.

Face à la disproportion du nombre de victimes (morts, blessées physiquement et psychologiquement) et à la nature des cibles hôpitaux, écoles, universités, ainsi qu’à l’ampleur des moyens employés pour détruire Gaza et plus largement les Palestiniens les Hommes, notamment les politiciens et les intellectuels, doivent s’interroger sur la vraie nature de ce conflit : la destruction de l’autre en tant que peuple, que culture et que raison en ce que la raison est ce qui permet à l’être humain de connaître, juger et agir conformément à des principes. Dans ce conflit il y a autant le refus de reconnaître l’Autre à l’égal de Soi que la négation de l’histoire. C’est dans cette double négation, dans ce double refus, cette « double cécité » que le conflit entre Palestiniens et Israéliens nourrit de graves fractures dans les sociétés occidentales et particulièrement en France, lesquels sont amplifiées et creusées voire engendrées par des médias peu scrupuleux et surtout peu instruits de l’histoire portés par des journalistes trop souvent incultes voire stupides dont la professionnalité repose essentiellement sur l’idée « du coup médiatique ». Certes comme l’écrit au sujet d’une autre histoire, d’un autre conflit Oliver Rohé[2] : « Il est parfaitement inutile, voire dangereux, de tout ressasser éternellement et sans distinction, c’est avec ce genre de méthode qu’on tourne en rond, c’est avec ce genre de ruminations sans intérêt qu’on s’enferme, jusqu’à extinction, dans la répétition. » mais il poursuit : «  Aller de l’avant, faire table rase et envisager un nouvel avenir, bref renaître ou reconstruire étaient les solutions les plus abordables, les plus raisonnables que je me suis appliquées depuis le départ, depuis plus de dix ans maintenant. » Pour autant il ne faut pas négliger le passé, socle du présent, car « ignorer le passé expose souvent le répéter[3] ». Là fut la grandeur de Charles de Gaulle et de Konrad Adenauer. Un tel rapprochement apparaît plus difficile dont la motivation de leur politique et de leurs actions s’alimentent dans la Religion et les croyances afférentes : chacun se croyant le Peuple élu. Dans ce contexte la déclaration du président Macron à propos des livraisons d’armes prend toute sa valeur ; mais elle est bien amoindrie par les effets de l’allégeance qu’il, et avec lui la majeure partie des femmes et des hommes politiques français, montre à l’égard de la communauté juive soutien inconditionnel et aveugle à l’action guerrière d’Israël. Finalement la livraison d’armes apparaît assez secondaire dans ce conflit : il y a autant de cynisme à appeler à un cessez-le-feu et en même temps à soutenir inconditionnellement un belligérant, quoi qu’il fasse, qu’à appeler à un cessez-le-feu en même temps qu’on livre des armes.

Cela fait au moins quatre-vingt ans (je dis quatre-vingts ans mais peut-être faudrait-il dire deux mille ans) que dure ce conflit. Peut-être est-il temps, plus que jamais, de faire table rase de certains pans du passé, de certains aspects culturels permettant ainsi de reconnaître l’Autre à l’identique de Soi. Lorsque j’écoute les journalistes, lorsque j’écoute les belligérants, lorsque j’écoute les hommes politiques, j’ai souvent l’impression de me trouver dans une cour d’école primaire où demandant à deux enfants d’expliquer l’origine de leur querelle chacun à son tour me répond : « c’est pas moi M’sieur, c’est lui qui a commencé ». Et si aujourd’hui, et c’est là que la déclaration d’Emmanuel Macron bien que tardive peut prendre du sens, on décidait de faire table rase des guerres, des crimes, des attentats de ces quatre-vingts dernières années pour enfin construire une terre d’harmonie comme l’avaient souhaité les acteurs politiques en 1947, comme ce fut le cas entre l’Allemagne et la France.

Ce conflit, comme tant d’autres, s’alimente de la fausse idée suivant laquelle « la guerre, [serait] mère de l’histoire. Non, la guerre n’est la mère que de la mort, d’abord, ensuite et perpétuellement, de la guerre. Elle n’engendre que le néant est identiquement, elle-même[4]. » Mais voilà, Régis Debray[5] nous le rappelle si « Le déclenchement d’une guerre est toujours une mauvaise nouvelle pour l’esprit de finesse, et une bonne pour le gouvernement, qui préfère toujours l’esprit de géométrie. », d’autant plus comme le précise l’auteur les hommes politiques plus encore quand ils arrivent au pouvoir ambitionnent, avant toute chose peut-être, de laisser une trace dans l’Histoire : « La gent politique, qui lit fort peu et n’a pas de temps à perdre, a inventé une tierce option : faire histoire, comme on dit « faire sérieux », faire son de Gaulle ou son Jaurès. »

Faute de nous interroger sur la ou les disproportions en jeu dans ce conflit, à ne pas sortir d’un processus vain de recherche du coupable et à vouloir confondre défense et vengeance on entraîne ce vieux conflit au rythme des résurgences de haine attaque « les racines mêmes de l’hominité : non pas seulement le temps de l’histoire, mais celui de l’hominisation[6]. » C’est, dans ce conflit entre les Israéliens, plus largement les Juifs, et les Palestiniens, plus largement les Arabes, c’est le principe même d’Humanité qui est remis en cause. Ne pas nous interroger dans ce sens conduit à une aporie politique et humaine qui pourrait donner raison à Goethe qui disait « que le désordre lui paraissait plus fâcheux qu’une injustice[7]. »

 

 

[1] Michel Serres, Eclaircissements.

[2] Oliver Rohé, Défaut d’origine.

[3] Michel Serres, Eclaircissements.

[4] Michel Serres, Eclaircissements.

[5] Régis Debray, Des musées aux missiles, Tract, n°3, mars 2022, Gallimard

[6] Michel Serres, Eclaircissements.

[7] Stefan Zweig, Le Monde d’hier, (chapitre Incipit Hitler)

04 Aug 2024

Après la dissolution : la démocratie est cocue (4)

 

Après la dissolution beaucoup de citoyens électeurs se sentent floués : leur vote de barrage au Rassemblement National exacerbe les querelles partisanes et semble, de surcroît, remettre en selle Macron bien que son parti soit celui qui a perdu le plus de sièges à l’Assemblée nationale. Finalement n’est-ce pas la Démocratie qui est la plus cocue dans cette aventure délirante ?

 

 

Le mot démocratie n’appartiendrait-il pas au cercle édifiant des « mots vertueux » ? Le sociologue Michel Cattla[1] écrit que le mot « innovation » serait un de ces mots vertueux, comme projet, réseau, développement durable, qu’on met et qu’on trouve un peu partout sans qu’on puisse d’emblée à la lecture du texte leur attribuer une définition stricte et sans qu’apparaisse un sens « éclatant ». Ce sont des mots qui sont plein de sens pratique pour les uns, c'est-à-dire qu’ils permettent d’orienter et de mettre en œuvre les objectifs d’un projet, et qui pour les autres sont des mots au sens abscons qui ne réfèrent à rien de précis. Mais, quoiqu’il en soit ils ne sont jamais sans impliquer les acteurs parce que, pour le moins, ces mots sont créateurs de représentations sociales qui ont affaire autant avec le cognitif qu’avec l’affectif, dès lors il se crée un dispositif rhétorique qui lie les personnes, des orateurs jusqu’aux auditeurs et organise leur démarche, ici leur choix électoral.

Ainsi, il en va de « démocratie » enserrée dans des dispositifs rhétoriques constitutifs d’une communication de persuasion : il s’agit d’engager le public et de laisser un impact durable. Peu importe de sens initial du concept, le mot est utilisé pour convaincre et soumettre les soutiens de l’adversaire : les partis extrémistes (LFI, RN) desserviraient la démocratie. On utilise alors « démocratie » pour disqualifier l’adversaire et éviter les sujets de la discussion dans le cadre d’un véritable glissement sémantique ou glissement de sens d’autant que le un mot a acquis au fil du temps un sens différent de celui d'origine. On joue donc ici sur la polysémie du mot.

Une démocratie, pour reprendre les idées de Cornélius Castoriadis, n’est pas une « chose faite » (comme peuvent l’être un objet ou un concept immuable et figé), elle est un processus qui repose sur un régime qui réalise l'autonomie collective et suppose l'auto-gouvernement du peuple. Elle est le régime politique qui correspond à « une société autonome, autogouvernée et auto-instituée[2]. Ceci, pose la question de la validité de la démocratie représentative dont Castoriadis pense qu’elle est contradictoire dans ses termes mêmes. La démocratie représentative  que nous vivons dans les pays occidentaux outre la contradiction de termes soulevées, présente le défaut assez fondamental d’être « conçue comme compétition entre des partis, sur le modèle de la démocratie libérale, si bien résumé par la formule de Schumpeter : “le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple[3]” ». Force est de constater, comme le rappelle Arnaud Tomès[4], qu’il y a depuis quelques années une crise de légitimité du mouvement politique qui repose essentiellement sur le rejet de cette « démocratie représentative » dans laquelle les représentants représentent de moins en moins les représentés ; cette crise de légitimité a pris différentes formes depuis le mouvement des Indignés en Espagne jusqu’à celui des Gilets Jaunes en France.

La dissolution voulue par le président Macron comme un mouvement qui consistait à redonner la parole aux citoyens aurait été une bonne stratégie si elle avait correspondu à une démarche sincère. Loin de là, la démarche n’était que stratégique face à l’échec du parti macroniste à l’élection « européenne » qui marquait un fort rejet de la politique conduite par Emmanuel Macron ainsi qu’un rejet de sa personne et de son mode de gouvernance. Cette dissolution a été une tentative du quitte ou double qui visait à donner à un président déliquescent une majorité à l’Assemblée nationale, majorité qu’il n’avait pas obtenue après sa réélection en 2022. Cette démarche relativement démocratique au sens d’un processus d’autonomie des citoyens qui reprendraient en main leur destin, n’avait en fait qu’un objectif antidémocratique en visant à restaurer la suprématie du prince. Ainsi nous avons pu constater la faiblesse des arguments du camp macroniste pour reconquérir les électeurs perdus depuis sept ans. Alors qu’elle arme utiliser ?

Quand on manque d’arguments il faut disqualifier son adversaire. Caractériser la France Insoumise d’antidémocratique et d’antisémite a été une arme forte bien colportée par les médias ; il en a été fait de même vis-à-vis du Rassemblement national. On diabolise à tout va sans s’intéresser aux programmes politiques. Mais, face à des sondages qui annonçaient une majorité à l’Assemblée pour le RN, face à des citoyens qui semblaient peu sensibles aux tentatives de diabolisation du RN, il fallait trouver un allié de circonstance. Le Nouveau Front Populaire, dont la création mériterait d’être regardée avec une loupe, représentait l’allié tant désiré et tellement utile : qui dans ce congloméra de partis politiques génétiquement en désaccord permanent refuserait de faire barrage au RN ? Là, autant chez Macron que chez les coéquipiers d’opportunité de LFI, on fut atteint d’une amnésie profonde qui fit oublier tous les noms d’oiseaux qu’on adressait, hier encore, à LFI qui par la grâce de la stratégie politicienne n’était plus antisémite, plus antidémocratique.

On demanda alors aux candidats du NFP élus au premier tour de l’élection de se désister, en cas de triangulaire, au profit du candidat macroniste. Ainsi, celui qui avait pris une gifle monumentale au premier tour retrouva de la couleur au deuxième tour et, surtout le RN frisa d’être défait, en tout cas il n’eut pas de majorité : la démocratie était sauve dirent les politiciens installés et leurs affidés des médias. La France pouvait souffler, elle venait d’échapper au pire. La démocratie a-t-elle vraiment gagné ?

Dans ce micmac politicien la démocratie vue comme un système institutionnel a sans doute gagné d’être encore là avec les mêmes politiciens. Pour combien de temps ? La démocratie comme processus dans lequel la parole du citoyen est prépondérante a perdu, une fois encore, les citoyens s’étant laissé entrainer dans la spirale infernale d’un président autant narcissique que mégalomaniaque et dupés par des partis politiques dont le but essentiel est de se maintenir en place avec leurs politiciens attitrés.

La démocratie n’a obtenu qu’une victoire provisoire, personne ne sait de quoi demain sera fait au vu du bazar engendré par l’échec de Macron qui espérait qu’une majorité sortirait du scrutin. Loin d’avoir une majorité la France a hérité d’un ensemble de trois (ou quatre si on compte LR) minorités. Alors, les magouilles politiciennes (comment appeler les tentatives d’alliance contre-nature) sont reparties de plus belle pour le choix d’un premier ministre ; à gauche la valse des égos bat son plein pendant que Macron recommence à diaboliser, par l’intermédiaires de ses sbires, LFI essayant ainsi une vraisemblable soumission complice du PS où Raphaël Glucksmann (soutien inconditionnel d’Israël) est assez proche de la philosophie libérale de Macron, et où François Hollande le recalé de 2016 vient soutenir ce qu’il vilipendait la veille (Olivier Faure qu’il déteste, et Macron qu’il n’aime guère) tel un zombie qui joue la reconquête. EELV qui se verrait bien attribuer un portefeuille ministériel pour redorer une image de plus en plus ternie au fil des élections, se joint à la collusion macroniste.

