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20 Mar 2019

Gilets Jaunes : la haine, la délation et le chœur des pleureuses.

Prologue : Que nos gouvernants puissent être touchés par la Grâce et entendre ce que disait Edward Osborne Wilson : « L’humanité ne se définit pas par ce qu’elle crée, mais parce qu’elle choisit de ne pas détruire. »

 

Irai-je, après les saccages de samedi 16 rejoindre le chœur des pleureuses, celles qui ont tellement peur pour leurs biens, leur sécurité, leur tranquillité ? Aujourd’hui les bourgeois ont « chaud aux fesses » alors ils en appellent au sauvetage de la République, eux qui sont si peu républicains dans les faits de leur vie quotidienne. Laissons ça, peut‑être n’est-ce qu’une question de point de vu. Mais, les pleureuses politiques sont là ! Sous prétexte de sauver une République qu’elles contribuent chaque jour à détruire et de préserver des valeurs qu’elles bafouent à longueur de temps voici un ramassis de politiciens qui appelle au rétablissement de l’ordre, qui veut une loi dure et coercitive pour interdire les manifestations. Que ne voient-ils la colère d’un pays où 3 millions de ses habitants ne peuvent pas subvenir à leurs soins d’hygiène élémentaire, où sous prétexte d’augmenter l'allocation d’aide aux handicapés on exclue près de 100 000 d’entre eux du bénéfice de cette allocation après leur avoir refusé leur droit au logement, où on voulait imposer une taxe sur les carburants pour financer la transition énergétique mais où moins de 20% des bénéfices de la taxe vont à cette transition ! Que ne voient-ils pas que sous prétexte d’augmenter les ressources des agriculteurs on va affamer un peu plus ceux qui déjà le 15 du mois ne peuvent plus se nourrir convenablement ! Que ne voient-ils pas qu’il ne suffit pas de distribuer des poignets de cacahuètes pour calmer cette douleur, d’autant plus vive que pendant qu’ils souffrent d’autres (7% de la population et le président de la République) vont au ski, pendant qu’ils déjeunent dans des assiettes ébréchées d’autres achètent pour le Palais des services de table à des prix exorbitants tout en demandant des économies et des sacrifices aux gens les plus humbles. Je pourrais continuer la liste longtemps tant les causes de la désespérance des humbles sont nombreuses, sans compter le mépris dans lequel, politiciens et journalistes, les tiennent.

 

Alors, il arrive un moment où la souffrance devient d’autant plus insupportable que les espoirs d’un jour meilleur sont inexistants, pas invisibles mais inexistants. Vient la violence comme seul remède au désespoir : marche ou crève ! Chacun dira que la violence est inexcusable, qu’elle n’est la solution à rien, c’est d’ailleurs les raisons pour lesquelles le gouvernement l’a choisie pour régler cette crise sociale, mais la violence permet d’exister. Dans les situations extrêmes la violence donne un visage à celui qui souffre, rappelons‑nous ce Gilets Jaunes qui répondait à un journaliste : « s’il n’y avait pas eu de violences, auriez-vous parlé de nous ? ». Peut-être la violence du pauvre n’est-elle qu’un gasp mais durant l’instant de cette respiration désordonnée et inefficace l’être se donne l’illusion de pouvoir encore prendre son destin en main. Edgar Morin écrivait (en décembre dans £e Monde) que le mouvement des Gilets Jaunes pouvait analogiquement faire penser à ne crise de foie, et il courrait la métaphore en montrant combien les Français n’avaient plus foi dans la politique, ni sans doute dans la société, ajouterai‑je, et ne parlons pas des médias. Ont-ils d’ailleurs encore foi en l’Homme ? Les rassemblements sur les ronds‑points ont montré comment et combien des Femmes et des Hommes se sont retrouvés en construisant une Humanité, alors qu’ils vivaient et ressentaient durement l’isolement engendré par les conditions modernes de la vie ; ils se sont rassemblés, ils se sont retrouvés, ils ont recollé les morceaux de leur identité, ils se sont créé une dignité.

 

C’est dans cette crise de foi et dans cette nouvelle Humanité que s’origine le mouvement des Gilets Jaunes. Le gouvernement, Jupiter à sa tête, a cru calmer la crise de foi en distribuant quelques bonbons au miel, et ne veut pas reconnaître cette nouvelle Humanité qui met tellement en cause le « haut du panier » de la société. Face à cette moquerie et à ce mépris que reste-t-il aux humbles pour exister, pour ne pas perdre la face devant leurs enfants ? Seule reste la violence. Sachons entendre cet homme algérien (d’un âge certain) interviewé sur France Info ce mardi 19 mars qui racontait combien il était heureux que les jeunes manifestent aujourd’hui, qui disait : « Ils font ce que je n’ai pas eu le courage de faire jadis ». Dans la crise actuelle qui dure depuis quatre mois (du jamais vu) que reste-t-il aux humbles à part la violence pour exister aux yeux du reste de la société et pour que leurs enfants plus tard ne disent pas « ils n’ont rien fait » !