La gauche qui n’a pas hésité à cocufier ses électeurs en leur demandant, une fois encore, d’aller voter pour Macron, a largement contribué à ternir la démocratie et à renforcer la crise de la légitimité de la représentation et de la politique. Relevons qu’au-delà des partis politiques les électeurs sont niais, nigauds, idiots et extraordinairement soumis. Ils ne voulaient plus de Macron alors il fallait prendre le risque d’un RN majoritaire en votant blanc, la leçon aurait été sévère pour les politiciens. Mais voilà, personne ne se souvient (d’ailleurs qui les a lus) des propos de Simone Weil[5]  : « Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice. La pression collective est exercée sur le grand public par la propagande. Le but avoué de la propagande est de persuader et non pas de communiquer de la lumière. »

 

 

[1] Catlla, Michel. « Action publique régionale et nouveau management public : le cas de la rhétorique de l'innovation », Sociologies pratiques, vol. 10, no. 1, 2005, pp. 77-95.

[2] Cornelius Castoriadis, « Quelle démocratie ? », in Cornelius Castoriadis, Figures du pensable. Les carrefours du labyrinthe, 6, Paris, Seuil, 1999.

[3] Tomès, Arnaud. « Démocratie radicale et représentation chez Cornelius Castoriadis et Ernesto Laclau », Raisons politiques, vol. 75, no. 3, 2019, pp. 45-61.

[4] ibd.

[5] Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques.

Après la dissolution : la démocratie est cocue (4)

 

Après la dissolution beaucoup de citoyens électeurs se sentent floués : leur vote de barrage au Rassemblement National exacerbe les querelles partisanes et semble, de surcroît, remettre en selle Macron bien que son parti soit celui qui a perdu le plus de sièges à l’Assemblée nationale. Finalement n’est-ce pas la Démocratie qui est la plus cocue dans cette aventure délirante ?

 

 

Le mot démocratie n’appartiendrait-il pas au cercle édifiant des « mots vertueux » ? Le sociologue Michel Cattla[1] écrit que le mot « innovation » serait un de ces mots vertueux, comme projet, réseau, développement durable, qu’on met et qu’on trouve un peu partout sans qu’on puisse d’emblée à la lecture du texte leur attribuer une définition stricte et sans qu’apparaisse un sens « éclatant ». Ce sont des mots qui sont plein de sens pratique pour les uns, c'est-à-dire qu’ils permettent d’orienter et de mettre en œuvre les objectifs d’un projet, et qui pour les autres sont des mots au sens abscons qui ne réfèrent à rien de précis. Mais, quoiqu’il en soit ils ne sont jamais sans impliquer les acteurs parce que, pour le moins, ces mots sont créateurs de représentations sociales qui ont affaire autant avec le cognitif qu’avec l’affectif, dès lors il se crée un dispositif rhétorique qui lie les personnes, des orateurs jusqu’aux auditeurs et organise leur démarche, ici leur choix électoral.

Ainsi, il en va de « démocratie » enserrée dans des dispositifs rhétoriques constitutifs d’une communication de persuasion : il s’agit d’engager le public et de laisser un impact durable. Peu importe de sens initial du concept, le mot est utilisé pour convaincre et soumettre les soutiens de l’adversaire : les partis extrémistes (LFI, RN) desserviraient la démocratie. On utilise alors « démocratie » pour disqualifier l’adversaire et éviter les sujets de la discussion dans le cadre d’un véritable glissement sémantique ou glissement de sens d’autant que le un mot a acquis au fil du temps un sens différent de celui d'origine. On joue donc ici sur la polysémie du mot.

Une démocratie, pour reprendre les idées de Cornélius Castoriadis, n’est pas une « chose faite » (comme peuvent l’être un objet ou un concept immuable et figé), elle est un processus qui repose sur un régime qui réalise l'autonomie collective et suppose l'auto-gouvernement du peuple. Elle est le régime politique qui correspond à « une société autonome, autogouvernée et auto-instituée[2]. Ceci, pose la question de la validité de la démocratie représentative dont Castoriadis pense qu’elle est contradictoire dans ses termes mêmes. La démocratie représentative  que nous vivons dans les pays occidentaux outre la contradiction de termes soulevées, présente le défaut assez fondamental d’être « conçue comme compétition entre des partis, sur le modèle de la démocratie libérale, si bien résumé par la formule de Schumpeter : “le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple[3]” ». Force est de constater, comme le rappelle Arnaud Tomès[4], qu’il y a depuis quelques années une crise de légitimité du mouvement politique qui repose essentiellement sur le rejet de cette « démocratie représentative » dans laquelle les représentants représentent de moins en moins les représentés ; cette crise de légitimité a pris différentes formes depuis le mouvement des Indignés en Espagne jusqu’à celui des Gilets Jaunes en France.

La dissolution voulue par le président Macron comme un mouvement qui consistait à redonner la parole aux citoyens aurait été une bonne stratégie si elle avait correspondu à une démarche sincère. Loin de là, la démarche n’était que stratégique face à l’échec du parti macroniste à l’élection « européenne » qui marquait un fort rejet de la politique conduite par Emmanuel Macron ainsi qu’un rejet de sa personne et de son mode de gouvernance. Cette dissolution a été une tentative du quitte ou double qui visait à donner à un président déliquescent une majorité à l’Assemblée nationale, majorité qu’il n’avait pas obtenue après sa réélection en 2022. Cette démarche relativement démocratique au sens d’un processus d’autonomie des citoyens qui reprendraient en main leur destin, n’avait en fait qu’un objectif antidémocratique en visant à restaurer la suprématie du prince. Ainsi nous avons pu constater la faiblesse des arguments du camp macroniste pour reconquérir les électeurs perdus depuis sept ans. Alors qu’elle arme utiliser ?

Quand on manque d’arguments il faut disqualifier son adversaire. Caractériser la France Insoumise d’antidémocratique et d’antisémite a été une arme forte bien colportée par les médias ; il en a été fait de même vis-à-vis du Rassemblement national. On diabolise à tout va sans s’intéresser aux programmes politiques. Mais, face à des sondages qui annonçaient une majorité à l’Assemblée pour le RN, face à des citoyens qui semblaient peu sensibles aux tentatives de diabolisation du RN, il fallait trouver un allié de circonstance. Le Nouveau Front Populaire, dont la création mériterait d’être regardée avec une loupe, représentait l’allié tant désiré et tellement utile : qui dans ce congloméra de partis politiques génétiquement en désaccord permanent refuserait de faire barrage au RN ? Là, autant chez Macron que chez les coéquipiers d’opportunité de LFI, on fut atteint d’une amnésie profonde qui fit oublier tous les noms d’oiseaux qu’on adressait, hier encore, à LFI qui par la grâce de la stratégie politicienne n’était plus antisémite, plus antidémocratique.

On demanda alors aux candidats du NFP élus au premier tour de l’élection de se désister, en cas de triangulaire, au profit du candidat macroniste. Ainsi, celui qui avait pris une gifle monumentale au premier tour retrouva de la couleur au deuxième tour et, surtout le RN frisa d’être défait, en tout cas il n’eut pas de majorité : la démocratie était sauve dirent les politiciens installés et leurs affidés des médias. La France pouvait souffler, elle venait d’échapper au pire. La démocratie a-t-elle vraiment gagné ?

Dans ce micmac politicien la démocratie vue comme un système institutionnel a sans doute gagné d’être encore là avec les mêmes politiciens. Pour combien de temps ? La démocratie comme processus dans lequel la parole du citoyen est prépondérante a perdu, une fois encore, les citoyens s’étant laissé entrainer dans la spirale infernale d’un président autant narcissique que mégalomaniaque et dupés par des partis politiques dont le but essentiel est de se maintenir en place avec leurs politiciens attitrés.

La démocratie n’a obtenu qu’une victoire provisoire, personne ne sait de quoi demain sera fait au vu du bazar engendré par l’échec de Macron qui espérait qu’une majorité sortirait du scrutin. Loin d’avoir une majorité la France a hérité d’un ensemble de trois (ou quatre si on compte LR) minorités. Alors, les magouilles politiciennes (comment appeler les tentatives d’alliance contre-nature) sont reparties de plus belle pour le choix d’un premier ministre ; à gauche la valse des égos bat son plein pendant que Macron recommence à diaboliser, par l’intermédiaires de ses sbires, LFI essayant ainsi une vraisemblable soumission complice du PS où Raphaël Glucksmann (soutien inconditionnel d’Israël) est assez proche de la philosophie libérale de Macron, et où François Hollande le recalé de 2016 vient soutenir ce qu’il vilipendait la veille (Olivier Faure qu’il déteste, et Macron qu’il n’aime guère) tel un zombie qui joue la reconquête. EELV qui se verrait bien attribuer un portefeuille ministériel pour redorer une image de plus en plus ternie au fil des élections, se joint à la collusion macroniste.

La gauche qui n’a pas hésité à cocufier ses électeurs en leur demandant, une fois encore, d’aller voter pour Macron, a largement contribué à ternir la démocratie et à renforcer la crise de la légitimité de la représentation et de la politique. Relevons qu’au-delà des partis politiques les électeurs sont niais, nigauds, idiots et extraordinairement soumis. Ils ne voulaient plus de Macron alors il fallait prendre le risque d’un RN majoritaire en votant blanc, la leçon aurait été sévère pour les politiciens. Mais voilà, personne ne se souvient (d’ailleurs qui les a lus) des propos de Simone Weil[5]  : « Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice. La pression collective est exercée sur le grand public par la propagande. Le but avoué de la propagande est de persuader et non pas de communiquer de la lumière. »

 

 

[1] Catlla, Michel. « Action publique régionale et nouveau management public : le cas de la rhétorique de l'innovation », Sociologies pratiques, vol. 10, no. 1, 2005, pp. 77-95.

[2] Cornelius Castoriadis, « Quelle démocratie ? », in Cornelius Castoriadis, Figures du pensable. Les carrefours du labyrinthe, 6, Paris, Seuil, 1999.

[3] Tomès, Arnaud. « Démocratie radicale et représentation chez Cornelius Castoriadis et Ernesto Laclau », Raisons politiques, vol. 75, no. 3, 2019, pp. 45-61.

[4] ibd.

[5] Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques.

21 Apr 2024

Guide Complet sur le Harcèlement en Ligne Destiné aux Parents

Une lectrice de mon blog (https://lecolecestquoi.blogspot.com/ ) dédié à l’école et à l’éducation m’a indiqué un article consacré au cyberharcèlement écrit par Eric RAUE.

Eric Raue n’est pas enseignant, ni psychologue, ni sociologue, est rédacteur sur le site de WizCase (WizCase.com) qui est un site dédié à l’aide à apporter aux usagers afin qu’ils puissent faire des choix éclairés en matière de cybersécurité pour qu’ils demeurent, ainsi que leurs données, en sécurité. Eric Raue se passionne pour les nouveaux moyens de développer l'humanité grâce à la technologie. Il a beaucoup écrit d’analyses de logiciels VPN et des antivirus, des conseils, des guides, et bien plus encore.

Aujourd’hui il propose (en ligne) un « Guide Complet sur le Harcèlement en Ligne Destiné aux Parents : https://fr.wizcase.com/blog/guide-complet-sur-le-harcelement-en-ligne-destine-aux-parents/

Ce guide est intéressant et propose de bonnes pistes pour permettre aux parents et aux enseignants de faire face au fléau lorsqu’il atteint leur enfant, mais il est aussi utile en matière de prévention.

On pourra regretter que toutes les références à des études, des articles spécialisés et aux statistiques soient américaines ; Eric Raue comme WizCase semblent bien être américains même si l’article est en français parce que publié sur la page française de WizCase.

Un guide clair, facile d’accès qui aidera les parents à prévenir et à réagir face au cyberharcèlement.

 

 

 

07 Apr 2024

Avant Jules Ferry il y avait des écoles

Dans mon précédent billet, où je voulais montrer la place historique de l’enseignement privé comme supplétif d’un enseignement public qui soit n’existait pas encore soit était insuffisant pour répondre à la demande sociale, je donnais l’exemple de l’évolution des écoles dans la petite ville de Tullins-Fures, je précisais notamment l’intérêt, dès le 17° siècle, que les édiles locaux portaient à « l’école ». Cela me valut une critique acerbe de la part de certains de mes lecteurs, je cite l’un d’eux : « Vous n’avez pas l’air au courant que c’était comme ça partout, en France, les ordonnances et déclarations royales… », puis, suit une liste assez impressionnante de décisions issues d’ordonnances royales dont aucune n’est datée, ce qui est une grave erreur lorsqu’on traite d’histoire, et certaines assertions me semblent entachées d’erreurs voire pourraient passer pour être des contrevérités. Comme l’explique Jean Baubérot[1] dans un billet de blog je ne suis pas hostile aux commentaires qui souvent enrichissent ma réflexion, mais si je ne suis pas hostile aux commentaires même les plus critiques, encore faut-il qu’ils soient totalement justifiés.

 

Tout d’abord, je voudrais souligner le fait que lorsque je cite les écoles de Tullins-Fures je ne le fais qu’à titre d’exemple et non pas pour montrer ce qui serait une exclusivité dans un monde de néant. Dans le contexte de ce billet, cet exemple joue un rôle crucial ; il est une illustration concrète qui permet de mieux comprendre la situation et l’évolution des écoles et plus largement du système scolaire. Il permet aussi, dans une certaine mesure, de soutenir les arguments que j’avance. Enfin, il permet aux lecteurs de comprendre ou pour le moins d’envisager dans les grandes lignes les étapes de l’évolution du système éducatif en France. Si je comprends qu’on puisse abonder l’exemple que je donne par un autre exemple, par contre il ne me semble pas pertinent de les opposer l’un et l’autre comme le fait le commentateur de mon texte lorsqu’il écrit : « Dans les villes, les collèges (enseignement secondaire) qui étaient municipaux comme celui de l’Esquille à Toulouse faisaient l’objet régulièrement d’une concession pour plusieurs années entre des ordres religieux concurrents : jésuites, oratoriens, bénédictins, ou autres, qui présentaient un projet, un programme, les enseignants, un prix. Exactement comme actuellement pour les cantines qui sont concédées à des chaînes concurrentes comme Sodexo, Elior, Compass, ou autres. Le conseil de la municipalité (échevins, consuls, capitouls) votait pour la meilleure proposition. » On ne peut pas opposer ces deux exemples ne serait-ce que par la nature et l’importance des villes d’où ils proviennent : Tullins‑Fures petite ville rurale qui atteignait péniblement, en 1793, 3500 habitants (ce qui était déjà une ville importante) face à Toulouse où la population en 1790 s’établit à 52 439 habitants[2]. L’exemple possède la valeur et l’intérêt que je décris plus haut, il perd l’un et l’autre s’il doit être opposé un autre exemple sans qu’il y ait de similitude entre les deux : ici, de population, d’organisation administrative et politique, de développement économique, de puissance des différentes parties prenantes… Opposer ces deux exemples est un non-sens scientifique, pareillement à la comparaison entre les « concessions » que pouvaient obtenir des ordres religieux pour enseigner dans la ville avec les concessions de service public donné dans le cadre des cantines scolaires. Pour qu’il y ait concession de service public il faut qu’il y ait un service public.

Mon aimable commentateur nous indique que : « c’était comme ça partout, en France, les ordonnances et déclarations royales : — imposaient l’enseignement obligatoire et gratuit pour tous les garçons et toutes les filles, sauf dérogation de l’évêque pour les parents justifiant que leurs enfants l’étaient déjà à domicile ou dans un collège, — obligeaient toutes les communautés d’habitants (campagne) et municipalités à engager un maître d’école (et une maîtresse pour les filles au-dessus d’un nombre d’enfants), — les autorisait à lever sur tous les foyers de la paroisse, même sans enfant scolarisé, un droit d’écolage pour payer leurs gages et leur maison… » : quelles sont ces ordonnances, à quelles dates furent-elles promulguées ? On ne peut pas « faire un paquet d’ordonnances » sans référer à l’autorité qui les prit et à « l’ambiance » culturelle de l’époque : quelles similitudes entre Charlemagne et Louis XIV, quelles similitudes dans l’organisation sociale et administrative à ces deux époques, la France de l’un n’était pas celle de l’autre (le Dauphiné ne rejoint le royaume que lorsque le Dauphin Humbert II le céda à la couronne en 1349 ? Étudier l’évolution de l’enseignement et l’évolution des écoles en tant que structures permet de mettre en évidence comme l’écrit Antoine Léon[3] : qu’« il paraît cependant difficile de préciser l’origine et les transformations des structures ou des programmes sans se référer constamment à l’histoire générale, tant il est vrai que les institutions scolaires constituent, à la fois, un reflet et un facteur de développement de la société. »

Lorsqu’on étudie la genèse du système scolaire France on ne peut pas faire l’impasse sur la Gaule romaine pas plus que sur les premières écoles chrétiennes et la création des universités, médiévales. Ainsi, Philippe Ariès écrit dans sa préface au livre d’Eugenio Garin[4] : « une histoire sans doute simplifiée, mais non pas fausse, de l’enseignement et de la vie des écoliers, pourrait bien négliger l’humanisme et conserver seulement le grand fait essentiel, à savoir qu’il existait ce type d’école pour les litterati depuis l’époque mérovingienne jusqu’au XVIIIe siècle, pendant plus d’un millénaire, et que c’est l’école latine. Il n’est pas inutile de suivre son évolution, ses réformes, les perspectives de ces programmes, mais il important avant tout de comprendre que pendant cette longue période, la seule langue scolaire était le latin. Tout le reste, y compris la langue et la littérature nationale était transmis par d’autres moyens que l’école. Cela veut dire que ni Ronsard, ni Malesherbes, ni Corneille, ni même Voltaire (quoiqu’il faille ici nuancer) n’ont appris le français à l’école. » Outre les jalons chronologiques, l’histoire de l’école ne peut se départir ni de la société dans laquelle apparaissent des contenus d’enseignement pas plus que de son organisation politique et administrative.

Ici ou là, des écoles sont apparues nous dirons spontanément, d’autres étaient le fait d’une impulsion donnée par une autorité étatique ou le plus souvent religieuse. Comme ce fut le cas, écrit Eugénio[5] Garin, avec « l’admonitio généralis de 789, où Charlemagne remettra en vigueur et complétera certaines dispositions préexistantes mais inappliquées, en imposant l’ouverture d’écoles où l’on apprend à lire aux enfants. En 529 déjà, le concile de Bezons stipulait que l’on étendit partout une coutume italienne fort salutaire, selon laquelle les prêtres des paroisses devaient recevoir de jeune célibataire et leur enseigner les psaumes et la loi du seigneur « de façon à se ménager de dignes successeurs ». Les capitulaires de 802 stipulent que « tous les fidèles peuvent envoyer leurs enfants étudier les lettres jusqu’à ce qu’ils les aient apprises ». L’Anglais Alcuin[6] conseille des classes séparées et des maîtres différents pour l’enseignement de la lecture, de l’écriture et du chant. Les écoles de cette période voyaient apparaître, en France, une pédagogie chrétienne catholique dont la perspective était de défendre la religion menacée par différents organismes et surtout par le protestantisme ; il s’agissait donc de former les membres du clergé, en même temps l’Église pensait qu’il était bon d’instruire les enfants pour les sortir de l’obscurantisme, donc on multiplia ces écoles au cours du Moyen Âge, parallèlement à la multiplication des écoles et à l’évolution du niveau culturel des ecclésiastiques on observait que l’autorité de l’Église se renforçait.

On peut alors distinguer trois types d’écoles : les écoles monastiques ou claustrales qui étaient installées dans des monastères accueillants dès le début du IVe siècle des enfants susceptibles d’entrer dans les ordres. L’éducation monastique fut introduite en Gaule par les disciples de Saint-Benoît et du moine irlandais Saint Colomban, on vit alors des monastères bénédictins s’édifier à Marseille, Arles, Uzès, Lérins, etc. À la même époque furent créées des écoles épiscopales encore appelées écoles cathédrales qui se présentaient comme de petits séminaires qui furent le ferment de la création des universités médiévales. Enfin, il y avait les écoles presbytérales ou paroissiales qui sont essentiellement apparues au XVIe siècle après le deuxième concile de Vaison (529) qui prescrivait « à tous les prêtres chargés de paroisse de recevoir chez eux, en qualité de lecteurs, des jeunes gens, afin de les élever chrétiennement, de leur apprendre les psaumes et les leçons de l’Écriture, et toute la loi du seigneur, de façon à pouvoir se préparer parmi eux de dignes successeurs ». On voit donc que la création des écoles répond d’abord au besoin que l’Église avait de renforcer sa position dans la société ainsi que son pouvoir, et avec les écoles paroissiales on voit, contrairement au commentateur de mon premier billet, que les prêtres chargés de paroisses c’est-à-dire les curés étaient bien invités à prendre en charge l’instruction des enfants de leur paroisse. S’il s’agit de former les futures membres du clergé, pour autant tous leurs élèves ne se destinaient pas à une fonction ecclésiastique.

Après la mort de Charlemagne, l’instabilité et l’insécurité que connut l’ex-empire entraîneront entre autres une stagnation de la vie intellectuelle et un quasi-arrêt du développement des institutions scolaires. Alors que la monarchie capétienne s’organisait durant les onzièmes et douzièmes siècles, le haut clergé voit ses prérogatives s’accroître et son monopole sur l’enseignement se renforcer. L’administration scolaire, si on peut s’exprimer ainsi, dépend de la compétence exclusive de l’évêque. C’est durant les troisièmes et quatrièmes conciles du Latran (1179-1215) qu’apparaît une véritable politique scolaire mais essentiellement au service de l’Église, elle était financée par un bénéfice ecclésiastique[7] afin qu’un maître puisse donner gratuitement des leçons aux clercs de cette église mais aussi aux écoliers sans ressources. Ouvrons une parenthèse pour souligner que s’il y avait bien une intention d’amener vers l’instruction scolaire (et surtout religieuse) des enfants pauvres, dans les faits ceux-ci furent extrêmement peu nombreux à rejoindre les écoles tant les travaux agricoles dans les zones rurales que ceux manufacturiers dans les villes les retenaient pour notamment apporter un complément de revenus à la famille. C’est dans ce contexte que l’on voit apparaître les premières corporations enseignantes.

La multiplication des universités au Moyen-Âge et surtout l’augmentation du nombre des étudiants et des enseignants ainsi que l’impact de la réputation de certains professeurs, comme en droit avec Cujas, qui firent que ces établissements échappaient petit à petit à l’autorité de l’évêque. Il fallut donc une nouvelle organisation, tant pour les universités que pour les écoles (petites écoles comme collèges), ainsi de nouvelles règles apparurent notamment celles concernant l’accès à la fonction enseignante : il fallait pour ouvrir une école avoir suivi pendant 5 à 7 ans d’enseignement d’un Maître confirmé, être titulaire de la licentia docendi (licence d’enseigner). Si, à cette époque le Pouvoir Royal intervient dans ces universités c’est essentiellement pour régler les démêlés entre les étudiants et la police. Les professeurs comme les étudiants bénéficiaient de privilèges qui furent confirmés par Philippe Auguste et par Saint-Louis, mais que Louis XI limita, deux siècles plus tard, en étendant la compétence du Parlement et en renforçant l’autorité du prévôt de Paris pour ce qui concerne l’université de Paris, il fit de même pour l’université de Valence en Dauphiné dont il fut à l’origine de la création en 1452. Mais aucun de ces trois rois ne manifesta de réel intérêt pour les petites écoles ni pour les collèges saufs quand ces derniers concurrençaient trop fortement la Faculté des Arts qui préparait à trois grades dont le premier, s’adressant à des étudiants âgés entre 14 et 16 ans, est sanctionné par la « déterminance » qui, au XVe siècle, prit le nom de baccalauréat. La délivrance des grades (des diplômes) se fait sous l’autorité de l’évêque et pas sous celle du Roi ni de son représentant ; l’évêque étant chancelier de l’université.

Un regard schématique sur l’évolution des universités en France au Moyen Âge permet de camper le paysage tant politique que sociologique de l’évolution de l’organisation scolaire du pays. Le développement de l’université a permis une accélération du développement de ces écoles. Tout d’abord l’université a été un incroyable « bouillon de culture » qui sans nul doute a été sinon à l’origine du moins a accompagné « un ensemble de transformations socio-économiques, politiques, idéologiques et culturelles[8]. » Ces transformations ont entraîné de nouveaux besoins relatifs à la qualité de l’enseignement, mais surtout de nouvelles demandes et conséquemment de nouvelles offres de formation. Un nouvel idéal éducatif apparut et fut notamment porté par les Jésuites au sein des collèges qu’ils ont ouverts. La création de ces collèges dont certains sont venus concurrencer très directement les Facultés des Arts, a permis la mise en place et l’essor de l’enseignement dont on peut sans doute dire qu’il était plus pragmatique que son prédécesseur, plus tourné vers les besoins de la société. L’essor de cet enseignement entre aussi en résonance avec le développement des luttes religieuses inaugurées par la Réforme ; conséquemment le Pouvoir Royal s’intéresse aux questions scolaires parce qu’il prend part aux luttes religieuses et « s’efforce de rattacher le domaine de la foi à une conception totale de l’unité nationale[9]. » Il est une autre composante de la société qui s’intéresse au développement des écoles : la « bourgeoisie » qui a émergé petit à petit au sein des villes. Cette bourgeoisie, surtout ce que certains appellent la grande bourgeoisie, va entraîner notamment au XVIIIe siècle un remaniement de valeur pédagogique. On va alors s’intéresser, parce que (schématiquement) l’enfant doit prendre la succession du père dans les affaires ou qu’on espère pour lui l’accès à une fonction juridique (par exemple), à « un enseignement ouvert sur la vie, des programmes réalistes, répondant aux exigences d’une société fluide[10]. » C’est dans les collèges tenus par les Oratoriens et les Jésuites que les « bourgeois » trouveront satisfaction à leur demande. Le développement des collèges fut tel avec un développement considérable des congrégations enseignantes, que le corps universitaire ne pouvait pas échapper à la désagrégation ; c’est comme le rappelle Antoine Léon « le plus souvent dans des établissements indépendants de l’université qu’on peut trouver un enseignement secondaire ou supérieur de qualité. »

Dans ce paysage, l’enseignement primaire conçu à la fois comme une œuvre de charité et comme un instrument de prosélytisme au service de l’Église, ne donne lieu qu’à des réalisations extrêmement modestes ; on est très loin d’un système scolaire qui aurait été voulu par la royauté et qui se serait développé au service de toute la population. Les petites écoles, n’ont connu de réel développement qu’à la toute fin de l’Ancien Régime. Pour autant il serait faux de dire que les rois n’auraient pas eu de politique scolaire, nous avons vu plus haut ce qu’il en fut pour Charlemagne par exemple. Le premier roi pour lequel on peut écrire qu’il s’est véritablement intéressé au système scolaire c’est François Ier (nous sommes déjà au XVIe siècle) qui est intervenu très directement dans le processus de rénovation culturelle en imposant l’usage de la langue française dans les actes judiciaires et dans les registres de baptême, et surtout en instituant le Collège des lecteurs royaux en 1529 qui deviendra le Collège de France. Là, il faut rappeler que la fin du règne de François Ier est marquée par le début des affrontements entre catholiques et protestants ce qui n’est pas anodin pour le sujet qui nous intéresse ici. Luther avait vu qu’une instruction obligatoire était la condition indispensable pour une authentique éducation chrétienne et le développement de la religion protestante. Alors au moment où de nombreuses écoles de l’Est et du Midi de la France sont touchées par le protestantisme, l’Église catholique doit réagir et elle le fait au moment du concile de Trente ans décidant de créer dans chaque église « une petite école dans laquelle le Maître, précepteur choisi par l’évêque, enseignera gratuitement aux enfants pour la lecture, l’écriture, la grammaire, le chant, le calcul » ; ce faisant l’Église catholique veut lutter autant contre l’obscurantisme que contre le développement de la Religion Réformée. L’Église obtiendra le soutien du Pouvoir Royal puisqu’« en sa qualité de roi très chrétien, de roi obligé par serment de défendre l’église et par conséquent de faciliter l’instruction religieuse de ses sujets[11]. » L’Édit de Nantes (1598) permet aux protestants d’ouvrir des écoles publiques. En même temps le pouvoir royal, par les statuts qu’il impose à l’Université, conforte la mainmise qu’il a sur elle et affirme la sécularisation de l’éducation.

L’arrivée au pouvoir de Louis XIV est marquée, en matière d’école, par un succès grandissant des Jésuites et des écoles protestantes qui seront finalement interdites par la révocation de l’Édit de Nantes. Beaucoup de ces écoles protestantes continuaient leur activité de façon clandestine, il fallait donc que le pouvoir royal trouve une parade ; Louis XIV prescrit l’obligation scolaire jusqu’à 14 ans dans son ordonnance de 1698 espérant ainsi la conversion des enfants vivant dans les régions où le protestantisme s’était particulièrement développé. On voit alors prospérer deux congrégations religieuses qui se consacrent à l’enseignement gratuit des enfants pauvres : la Congrégation des Frères de Saint-Charles fondée à Lyon en 1666 par Charles Démia et l’institut des Frères des Écoles chrétiennes créé à Reims en 1680 par Jean-Baptiste de la Salle. Le pouvoir politique, en particulier le ministre Colbert, prend de la distance avec les collèges auxquels on reprochait d’instruire trop d’enfants ce qui « présentait un risque pour l’économie nationale et semblait compromettre le recrutement de la main-d’œuvre manuelle nécessaire à la production[12]. » On pensait donc qu’il y avait trop de collèges, toutefois le recensement des collèges organisés par Colbert n’entraîna pas de fermeture notamment en raison de la crainte de voir les villes protester. Cependant la suppression de la Compagnie de Jésus en 1764 entraîna la fermeture de nombreux collèges.

 Après la mort de Louis XIV, le régent et Louis XV continu la politique de coercition vis-à-vis des écoles protestantes, et maintiennent une préoccupation forte à séculariser l’enseignement et à réglementer la vie universitaire. C’est ainsi qu’au niveau des écoles élémentaires, l’Intendant du Roi, en tant qu’il est tuteur des villes et des communautés rurales intervient à côté de l’évêque dans la vie des écoles, là où il y a des écoles. Mais l’intervention du Pouvoir Royal concerne essentiellement l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur : en 1719, par exemple, le roi instaure la gratuité des collèges universitaires de Paris, il crée des concours d’agrégation en 1766 pour les maîtres ès arts qui voulaient occuper une chaire, et il fonde diverses écoles techniques et militaires. À la même époque de nombreux ouvrages de pédagogie et des projets d’organisation de l’enseignement sont publiés à foison, je ne citerai que deux ouvrages : l’Essai d’éducation nationale (1763) écrit par de La Chalotais et le Mémoire sur l’éducation publique (1764) de Guyton de Morveau. Ces deux ouvrages, sans doute plus célèbres à l’époque que l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, montrent l’état de la réflexion autour de l’éducation et de l’organisation d’un système scolaire national. Pour autant, ce ne sont que des ouvrages de « penseurs », et en aucun cas des textes réglementaires issus du Pouvoir Royal. Il faut attendre Turgot, ministre de Louis XVI, pour voir s’esquisser une structure étatique de contrôle, il préconisait l’organisation d’un conseil qui serait en quelque sorte une tutelle des Académies (comme l'Académie royale des Sciences), des universités, des collèges et des petites écoles. Mais l’idée d’une éducation nationale ne se concrétisera que dans les projets des législateurs de la Révolution de 1789.

On peut avancer l’idée que le Pouvoir Royal avait une volonté d’instituer un système national pour l’éducation des enfants du pays avec des écoles de plus en plus normatives. L’ordonnance de 1698 marque à la fois l’intérêt du Pouvoir Royal pour les collèges et les universités, et un intérêt fort pour l’instruction élémentaire dans la mesure où elle décrète l’instruction pour tous, en ordonnant que soit établi « autant il sera possible des maîtres dans toutes les paroisses où il n’y en a pour instruire tous les enfants. » Mais il ne faut pas négliger le fait, comme le rappelle Jean de Viguerie[13], que le Pouvoir Royal, en soutien à l’Église, « attend d’abord des petites écoles, qu’elles christianisent le peuple et qu’elles convertissent les enfants des protestants. » L’ordonnance de 1698 peut être considérée comme la traduction d’une politique d’éducation voulue et promulguée par Louis XIV ou peut être moins considéré comme une politique d’éducation que comme un outil de la politique royale à l’encontre des protestants ; elle intervient 13 ans après la révocation de l’édit de Nantes en réaction justement à la continuation en clandestinité des écoles protestantes, et cette ordonnance de 1698 avait été précédée le 21 juillet 1683 par une déclaration du roi « portant que les enfants de ceux de la religion prétendue réformée qui auront fait abjuration, seront instruits en leur religion ». Dans cette déclaration le Pouvoir Royal relève que des protestants qui se sont convertis à la religion catholique négligent de faire instruire leurs enfants dans la religion catholique et les laissent soit sans éducation soit aller vers les écoles protestantes. Ainsi les « petites écoles » ont prospéré là où elles pouvaient être implantées sous l’impulsion des congrégations enseignantes. Par exemple, l’institut fondé par Jean-Baptiste de la Salle comptait, à la veille de la révolution, 760 religieux qui assuraient dans 114 maisons la formation primaire à un peu plus de 30 000 élèves. Les congrégations étaient confrontées aux capacités des villes ou des communautés rurales à pouvoir disposer d’un local et à leur capacité à rémunérer les enseignants. Ces derniers se répartissaient en deux grandes catégories : les membres des congrégations enseignantes qui recevaient une initiation pédagogique au cours de leur noviciat dans les congrégations, et les laïcs (souvent dénommés régents d’école) qui n’avait de formation que celle acquise auprès de celui qui avait été leur maître lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves. En Dauphiné, par exemple, on recrutait les maîtres d’école hors proposition des congrégations, soit par « candidature spontanée » ou par connaissance ou des régents que l’on recrutait à l’occasion de la foire aux régents. Dans ces foires on y distinguait ceux qui savaient lire et qui portaient une plume à leur chapeau, ceux qui savaient lire et écrire qui portaient deux plumes à leur chapeau et enfin ceux qui savaient lire et écrire et compter et qui portaient trois plumes à leur chapeau. Dans ces régions alpines les régents d’école étaient souvent, si l’expression m’est permise, des saisonniers : l’été ils travaillaient à la ferme, l’hiver la rudesse du climat empêchant les travaux des champs ils allaient, la fin de l’automne venue, louer leurs services à la foire aux régents. Une cartographie des petites écoles montrerait une forte disparité entre les régions, entre les villes et les villages, plus généralement entre les territoires en fonction de la richesse économique de ceux-ci, et permettrait de mettre en évidence que les écoles tenues par des maîtres des congrégations enseignantes se situaient essentiellement dans des villes suffisamment importantes pour avoir une activité économique permettant de rémunérer des maîtres des congrégations, alors que les régents étaient recrutés très majoritairement par de petites communautés rurales. On voit donc que s’il y avait une volonté royale de développer « l’enseignement primaire », il n’y avait pas une volonté étatique de mettre en place un système scolaire homogène pour répondre à un besoin d’éducation qui aurait été bien cerné. Mais répétons-le, les petites écoles se sont développées, les petites communautés rurales ont de plus en plus fréquemment fait appel à un régent au moins pendant les mois d’hiver[14], ce qui a permis certains résultats en matière d’éducation du peuple que l’on peut mesurer par exemple avec l’analyse de la présence d’une signature sur les actes de mariage : en 1686 peut dénombrer 21 % des actes de mariage signés, ils passent à 37 % cent ans plus tard, l’évolution est importante pour autant elle ne concerne qu’une petite partie de la population, ce qui est loin de l’assertion du commentateur de mon billet qui laisse penser, au vu de ce que furent ses aïeux, que la France entière était alphabétisée. Cette analyse conforte aussi les disparités territoriales que j’évoquais comme l’indique Antoine Léon : « Il va sans dire que ce pourcentage varie sensiblement selon le sexe et la région. À travers cette analyse on voit aussi que l’instruction des filles, d’une façon générale, est moins organisée que celle des garçons, on relève que les signatures des épouses sont deux fois moins nombreuses que celle des époux. Il faut noter à cette occasion que lorsqu’une communauté ne pouvait pas ouvrir deux écoles, seule une école pour les garçons était ouverte. Certes les congrégations comme celle des Ursulines accueillaient les filles pauvres mais encore fallait-il qu’une école tenue par elles soit ouverte.

 

Comme le relève Jean de Viguerie[15], « au début, la monarchie se borne à protéger les écoles, puis elle les contrôle parce qu’elle les protège, enfin elle les gère pour mieux les contrôler. Il y a donc une tendance à l’étatisation. Mais on ne saurait ici faire la part de ce qui revient à une politique délibérée ou à une volonté de puissance, naturelle à tous les États. » La volonté du Pouvoir Royal de voir « exploser » le nombre d’écoles dans le royaume est indéniable mais les analyses sur le terrain montrent, même si le nombre d’écoles a considérablement augmenté et porté ses fruits en termes d’alphabétisation, qu’il n’y eut pas « d’explosion » pas plus que l’on peut parler d’instruction obligatoire et d’instruction gratuite malgré les listes de gratuité. En tout cas il ne s’agissait pas « d’un service public » au sens où le droit moderne l’entend[16]. Ce n’est qu’au moment de la Révolution que les questions d’enseignement prennent une vraie dimension nationale et étatique et qu’apparaissent quelques velléités de constitution d’un service public, sans pour autant connaître tellement plus de succès que la politique voulue par le Pouvoir Royal. Avec la survenue de la Révolution une page de l’histoire des écoles en France se tourne et une autre s’ouvre. L’œuvre de la Révolution, puis de l’Empire et du 19e siècle dans son ensemble repose sur des mouvements philosophiques qui imprègnent la pensée politique et, concernant l’éducation des enfants et l’école installe durablement une pensée « pédagogique » où on s’intéresse beaucoup aux finalités de l’éducation et aux méthodes. On observe alors que l’État s’affranchit de plus en plus de sa dépendance vis-à-vis de l’Église, qu’il organise de plus en plus la société notamment en prenant en charge la gestion d’un système scolaire par la nomination d’un directeur de l’instruction publique subordonné au ministre de l’Intérieur (loi du 3 brumaire an IV - 25 octobre 1795), qui deviendra un ministre de l’instruction d’abord sous la tutelle du ministre de l’Intérieur, avant d’être indépendant par l’ordonnance du 28 août 1824 qui crée le ministère des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique. L’école s’étatise dans l’idée d’éduquer le peuple pour le maîtriser comme le disait Bonaparte : « je me crois obligé d’organiser l’éducation de la génération nouvelle de manière à pouvoir surveiller ses opinions politiques et morales » et en créant dès 1808 un corps enseignant du secondaire public. Puis il y eut la guerre et surtout la défaite de 1870 qui pour les Républicains avait pour principale cause l’insuffisante instruction du peuple : « c’est l’instituteur prussien qui a gagné la guerre », pour les catholiques c’est la déchristianisation qui est la cause de la défaite. Ainsi arrivent avec Jules Ferry les grandes lois scolaires qui confirment l’ancrage de l’école publique dans l’État et dans la société, en quelque sorte le républicain Jules Ferry achève l’œuvre commencée par le libéral François Guizot en 1833. Désormais l'école sera gratuite, le 16 juin 1881, laïque et l’instruction obligatoire pour tous les enfants de 6 à 12 ans, le 29 mars 1882. C'est l'éducation pour tous, et l'élimination de l'enseignement religieux au sein de l’école. On y enseigne la tolérance et l'égalité "sans Dieu ni roi". C’est la laïcité.

 

[1] Jean Baubérot à propos des commentaires faits sur un de ses billets de blog sur Médiapart : « Un dernier mot sur ma Note « Israël-Palestine, notre responsabilité ». Naturellement, comme un lecteur me le rappelle, en publiant des notes sur Mediapart, je m’expose à des critiques et je les accepte à l’avance (j’ajouterai : tant qu’elles respectent les principes contenus dans le préambule de la Constitution qui constituent notre lien politique). C’est effectivement le cas des remarques, même dures, qui ont été faites. OK. Néanmoins, puisque certain.e.s lectrices/lecteurs se sont déclaré.e.s « déçu.e.s » par ma Note, j’ai le droit égal de leur dire que, moi-même, j’ai été déçu par plusieurs réactions (pas toutes, loin de là). Il y a, me semble-t-il, certainement un malentendu et, peut-être, une divergence. »

[2] Isabelle Caubet, Population, famille et habitat à Toulouse en 1790 dans Toulouse, une métropole méridionale, Presses Universitaires du Midi.

[3] Antoine Léon, Histoire de l’enseignement en France, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je

[4] Eugenio Garin, l'éducation de l'homme moderne (1400 – 1600), Pluriel.

[5] Eugenio Garin, l'éducation de l'homme moderne (1400 – 1600), Pluriel.

[6] Alcuin, né dans le Yorkshire vers 735, et mort à Tours le 19 mai 804) est l'un des moines érudits et enseignants anglo-saxons les plus célèbres du Haut Moyen-Age, et qui fut dans la deuxième moitié de sa vie, l'un des principaux amis et conseillers de Charlemagne (±745-814).

[7] Louis Naurois : « Les bénéfices ecclésiastiques constituent une variété très particulière des biens ecclésiastiques : masse de biens, du type de la fondation, dotée de la personnalité morale et gérée par le bénéficier ; les revenus sont affectés à la subsistance de celui-ci, à charge pour lui de remplir un office et d'affecter à des œuvres pies l'excédent de ces revenus par rapport à ce que requiert son « honnête subsistance ». Certains offices sont par eux-mêmes assortis d'un bénéfice (offices d'évêque, de curé, de chanoine, par exemple) ; d'autres ne le sont qu'à la suite d'une fondation ; pour d'autres enfin, qui ne sont pas accompagnés d'un office, la subsistance du titulaire est assurée par d'autres moyens. » Encyclopaedia Universalis

[8] Antoine Léon, histoire de l'enseignement en France, PUF.

[9] Antoine Léon, histoire de l'enseignement en France, PUF.

[10] Antoine Léon, histoire de l'enseignement en France, PUF.

[11] Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.

[12] Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.

[13] Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.

[14] Les historiens ont pu relever que parfois ce « régent » était aussi tavernier et faisait l’école dans une salle annexe de sa taverne.

[15] Jean de Viguerie, la monarchie française et l'instruction publique, dans Stéphane Rial, le miracle capétien, Perrin.

[16] Maroun Eddé, La destruction de l’Etat, Bouquins, 2023 : « un service public se caractérise avant tout par son accessibilité, liée à sa quasi-gratuité et au principe de « continuité » tel que défini par les pères fondateurs de la IIIe République. La santé, l'éducation, la sécurité étaient alors considérées comme des biens communs suffisamment importants pour justifier que tout le monde y ait accès, sans considération de moyens ou d'origine sociale. C'est l'essence même de notre pacte républicain. »

Constitution et service public | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

Les lois du service public - Carrières Publiques (carrieres-publiques.com)

La notion de service public| vie-publique.fr

 

 

16 Jul 2023

Une cagnotte peut-elle absoudre l’acte de tuer ?

J’ai changé le titre de ce billet : « Nahel valait 1,6 million d’euros » est devenu « Une cagnotte peut-elle absoudre l’acte de tuer ? » Parce qu’un média qui a publié ce billet trouvait ce titre trop provocateur compte tenu de l’ambiance sociétale et politique du moment. Cette position rencontrait celle de nombreux de mes amis qui trouvant le titre certes accrocheur, outre l’aspect provocant, le trouvaient trop éloigné de la substance et de l’intention du texte dans lequel il n’est traité ni de « l’affaire » ni de « l’adolescent » pas plus qu’il ne s’intéresse au « policier et à son action ».

Au-delà du tout parti pris pour telle ou telle situation, en s’éclairant de l’exemple de l’actualité, ce billet tente d’éclairer la question fondamentale du sens social voire politique des cagnottes et de leur rapport avec la morale.

 

Voilà, « Les 1,6 million d’euros ont quitté la plateforme. Les fonds récoltés pour la famille du policier ayant tiré sur le jeune Nahel, dans une cagnotte lancée fin juin et fermée mardi 4 juillet, « ont été retirés par la bénéficiaire », déclare au Parisien GoFundme, qui a hébergé la collecte. Au total, 1 635 680 euros ont été récoltés pour la femme de ce policier, mis en examen pour homicide volontaire. » (Mort de Nahel : la cagnotte d’1,6 million d’euros a été versée à la femme du policier mis en examen - Le Parisien).

Plaçons-nous au-delà du factuel : qui était Nahel, qui est ce policier, que dit la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique qui a étendue l’autorisation d’usage de leur arme par les policiers, pour tenter de poser un cadre d’analyse du sens qu’a cette cagnotte en faveur de la famille du policier qui, rappelons-le, n’est pas encore condamné.

La cagnotte a d’abord un sens symbolique fort : un policier peut tuer un adolescent de 17 ans et être financièrement récompensé pour cet acte avant même que la justice se soit prononcée sur une éventuelle culpabilité. Pour sûr cela sera de nature à réconcilier les gens, plus particulièrement les jeunes, des « quartiers » avec la police.

Ensuite cette cagnotte montre clairement ce que peuvent être les « gens de droite » qui l’ont lancée et ceux qui la soutiennent : des tenants d’une société mise sous tutelle de la police. Car à bien regarder un tel soutien à l’acte mortel du policier donne un blanc-seing à la police et remise la justice dans un statut de décoration pour vitrine. Imaginons que le policier soit condamné par un tribunal ; comment les tenants de la cagnotte interpréteront-ils cette condamnation sinon en l’opposant à cette espèce de parole populaire qui apporte un soutien sans faille au policier ? Si la cagnotte a atteint un tel niveau c’est que le peuple soutien le policier et que toute condamnation sera non seulement une erreur mais surtout un désaveu de la parole populaire.

Il s’ensuit que cette cagnotte, son lancement et son soutien, pose une question de morale qui se situe au-delà de la cagnotte. Est-il moral à travers elle d’approuver et de soutenir le fait de tuer un adolescent notamment lorsqu’on dispose de « l’autorité publique » ? La société des « gens de droite » et la Justice supportent, dans le silence assourdissant du gouvernement, ce qu’elles avaient refusé en 2019 : « Le Parisien avec AFP, Le 6 janvier 2021 à 17 h 41, modifié le 6 janvier 2021 à 20 h 30 : C'est un appel aux dons qui avait créé la polémique. Après les images chocs où l'on voyait Christophe Dettinger frapper des gendarmes lors de l'acte 8 des Gilets jaunes, une cagnotte avait été lancée pour soutenir l'homme, alors en garde à vue… Si elle a rapidement atteint les 145 000 euros, Christophe Dettinger, dit « Le Gitan de Massy », n'en verra pas la couleur. Ce mercredi, le tribunal a annulé la cagnotte Leetchi ouverte en janvier 2019 pour l'ex-boxeur. » Donc dans une quête morale, où on cherche à distinguer le bien du mal, il devient clair que quelques « marrons » sur le casque de gendarmes mobiles apparaissent plus graves que le fait de tuer un adolescent.

Quand bien même cet adolescent n’aurait pas été un ange, un parangon de vertu (ce qui à ce jour reste à prouver) est-ce qu’on peut ainsi, en toute morale, soutenir le fait de tuer, à bout portant ? On voit là se dessiner une drôle de morale civique : certains (plutôt les nantis financièrement ou investis de fonction) ont des droits supérieurs à ceux des plus pauvres (financièrement et/ou culturellement) de notre société. Mais, malheureusement la chose n’est pas nouvelle : « Selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Jean de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste (1678). » L’inscription, tellement revendiquée par Emmanuel Macron, de la France dans la philosophie des Lumières où l’égalité devant le droit prime sur les privilèges de quelques-uns, est bafouée par cette cagnotte, au moins au moment où elle est lancée.

La cagnotte aurait été lancée après que le policier ait été condamné, l’aurait-elle rendue plus morale ? Je ne crois pas, c’est globalement le rapport de ces cagnottes à la question de la morale qui est posé, d’autant que dans le cas présent la cagnotte en faveur de la famille du policier qui atteint une somme faramineuse (environ 76 années de SMIC brut, soit 98 années de SMIC net), entraîne ou confirme une fracture importante dans la société en France. Mais on sait que celui qui a lancé cette cagnotte, et qui rêve de « nettoyer » le pays, n’est pas un parangon de vertu et qu’il n’est pas mu par un fort sens moral ; il en est de même pour les médias et les journalistes (en particulier CNew et BFM) pour qui morale et éthique n’appartiennent pas à leur dictionnaire et qui offrent souvent une tribune de choix à ce quidam, mais c’est l’exercice de la liberté d’expression sans doute. Toutefois, on aurait pu espérer que le président de la République ou au moins un ministre : la première d’entre eux, le garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, prennent la parole pour se positionner (c’est-à-dire positionner le pays, la nation, le peuple à travers son représentant suprême) vis-à-vis de la possible amoralité de la cagnotte voire de son iniquité. Mais comment un gouvernement où tant de ministres, notamment les principaux d’entre eux, sont en délicatesse avec la Justice pourrait porter un discours sur la morale d’une action ? Or une nation qui se départit, comme jamais avant ces sept dernières années, de tout sens moral dans la conduite des affaires publiques est une nation qui se « décivilise ».

05 May 2023

Ma mort ne vous appartient pas

Dans « Les Années » Annie Ernaux, évoquant les progrès de la médecine, écrit : « Il fallait que la merde et la mort soient invisibles » donnant un corps littéraire aux propos de Léon Schwartzenberg et Pierre Viansson-Ponté dans « Changer la mort (1979) » : « La mort a changé, et son image, et son attente. ».

Jadis, la mort était une sorte de cérémonie publique avec des rituels très forts adressés autant à la famille qu’à l’extérieur ; elle était la dernière et la plus solennelle cérémonie de la vie. La religion l’encadrait et le prêtre la gérait. Jadis on agonisait, la famille et les proches veillaient l’agonisant ‑ ou le mort s’il s’agissait d’une mort subite ‑ dans un cadre organisé par la religion, le curé venait donner l’extrême-onction, et la personne mourait chez elle dans la plupart des cas. La mort dénommée la Grande Faucheuse n’était pas un choix : elle survenait, on la subissait ; la religion interdisait le suicide.

Aujourd’hui la mort est moins cérémonielle. Elle est un concept pour les philosophes (cela depuis des siècles) et pour les sciences sociales, un objet statistique pour les administrateurs de la société, un objet maléfique pour les médecins. Elle « peut représenter la butée d’un art médical » (Aloïse Philippe[1]), où butée est entendue comme étant un obstacle. Les médecins mettent donc tout en œuvre pour retarder la mort ; aussi accepter qu’elle survienne signerait un échec de leur sacerdoce. Ils tentent de maîtriser la mort comme ils le font pour la vie. Là où la vie advenait désormais elle peut aussi être le résultat de l’action médicale : ressuscités d’une anoxie prolongée notamment d’AVC, PMA et GPA, grands prématurés, sans que la médecine ne se préoccupe trop des conséquences de cette « vie imposée ».

Face à la mort et à la vie la médecine semble s’être substituée à la Religion entraînant ainsi un nouveau rapport des gens avec la mort. Le slogan moderne serait « la vie coûte que coûte », le coût étant bien sûr supporté par les malades et leurs familles. Alors, concernant la mort, on a inventé « les soins palliatifs », pour éviter au mieux la douleur au malade et l’accompagner dans le dernier bout de son chemin. D’abord il s’est agi de la douleur physique, puis est venu la souffrance psychique faisant l’une et l’autre le commerce des médecins spécialistes en soins palliatifs et des « psy » : le consensus étant qu’il fallait accompagner le « souffrant » jusqu’au bout. Mais, est-ce une vie que de végéter au fond d’un lit sans maîtrise de ses fonctions vitales ? Les médecins, nouveaux maîtres de cérémonie mortuaire, parfois confortés par le Juge, décident si tel ou tel peut mourir et à quelle heure.

Que ne relit-on les propos du professeur Lhermite : « Tout homme a le droit de mourir en paix et à son heure. Le respect de la vie passe d’abord par le respect de la mort. » De nos jours, en France, nul ne peut décider de sa mort, sauf à s’exposer, face à elle, dans un suicide brutal. Seuls ont droit à une mort « apaisée » ceux dont la médecine sait qu’elle ne les guérira pas. Qu’offre‑t-on à ceux qui ne « disposent » pas d’une pathologie létale et pourtant porteurs d’une maladie invalidante qui entrave leur vie, qui les fait souffrir physiquement et psychiquement, qui pourrit la vie de leur entourage, et qui estiment « être au bout de leur chemin » ?

On observe qu’on n’a pas dépassé cette position de conscience et de morale qui exclue toute éthique depuis Léon Schwartzenberg et Pierre Viansson-Ponté qui écrivaient : « Ce qu’on a coutume de nommer l’euthanasie puisqu’il faut l’appeler par son nom à l’horrible sonorité, n’est pas ce geste actif et libérateur qui consiste à donner la mort. C’est au contraire un affreux geste passif qui consiste à arrêter la vie dans une pauvre chose humaine détériorée. C’est : “arrêtez-moi, Docteur, je n’en peux plus !” » Où est la personne dans ces propos, où est le respect de sa dignité et de son libre arbitre ? La mort échappe, chaque jour un peu plus, à la personne. Or seule la personne concernée peut décider de sa mort comme elle a décidé de sa vie, car la mort fait partie intégrante de la vie, elle n’en est que l’élément, le moment final.

La vie, la mort n’appartiennent pas aux médecins. Ma vie, qui fut belle, est aujourd’hui accomplie mais avec des incapacités et des douleurs qui chaque jour ternissent un peu plus ce qu’il y avait de beau en elle ; alors je veux être le seul juge et le seul décideur de sa fin. Je ne reconnais aux médecins que leur qualité technique de soignant car aider à mourir est un soin, pour que je meure dans la dignité avec le moins de douleur possible. Je leur dénie tout droit d’avancer « leur conscience » ou un quelconque serment qui date d’une Antiquité révolue, pour décider de ma mort : mesdames et messieurs les médecins ma mort ne vous appartient pas !

 

[1] PHILIPPE Aloïse, « Éthique et soin. Une demande de mort comme acte d’énonciation », Jusqu’à la mort accompagner la vie, 2023/1 (N° 152), p. 113-122. DOI : 10.3917/jalmalv.152.0113. URL : https://www.cairn.info/revue-jusqu-a-la-mort-accompagner-la-vie-2023-1-page-113.htm

04 Nov 2022

L’Université de Valence en Dauphiné et Jean de Montluc, (Évêque de Valence, pédagogue ou p

Dire qui était Jean de Montluc et analyser la façon dont il conçut sa mission d'évêque de Valence en Dauphiné, en même temps que nous regardons son action par rapport à l’université de cette ville, au moment où croissent la pensée protestante et l'implantation de la Réforme, nous semble devoir concourir à mieux comprendre comment à cette époque une université était indissociable du contexte sociopolitique de la ville qui l’accueillait.

Le rôle de Jean de Montluc prend bien sa place dans l’interrogation que nous pouvons avoir du lien entre l’université de Valence et l’émergence de la Réforme à Valence. Ce rôle et l'action de Jean de Montluc se situent bien dans la provocation évoquée par la confrontation de deux mots de la question suivante : était-il calviniste convaincu ou fin diplomate ?

De lui Brantôme écrivait : « On le tenait luthérien au commencement et puis calviniste ; mais il se comportait par belle mine et beau semblant ». Cette remarque trouve son origine à la fois dans les études que Jean de Montluc suivit, les rencontres qu'il fit, le discours qu'il tint et les attitudes bienveillantes dont il fit preuve à l'égard des tenants de la Réforme.

 

   Ces études se passèrent tout d'abord à l'abbaye de Condom où officiait le célèbre évêque Jean Marre réputé comme humaniste et réformiste ; ne fit-il pas venir en 1517 Jacques Almain théologien nominaliste et gallican ? Pour lui succéder il appela Jacques Lefèvre d'Étaples qui se désista. On voit comment Jean de Montluc rencontra « la pensée réformatrice et humaniste ». Il fut remarqué pour ses dons intellectuels, ce qui convainquit Jean Marre de l'envoyer étudier à l'université de Toulouse le droit civil et le droit canonique. Ses historiographes pensent, sans certitude, qu'il fréquenta aussi la faculté de théologie tenue par les Dominicains. De la même façon il n'existe aucune certitude qu'il assistât aux lectures des textes de Lefèvre d'Étaples faites dans un cercle d'étudiants animé par son professeur de droit, Jean de Boysonné. Durant l'hiver 1532 -1533 il quitta définitivement l'abbaye de Condom, au moment où Marguerite de Navarre passait dans la ville. La rencontra-t-il ? L'histoire n'en dit rien. Cependant on sait qu'il assista au carême commandé à Gérard Roussel par Marguerite de Navarre, et, semble-t-il, Jean de Montluc se serait rapproché d'elle. À tel point que Brantôme écrivit qu'elle le défroqua. Ce fut le début d'une longue carrière diplomatique, marquée entre autres par un séjour à Rome en 1535 durant lequel il enseigna la théologie au collège Sapienza, bien que le pape le soupçonnât d'être acquis aux idées luthériennes. Le 18 août 1553 le roi lui accorde le diocèse de Valence et de Die. Un diocèse où les idées hérétiques étaient déjà bien installées comme le rappelle Michel Devert (p77) : « A la mort de Jacques de Tournon, l'évêché de Valence et de Die était donc bien contaminé par l'hérésie ; ses adeptes semblaient bien résolus à propager leurs croyances. Si un évêque bien résolu ne venait lui faire échec, elle risquait de s'étendre à tout le diocèse ».

 

    C'est donc dans ce climat que Jean de Montluc arrive physiquement à Valence en 1555. Dès l'année précédente il déclarait sa résolution à prendre en charge la destinée de l'université de la ville. Dans une lettre aux consuls, François Joubert, professeur, écrivait : « Elle (l'université) est, m'a-t-il déclaré, la plus belle rose que les Valentinois aient à leur chapeau et qu'il aura moyen, comme il l'espère, faire tant que Monsieur Arnaud Ferrier conseiller du roi au parlement de Paris, l'un des premiers hommes de notre temps, pourra venir à Valence, lire et régenter pendant six mois qu'il a de vacations. Pour les autres six mois, il moyennera le semblable de Monsieur Coréas, conseiller du roi au parlement de Toulouse. D'avantage il aura moyen d'y faire venir Monsieur Govéa, homme de grand bruit et savoir pour continuer l'année ». Dès lors il est indubitable qu'il mit tout en œuvre pour favoriser le développement et la prospérité de l'université de Valence, allant jusqu’à offrir de l’argent pour que Cujas. Là où nous devons interroger son histoire, c'est dans le choix qu'il fit de certains professeurs qu'il attira à Valence, comme Bourg en 1556 ou Hotman en 1563, tous deux étaient réputés favorables aux idées hérétiques, le premier fut condamné à mort.

    Là s'installent à la fois le doute et le paradoxe : Jean de Montluc soutenait la candidature de professeurs "hérétiques" en même temps qu'il s'opposait, en vain, à la venue de Loriol connu comme calviniste. Négligeait-il de voir les agissements des hérétiques en même temps qu'il rédige « les instructions chrétiennes de l'évêque de Valence » où il écrit : « notre religion est par les hérétiques déchirée, et peu sans faut délaissée par ceux qui la dussent maintenir… Celles (les brebis) qui sont au vrai troupeau sont en continuel danger d'être séduites et diverties du bon chemin ». Quoi de plus conforme à l'orthodoxie. Cependant l'évêque portait la barbe, prêchait sans habits sacerdotaux, se couvrait le chef du bonnet semblable… ceux des réformés. Au-delà de cela, ses sermons heurtèrent la Sorbonne qui eut à en connaître, et qui les déclara hérétiques. L'œuvre de Jean de Montluc à Valence au sein de l'université et en direction de ses diocésains fut sans doute tout empreinte d'un grand désir d'éducation, d'une éducation sans doute plus humaniste qu'hétérodoxe mais qui s'opposait aux privilèges du clergé local, notamment du chapitre cathédral. Cependant, notons qu’accusé par le doyen du chapitre d'être hérétique, il obtint réparation de la condamnation. Il fut quand même excommunié en 1563 mais la promulgation n'en fut jamais faite. Il est vrai qu'il était un des principaux conseillers de Catherine de Médicis.

     Nous suivrons facilement Michel Devert lorsqu'il écrit qu'il est difficile de porter un jugement sur la personnalité religieuse de Jean de Montluc. Sans doute était-il un humaniste qui sans aller jusqu'à adhérer aux idées de la religion réformée, se trouvait bien à côtoyer les critiques de la corruption de l'Église, le retour aux textes fondateurs, et l'idée que l'homme peut participer à la compréhension du monde ; il croyait en l’Homme. Ne fut-il pas de ces évêques qui condamnèrent l’astrologie comme l’indique Marc Venard : « et nombre d’évêques, d’un bout à l’autre du siècle, condamnent l’astrologie divinatrice, tel Jean de Montluc, évêque de Valence en 1558, qui contre les clients des astrologues, leur rappelle : que nous sommes, nous et nos biens, sous le pouvoir de Dieu, et que toutes choses sont faites, mues et gérées par sa libre volonté. ». Sans doute aussi, comme l’écrit Marc Venard, Jean de Montluc « comme d’autres prélats, plus politiques, voient surtout dans le protestantisme un remède à des abus invétérés et une position d’indépendance vis-à-vis de Rome. » C'est dans ce cadre de pensée qu'il fonda ou qu'il soutint la fondation (il subsiste un flou dans la connaissance historique) d'un collège en 1564. À ce propos l'abbé Nadal souligne la décadence de l'enseignement de la théologie à Valence où entre 1560 et 1575 il n'y eut que deux promotions d'étudiants en théologie contre plus de trois cents en droit, et d'écrire : « Montluc s'étant aperçu du préjudice que causait à la religion la décadence de l'enseignement de la théologie, il forma un dessein qui honore sa mémoire… Il résolut de confier aux jésuites l'éducation de la jeunesse de sa ville épiscopale ».

 

     Nous conclurons, provisoirement, par une citation extraite de la thèse (1893) de Hector Reynaud : « Ce qui frappe tout d'abord chez lui, c'est l'estime qu'il professe pour les lettres, le soin qu'il prend pour les mettre en honneur parmi ses diocésains. Il favorisa de tout son pouvoir l'enseignement public à Valence et inaugura, pour l'université de cette ville, une ère de prospérité ».

      C'est ainsi, dans cette œuvre éducative, qu'il écrivit en 1461 dans « familières explications des articles de la foi » : « ployons notre esprit et l'assujettissons à consentir et à croire tout ce que le Saint-Esprit nous a révélé dans les Écritures ».

04 Nov 2022

Peut-on parler d’une politique publique d’accueil des enfants handicapés à l’école

L’inclusion scolaire des enfants handicapés ne fait plus débat depuis la loi du 8 juillet 2013 dite loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République qui grave dans le marbre républicain l’inclusion scolaire. L’annexe au texte de loi qui détaille la programmation des moyens et les orientations de la refondation de l’école de la République indique : « Il convient aussi de promouvoir une école inclusive pour scolariser les enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers en milieu ordinaire. »

Yves Mény et Jean-Claude Thoenig [1] écrivent qu’« une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique ». Donc il y a bien une politique publique d’accueil et d’inclusion des enfants handicapés à l’école. Je pourrais dire : mon exposé s’arrête là ; je vous remercie.

Mais dans la mesure où cette politique publique semble ne pas donner satisfaction aux différents acteurs il faut s’interroger sur la question de savoir d’où vient et comment s’est constitué l’objet de cette politique.

Pierre Muller écrit « qu’il y a une politique publique parce qu’il y a un problème à résoudre ». Donc comment, en quoi et pourquoi la question de la scolarisation des enfants handicapés se présente depuis 40 ans sous la forme d’un problème qui doit être résolu par une (ou des) politique(s) publique(s) alors qu’auparavant la question semblait ne pas se poser. Muller précise que « la mise en place de ces politiques est liée à une transformation de la perception des problèmes. »

Un regard sur l’histoire permettrait de voir comment la perception de la scolarisation des enfants handicapés a évolué jusqu’à devenir un problème et se constituer en objet politique pour finir par appeler dans les années 1970 une intervention forte des autorités politiques.

Je ne retracerai pas cette histoire, nous n’en avons pas le temps. Je m’arrêterai cependant sur le XIXe siècle pour lequel Polyanyi a souligné les effets de « dislocation » que l’industrialisation entraîne sur la société. Il apparaît alors une question sociale que l’État doit prendre en charge et qui amènera l’école de Jules Ferry à s’intéresser d’une façon particulière à ceux qui n’arrivent pas à apprendre et à ceux totalement réfractaires aux apprentissages et aux normes imposées par l’école. On sépara les élèves en deux catégories : ceux qui pouvaient bénéficier des bienfaits de l’école et d’autre part les élèves considérés comme des anormaux d’école. Parmi les anormaux d’école on repérait ceux atteints dans leurs facultés intellectuelles (les idiots, les imbéciles, les arriérés) dont on pensait qu’ils pouvaient tirer bénéfice d’un enseignement spécial dans des classes de perfectionnement annexées à l’école créées en 1910. Les autres ceux qui sont atteints dans leurs facultés morales (les imbéciles moraux, les instables, les pervers, les indisciplinés) étaient pris en charge dans des institutions spécialisées ou dans un asile psychiatrique.

Les politiques scolaires de cette époque organisent les ruptures entre types d’enfants et entre types d’institutions. Ainsi, les politiques publiques constituent le problème de la prise en charge des enfants handicapés en termes de secteurs d’intervention où chaque secteur érige ses propres objectifs comme à propos de qualification des personnels en demandant la création d’un diplôme d’état d’éducateurs spécialisé (1967). Les lois de 1975 et de 2005 ne supprimeront pas la sectorisation apparue au XIXe siècle et cela malgré la montée en puissance du courant de pensée initié par un psychiatre américain qui prône la désinstitutionalisation des lieux de soins[2]. Cette sectorisation est aussi confirmée dans la loi de refondation de l’école de 2013 où l’article 7 mentionne la possibilité de coopération entre école et établissements spécialisés.

On observe donc que l’État a du mal à sortir de la sectorisation créée au XIXe siècle. Pire, la loi de 2005 amplifie la sectorisation en faisant entrer dans le dispositif les professionnels libéraux ce qui ne facilite pas les coordinations autour d’un projet pour l’enfant (élève), et qui a eu comme effet d’accroître le sentiment de non-reconnaissance chez les professionnels des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.

En rester sur cette observation négative ce serait oublier que l’objet d’une politique publique consiste à modifier l’environnement des acteurs concernés, la perception qu’ils peuvent en avoir et donc leurs conduites sociales. Pierre Muller ajoute que « prendre une décision, c’est déjà mettre en œuvre une politique, dans la mesure où les différents acteurs (partenaires sociaux, citoyens, autres ministères) vont probablement modifier leurs conduites en fonction de cette décision. » Si nous nous référons à la grille d’analyse des politiques publiques de Charles Jones nous interrogerons la loi sous l’éclairage de la 1re étape qu’il décrit : « l’identification du problème qui est la phase où le problème est intégré dans le travail gouvernemental ».

Dans cette phase d’identification du problème sont associés un ensemble de processus. Comment l’État a associé les processus de perception du problème par les différents acteurs, donc comment a-t-il défini le problème, a-t-il agrégé les différents problèmes secondaires, comment a-t-il pris en compte les incidences sur l’organisation de structures, a-t-il tenu compte de la représentation des intérêts des différentes parties prenantes ?

Cette phase d’identification du problème permet de définir l’agenda politique qui constitue et qui regroupe l’ensemble des processus par lesquels les décideurs s’emparent d’une question pour construire un programme d’action. Cette phase a‑t‑elle vraiment eu lieu ?

Peut-être, comme l’écrit Pierre Muller au lieu de concevoir cette politique publique par une série de séquences successives, eut-il été préférable de la bâtir comme un ensemble de séquences parallèles interagissant les unes par rapport aux autres et se modifiant continuellement. En somme et synthétiquement au lieu d’empiler lois et règlements peut-être eut‑il été mieux et plus efficace d’envisager une loi-cadre dans un programme pluriannuel.

C’est ce que dit le CESE (juin 2020) qui préconise de renforcer le travail collaboratif et la mutualisation des missions entre les établissements scolaires et les établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour faire progresser l'inclusion scolaire, la socialisation et l'autonomie des jeunes en situation de handicap. Il s'agit notamment de décloisonner ces deux secteurs par la création de parcours mixtes, de mobiliser davantage l'expertise des professionnels et professionnelles des ESMS, dont la nécessité et les moyens doivent être confortés, au sein des établissements scolaires… » Il aurait donc fallu travailler à une réforme, en parallèle et concomitamment, du secteur scolaire et des secteurs de soins (psychiatrie) et des établissements médico-éducatifs et médico-sociaux.

 

[1] Yves Mény et Jean-Claude Thoenig, politiques publiques, Paris, Puf, 1989

[2] à la suite des travaux du sociologue Erving Goffman qui montraient le caractère totalitaire du fonctionnement quotidien de certaines institutions hospitalières qui imposent leurs propres rythmes et circuits à des individus vingt-quatre heures sur vingt-quatre au mépris des droits individuels.

02 Nov 2022

Politiciens : ils sont devenus fous

Qui pouvait intelligemment envisager que le Projet de Loi de Finance échappe au 49-3 ? Cette loi de finance détermine et encadre la politique du gouvernement, aussi habituellement est-elle votée par la majorité gouvernementale alors que l’opposition la rejette.

Dans la configuration actuelle : une assemblée sans majorité claire pour le gouvernement, aucune alliance avec le groupe (LR) soutenant le gouvernement ne se manifestant, le gouvernement ne pouvait pas prendre le risque de voir son budget rejeté. Donc le recours à l’article 49-3 de la Constitution était inévitable.

En outre le vote de la Loi de finances est encadré par des règles très strictes dont une règle de « délai » : le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) ne dispose que de 70 jours pour statuer sur le projet de loi de finances : 40 jours pour la première lecture à l'Assemblée nationale, 20 jours pour la première lecture au Sénat, 10 jours pour la navette parlementaire. Passé ce délai, si le dépassement est imputable au Parlement, le gouvernement peut recourir à une ordonnance pour mettre en œuvre le projet de loi de finances.

Le gouvernement aurait pu opter pour la solution qui consistait à laisser courir les débats en pariant sur un dépassement du délai de 70 jours et recourir à une Ordonnance, ce qui sans doute aurait donné une image négative au gouvernement alors possiblement vu comme trop monarchique. C’était un pari risqué que le gouvernement n’a pas engagé et, fort logiquement, la Première ministre inversa la charge de la preuve et prétexta une prétendue obstruction des oppositions en raison du nombre élevé d’amendements déposés en considérant que « Tout indique que nous ne tiendrons pas les délais ». Ainsi, un « possible obstacle à la tenue du délai » bien qu’incertain obligeait le recours au 49-3. Effectivement, à part les députés d’opposition, qui pouvait imaginer que le président Macron laisserait la Loi de Finances lui échapper ?

Il fallait donc bloquer les oppositions tout en laissant penser que le débat parlementaire avait eu lieu, que le parlement était respecté. D’ailleurs dans le texte de loi finalement remodelé par le gouvernement 94 articles sont des propositions retenues pendant les débats : 94 amendements sur le fond, dont l’immense majorité (75) provient… du gouvernement et de la majorité. Six autres amendements déjà votés en commission de finances, à l’initiative de l’opposition, ont été gardés, auxquels il faut ajouter 5 amendements provenant du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), 3 de LR, 3 des socialistes, 1 des communistes et 1 des écologistes. Donc, l’image de la Démocratie est sauve. Le président de la République et le gouvernement pensent avoir, ainsi, donné l’impression aux citoyens que le Parlement a pu débattre suffisamment. Bien sûr au passage on peut regretter qu’un certain nombre d’amendements se trouvent enterrés, comme celui qui permettait un crédit d’impôt pour les familles ayant à financer l’hébergement d’une personne en Ehpad, qui a disparu de la version définitive du texte. Il faudra surtout s’interroger à propos du régime de faveur accordé aux amendements issus du groupe présidentiel, n’étaient-ce pas des amendements suggérés par le gouvernement ?

 

La question n’est donc pas de savoir si le 49-3 est démocratique ou pas ; l’usage du 49-3 est inscrit dans la Constitution, donc parfaitement conforme aux institutions de la Ve République. La vraie question est double : peut-on prendre le risque que l’État ne dispose pas, à temps, d’un budget, et conséquemment à quel moment avoir recours au 49-3. Là, je renverrai le lecteur vers la chronique de Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, intitulée : « L'instant du 49.3 » publiée le 19 octobre 2022 dans Le Monde et sur son blog (Le blog - La Constitution décodée (constitutiondecodee.fr))

 

Dès avant le dépôt du 49-3 nous avons pu assister à un grand spectacle dans l’enceinte de l’Assemblée nationale où chacun y allait de ses invectives contre le gouvernement, ou à l’inverse on fustigeait « les oppositions ». Mme Borne nous apprenait que ceux qui faisaient obstacle au vote du texte budgétaire du gouvernement sont des irresponsables démontrant ainsi que seuls ceux qui se couchent devant son gouvernement dans un vaste élan de « soumission volontaire » seraient des personnes responsables, et de déclamer une de ces phrases creuses et dépourvues de sens comme savent en concocter les politiciens : « Les Français attendent de nous de la cohérence, de l’action et des résultats », a-t-elle poursuivi sous les applaudissements de sa majorité. Ainsi, aujourd’hui les discussions parlementaires sont reléguées au rang de discussions de comptoir et dépourvues de toute empreinte de responsabilité. Madame Borne aurait dû lire Balzac : « le comptoir d’un café est le parlement du peuple ». Il est dommage que Mme Borne limite la cohérence politique aux idées et aux paroles du président de la République et à celles du gouvernement ; les prises de position et les paroles des députés étaient on ne peut plus cohérentes et « intelligentes ». M. Macron et ses ministres ne possèdent le monopole ni de la cohérence politique ni de l’intelligence ; d’ailleurs l’expérience des actions gouvernementales montre souvent une forte incohérence et fréquemment peu d’intelligence : le marketing en politique ne remplace pas l’intelligence ; c’est ainsi d’ailleurs qu’un chroniqueur d’une chaîne de télévision au moment de la pénurie de carburant avait taxé les actions du gouvernement comme étant le résultat d’une pénurie intellectuelle !

La pénurie intellectuelle chez les ministres et chez leurs conseillés s’illustre dans ces propos d’un conseiller de président de la République transmis par la presse : « À la fin, les gens n’auront pas retenu tout ça, veut-on croire au gouvernement. Les Français se diront juste qu’un budget a été voté et que l’exécutif ne s’en est pas trop mal tiré. » Comment peut-on penser que les Français accepteront le résultat du recours au 49-3 comme étant le résultat d’un vote ? Au comptoir de mon bistrot préféré les propos étaient : Macron nous a imposé son budget ! Alors penser comme cette députée que « Le premier est le plus dur, glisse une députée Renaissance. Après cela, le 49-3 sera quasiment banalisé. », c’est méconnaître les citoyens voire les mépriser !

 

Après le cirque à propos du 49-3, délirant et lassant, les invectives se construisirent autour de l’assassinat d’une enfant de 12 ans par une jeune femme immigrée qui est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Bien sûr dire que l’enfant n’aurait pas été assassinée si l’obligation de quitter le territoire avait été exécutée est une monstrueuse ânerie. C’est à peu près aussi stupide que de déclarer au retour d’une promenade que s’il n’avait pas plu on n’aurait pas été obligé de se munir d’un parapluie… Mais on est prompt à régler les problèmes sans les poser, or, comme disait Einstein, « s’il n’y a pas de solution, c’est que le problème a été mal posé ». Là, tous les ingrédients d’une fable médiatique sont présents : l’assassinat d’une enfant, une meurtrière algérienne donc pas française, même pas « blanche » et sans doute de confession musulmane, une OQTF non exécutée. Alors la foule médiatique et politique s’est déchaînée dans un vaste mouvement de « récupération » de cette situation (mais il faut battre le fer quand il est chaud, diront certains) sans penser ne serait-ce qu’une once de seconde au mal que ce déchaînement fait à la famille de l’enfant assaillie par les médias, engloutie sous un flot de commentaires et d’images qui décortique le crime, submergée par les règlements de comptes politiques. La décence et surtout le respect dû à la famille voudraient que les médias se limitassent à annoncer le crime sans le feuilletonner, et que les politiciens attendent, pour le moins, que les funérailles soient passées pour fourailler à propos de l’inexécution de l’OQTF. Non seulement s’eût été de l’ordre de la décence mais cela permettrait de poser sereinement le problème dont finalement on ne sait pas quel il est : l’origine étrangère de l’assassin ou son rapport à la religion, voir sa culture qui l’inscrirait dans un système de vengeance vis-à-vis de la France coloniale, ou peut-être l’incapacité des gouvernements à mettre en place un système efficace d’exécution des OQTF, à moins qu’il ne s’agisse plus prosaïquement du « problème de l’immigration » ? En attendant chacun accuse son adversaire de récupération, mais l’exemple n’est-il pas venu « d’en haut ». Qu’est-ce qui justifiait que le président de la République (je devrais écrire le couple Macron) reçoive la famille de la victime, que le ministre de l’Intérieur se rende aux obsèques ? BFM-TV qui a toujours réponse à tout, même aux questions qui ne sont pas posées, annonçait la présence de Darmanin aux funérailles comme le rapporte le Voix du Nord : « Gérald Darmanin sera présent sur invitation de la famille, a indiqué l’entourage du ministre de l’Intérieur, confirmant une information de BFM‑TV. » Alors ? Qui a suggéré l’idée à cette famille, fallait-il que le ministre accepte, et bien d’autres questions pourraient être posées, mais fallait-il que le Ministre accepte, alimentant ainsi le procès en récupération, car ira-t-il désormais à toutes les funérailles des victimes d’assassinat, notamment à celle de la jeune Justine assassinée à 20 ans et qui laisse un enfant de 2 ans orphelin et une famille tout aussi éplorée ?

 

En démocratie un gouvernement se doit à tous, pas à chacun en particulier. Mais on voit bien de nos jours, et Macron s’en est fait une spécialité, qu’on utilise les « cas particuliers » pour cacher les insuffisances d’une politique qui n’a pas pour but le bien commun mais au contraire dont l’ambition n’est que la promotion des ambitions individuelles de tel ou tel individu ou telle ou telle communauté. La question n’est donc pas celle de la récupération des faits de société par les politiciens : que serait une politique qui ne « récupérerait » pas les faits de société sinon une mise en action froide et glaçante d’une idéologie. La question est celle de l’objectif des politiciens lorsqu’ils « récupèrent » un fait de société. Pour quoi faire le fait de société devient une question politique ? Cette « récupération » qu’on nommerait prise en compte dans une situation plus sereine est la matrice génitale d’une politique publique ; on voit bien qu’ici, faite de sérénité, à cause de la violence politique, la mort de Lola ne servira pas à réfléchir aux problèmes qui sont posés par la situation sociale qui ont conduit ou accompagné la mort de cette enfant. Et, une fois le ramdam médiatique passé, le soufflé s’effondrera jusqu’à une prochaine affaire qui marque une époque où la politique se fait autour des émotions plutôt qu’à partir de la sérénité et de la sagesse.

 

Puis il y eut les élucubrations de M. Mélenchon tentant d’inscrire sa « marche pour le pouvoir d’achat » dans une analogie avec les mouvements qui ont généré la Révolution de 1789 : comme si les citoyens et la situation sociale d’aujourd’hui avaient quoi que ce soit de semblable avec les mères de famille de 1789. Ça ne valait pas l’once d’un commentaire mais les politiciens opposés, viscéralement à Mélenchon, s’en sont fait des gorges chaudes. Pendant que les uns enfilaient des niaiseries pour essayer d’affadir les niaiseries de l’adversaire, le citoyen oubliait (du moins le pensait-on au gouvernement) l’inflation, les fins de mois difficiles…

 

Quel mépris nous opposa le ministre de l’Économie, mais c’est son habitude, lorsqu’il déclarait que la grève des employés des raffineries était illégitime. Par définition et par le droit une grève est toujours légitime, sauf bien sûr sous les gouvernements autoritaires et dans les dictatures. Lui, comme la première ministre, devrait lire les articles de Simone Weil regroupés dans un opuscule intitulé « Grèves et joie pure » (ed Libertalia), ils comprendraient (peut-être) ce que représente une grève pour des salariés : « Il s'agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé pendant des mois et des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange. » La grève, c’est plus qu’un paquet de revendications, la grève c’est surtout une action visant à faire reconnaître sa dignité. Il y a longtemps que certains syndicats ont oublié cela et signent des compromis assez « basiques ». Du coup certains qui ne signent pas sont déclarés, parce qu’ils sont minoritaires, irresponsables ; peut-être ont-ils simplement un sens de l’honneur qui ne cède pas à n’importe quel compromis qui ressemblerait plus à de la compromission. Quoi qu’il en soit la minorité n’est jamais obligée de se plier devant une majorité sinon les Résistants de 1940 à 1945 auraient dû accepter la volonté de la majorité représentée par le gouvernement dirigé par Philippe Pétain. Sans doute faudrait-il se souvenir de la phrase d’Albert Camus : « La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » Toutefois je veux bien concéder que le dialogue social n’est pas une habitude française comme l'écrivait Simone Weil : « L'idée de négocier avec les patrons, d'obtenir des compromis, ne viens à personne. On veut avoir ce qu'on demande. On veut l’avoir parce que les choses qu'on demande, on les désire, mais surtout parce qu’après avoir si longtemps plié, pour une fois qu'on relève la tête, on ne veut pas céder. On ne veut pas se laisser rouler, être pris pour des imbéciles. »

D'ailleurs, peut-être que les gens se sont moins mis en grève pour des histoires de salaire que pour « être reconnus ». Comment justifier, en dehors de toute démonstration économique, qu’on n'augmente pas les salaires modestes alors que certains qui sont plus que grassement rémunérés voient leur rémunération s’exprimer en dizaines de millions. Certes le ministre de l’Économie et son caniche (le ministre du budget) expliquent que les très hauts salaires sont un bien pour notre économie puisqu’ils génèrent de forts impôts ; c’est oublier les niches fiscales, les placements Offshores. Plus prosaïquement payer 50 % d’impôts sur des revenus de 50 000 000 € laisse 25 000 000 € soit un revenu mensuel de 2 084 000 € ce qui demeure confortable pour organiser sa vie, alors que se voir prélever 12 % de ses revenus quand on gagne 51 000 € soit 4 250 € mensuels (brut) ne laisse que 44 880 € soit 3 740 € mensuels ce qui est terriblement moins confortable et surtout plus pénalisant dans le « reste à vivre », et cet exemple se situe bien au-dessus du salaire médian. Je laisserai au lecteur le soin de calculer le « reste à vivre » et l’ampleur de la pénalité fiscale à chaque niveau de salaire. À ce calcul il conviendrait d’ajouter la TVA et diverses taxes comme la taxe foncière. Quelle est l’incidence d’une taxe foncière de 1600€ sur un revenu de 44 880 € par rapport à une taxe foncière (supposée) de 15 000 € sur un revenu de 25 000 000 € ?

Nous pourrions aussi discuter cette pseudo-théorie économique selon laquelle une augmentation des salaires entraîne ipso facto une augmentation des prix de vente. Simplement une augmentation des salaires n’a pas d’autres raisons d’entraîner l’augmentation des prix de vente que le maintien des dividendes versés aux actionnaires. Je ne ferais pas du marxisme d’opérette mais peut-être les ministres, les politiciens de tous bords pourraient-ils poser, autrement qu’ils le font, le problème des salaires et la reconnaissance des grèves.

 

N'oublions pas, les propos des nervis de Macron et du grand manitou lui-même lors du deuxième acte de sa pièce sur France 2 : Mélenchon aurait signé un pacte avec Marine Le Pen à l’occasion du vote de la motion de censure ! Belle affaire si cela avait été. Lui-même devenu inséparable d’un président battu à l’élection présidentielle et qui donc ne fut pas reconduit, et battu fortement à la primaire de son propre parti, courtise le parti LR dans la perspective de l’accaparer, telle une fleur carnivore, dans son camp. C’est bien là la politique politicienne de l’ancien monde dont Macron avait promis de nous débarrasser.

On voit là à quel point Macron refuse le débat parlementaire et voudrait tout avoir en main. Dans un régime parlementaire il n’est nul besoin d’alliance figée dans le marbre pour que plusieurs partis se rejoignent pour voter un même texte. Non seulement ces attaques, puantes et irrespectueuses pour les citoyens qui ont soutenu LFI et le Rn et qui n’ont pas besoin que Macron leur tienne la main pour savoir ce qu’ils doivent penser et faire, ces attaques montrent l’état de décrépitude de l’idéologie macronienne qui ne maîtrise plus rien. Or, quand le chasseur ne maîtrise plus son chien il déclare qu’il a la rage pour l’abattre.

 

Pénurie culturelle et intellectuelle, absence de réflexion profonde, goût du scandale et du sordide, agressivité et violence… voilà ce qui a caractérisé la vie politique de notre pays ces derniers jours largement relayé voire amplifié par certains médias si souvent sans éthiques et sans beaucoup d’intelligence ni de culture mus uniquement par la recherche du sensationnel : on s’étonnera que l’indice de confiance des Français dans les médias, comme dans les politiciens, ne dépasse pas 23% et que 36% des Français ne regardent plus ni ne lisent les informations.

 

Je citerai, une fois encore mais en conclusion, Simone Weil : « Allons-nous enfin assister à une amélioration effective et durable des conditions du travail industriel ? L’avenir le dira ; mais cet avenir il ne faut pas l’attendre, il faut le faire. »

31 Dec 2021

Le Grand Charles n’aurait pas…

Je voulais écrire un conte : « petit Omicron et le loup » mais le cœur n’y était pas. Alors revint le souvenir de Charles. Charles, quels que soient les moyens modernes de communication, n’aurait pas pris de vacances, même au Fort du Bord de Mer, alors que le pays est dans la souffrance. Car, comme disent mes amis helvètes, aujourd’hui il y a le feu au lac. Mais, en Gaule, dans une royauté démocratique le souverain part faire bombance autour de la dinde de Noël loin de la capitale, loin de son peuple alors que le pays est en proie à une recrudescence d’une pandémie à la puissance rarissime. Mais foin de la souffrance du pays, le roi se protège et il y a peu à ce que, le peuple se plaignant, la reine lui envoie une poignée de chocolats comme jadis une autre reine proposait qu’on lui donnât de la brioche alors qu’il réclamait du pain, son pain quotidien.

Médisance que cela car enfin prenons conscience de la gravité du danger : le roi a annulé son voyage sous les tropiques par peur de la contamination, pas question qu’il aille porter le virus chez nos quelques soldats encore en mission. Alors, pas question qu’il prenne le risque de porter ce même virus chez les personnels soignants, les sapeurs-pompiers, les policiers et gendarmes et d’autres qui travaillent en cette période de fêtes. Pourtant quel beau geste ça aurait été que de rendre visite au personnel soignant qui est mis à rude épreuve depuis deux ans.

Les hommages c’est quand le roi s’ennuie et que leur ordonnancement ne vient pas perturber sa vie personnelle. Comme cela est désormais le grand principe de vie dans le pays, le roi cherche sa satisfaction personnelle avant le service et le bien commun du pays. Alors tous en vacances : le roi, la reine, les ministres et les députés ; pendant ce temps le pays brûle et les citoyens sont malades à foison.

Alors qu’il faudrait prendre des mesures drastiques pour éviter les contacts entre les personnes afin de limiter la propagation du virus le roi attend : il aurait pu réunir ses ministres samedi ou dimanche, il attend après les fêtes ; sans doute est-il judicieux d’attendre que les vapeurs des bombances se soient évaporées. Les députés n’ont pas été, eux non plus, invités à rejoindre leur poste. Le pays est-il gouverné ?

À l’heure où j’écris ces lignes le Conseil (en visioconférence puisqu’il est hors de question que le roi quitte son lieu de villégiature) n’a pas encore eu lieu mais en confrontant l’expérience passée et les fuites du palais rapportées par les gazettes, je ne m’aventure pas dans une prévision hasardeuse en écrivant qu’il n’y aura pas de mesures fortes pour endiguer la propagation du variant Omicron : le gouvernement va continuer à se limiter à la vaccination dont on sait, scientifiquement, qu’elle est désormais très insuffisante ; il se pourrait même, disent ls gazetiers, que les non-vaccinés qui accepteraient une première injection aient droit au passe vaccinal comme ceux qui ont fait l’effort de se faire « piquer » trois fois. Comprenne qui pourra ! Le roi en appellera à la responsabilité de ses sujets pour pouvoir mieux leur faire porter le poids de l’échec de sa stratégie. Mais surtout pas question d’imposer des mesures qui indisposeraient les sujets du royaume ; en d’autres moments la question ne fut pas posée : on imposait !

Je comprends qu’il soit déplaisant que les tavernes, les auberges et autres théâtres soient clos tôt dans la soirée, que les déambulations nocturnes soient interdites et que les jeunes - ce groupe social si particulier - se sentent ainsi brimés, mais il faut choisir : laisser le virus prospérer ou éteindre l’épidémie. Bien sûr comme me disait ce matin une commerçante : il va falloir apprendre à vivre avec, oui mais comment : mort ou vif, entier ou invalide…

In fine, tout cela pose bien des questions, d’abord celle de la capacité des politiciens modernes à gouverner autre chose que leur image électorale, puis celle de la capacité des gens à accepter de surseoir à leur plaisir immédiat. Cette question rejoint celles posées par Marcel Gauchet à propos du fonctionnement de la société et de la politique dans un entretien accordé au journal La Croix (27 novembre 2021) ; il y évoque le fait que les gouvernants n’ont pas rendu la vaccination obligatoire au nom de l’intérêt collectif mais ont mis en avant la satisfaction du plaisir : « Il est dans votre intérêt de vous faire vacciner car cela vous ouvrira les portes des cinémas et des restaurants. » Marcel Gauchet s’interroge sur les conséquences d’une telle pratique de gouvernance : « Imaginez, dans une société comme celle-là, la nécessité de se défendre militairement… Va-t-on dire : “Il est dans votre intérêt de vous engager dans l’armée” ? Heureusement que ce n’est pas à l’ordre du jour. »

Espérons que le conte non écrit ne serait pas une dystopie que je voudrais ne pas voir ! En tout cas en pareilles circonstances Charles de Gaule ne serait pas parti en vacances…

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