 

Maintenant, chacun choisira ses responsables de la violence : le gouvernement, les nantis (je n’ose pas écrire les bourgeois) ou les élites (financiers, intellectuels, stars du show-business et journalistes). Peu importe le responsable mais, aujourd’hui, pour les pleureuses, seul est en cause le responsable de la gestion du pays, celui qui est garant du calme et de la sécurité : j’ai nommé le gouvernement. Celui-ci essaye-t-il de répondre à la crise par une analyse de la situation et par des solutions pertinentes ? Nenni, il ne répond à la violence que par la violence, certes légitime puisque c’est celle de l’Etat, encore que cette légitimité soit discutable au regard du discours qui ressasse que la violence est inexcusable. Comment peut-on trouver illégitime la violence en Turquie, en Russie et la flatter en France ? On se croirait dans une cour d’école : “ce n’est pas moi, c’est l’autre”. C’est que quand les bourgeois ont peur ils font donner de l’artillerie. Ont-ils peur de perdre leurs privilèges ? Peut-être pas, encore qu’il faudrait voir au cas par cas. Les bourgeois ont peur de perdre leur argent comme l’ont montré les pleureuses des Champs Elysées confortées par le ministre de l’économie : les violences qui mettent à mal l’économie, qui assassinent le PIB ! Alors l’Etat vient, avec une rare célérité, au secours des commerçants martyrisés alors que les sinistrés de l’Aude attendent depuis plus de six mois des aides. Que des gens perdent leur emploi, qu’ils ne mangent pas correctement, qu’ils ne puissent pas se soigner, qu’il n’y ait plus de services publics pour les recevoir, qu’on les oblige à souscrire des abonnements à internet pour faire leurs démarches alors qu’ils n’ont pas d’argent, tout cela et le reste ça n’intéresse pas le bourgeois et ça n’émeut pas les journalistes qui ne parlent que de la violence, renforçant la trouille du bourgeois. Alors le boxeur (pas celui des Gilets Jaunes mais celui de Matignon) sort les canons. Il faut exterminer les manifestants ; n’a-t-il pas déclaré sur France2 lundi 18 que l’usage des armes dites non‑létales (mais invalidantes) est une nécessité et peu importe si des gens sont blessés (on sentait dans son discours que “mort” pourrait aussi être à l’ordre du jour) après tout ils n’ont qu’à ne pas manifester. Dans cette vague autoritaire et mortifère, il est rejoint par la cohorte de ceux qui non content d’affamer les humbles. Voilà que les tenants de l’ordre appelés du doux nom de Les Républicains jouissent de voir leur proposition de loi dite « anticasseurs » devenir une loi votée à l’unissons par les perroquets enrubannés de la République en Marche. Elle est belle la République avec des individus qui ont à peu prêt autant d’humanité dans le regard qu’un régiment de cancrelats ! République, tes valeurs sont bafouées, tu es violée par ceux qui n’ont comme intelligence que ton nom galvaudé ; ils ont créé une monarchie républicaine avec ses courtisan et ses coureurs de charges (ou de fonctions) avides d’honneurs, de décorations et de compliments de la part du prince.

 

Pendant que les brutes s’agitent Jupiter pour donner le change enfume avec un débat qui n’en n’est pas un, un ersatz de concertation, un faux‑semblant de démocratie. Que sont des réunions noyautées par ses perroquets enrubannés et ses ministres ? Que sont-elles quand elles ne consistent qu’à laisser un court temps de parole aux gens puis, ensuite, à débiter pendant de longues minutes la propagande gouvernementale ? J’oubliai : Jupiter a la solution. Il ne sait pas quels sont les problèmes à traiter mais il arrive avec une solution, sa solution, on l’a vu à l’œuvre avec les négociateurs de l’assurance chômage. Ce mode de gouvernance, narcissique, me rappelle l phrase de Woddy Alen : « C’est bien la solution, mais quel était le problème ».  Plus sérieusement, à propos des ingénieurs, le sociologue Michel Crozier écrivait dans « La crise de l'intelligence » : « Certes, ils savent travailler et trouver des solutions mais ils sont, sauf exception et à cause de leur propension à tout traduire en ces termes, incapables de repenser la logique d’un système », avec le cas Macron on voit combien l'analyse de Michel Crozier s’applique aux « énarques », d’autant qu’il ajoute : « Promus très jeunes ils n’ont pas eu la chance de connaître l’échec et de puiser dans leurs expériences ; on retrouve ainsi dans les entreprises des problèmes identiques à ceux des cabinets ministériels. Ces mécanismes ne sont pas réservés aux ingénieurs. On les retrouve chez les financiers, les juristes et les administrateurs. » On comprend alors que lorsque ces gens croisent le chemin des bourgeois nantis qui ont tellement peur de perdre leurs maigres avantages ou ceux qui se satisfont d’un semblant de confort, il y ait une collusion des inintelligences et que la violence d’Etat, dont la prétendue légitimité permet de se dispenser de toute humanité au nom de l’Ordre, soit le recours et puisse revêtir les oripeaux de solution à une crise sociale.

 

Aujourd’hui, la France n’est que violence, légitime ou pas, et que haine. La France n’est plus une république une et indivisible, la France est « deux ». Jupiter a réussi la plus belle opération de clivage qui n’ait jamais existée. Il comparait, il y a quelques mois, la situation du pays à celle vécue dans les années 1930, il se trompait : il a réussi à ramener le pays au clivage de 1940‑1945. Dans cette période il y avait ceux qui résistaient au nom de l’honneur et de la liberté, et il y avait ceux peureux de la peur viscérale qui fait réclamer la protection et la sérénité et ceux peureux de voir leurs biens et leur argent engloutis qui réclament l’ordre, ceux‑là, les peureux, non contents de se soumettre ont fait vivre la France dans la délation. Voilà que nous retrouvons l’air de la délation avec un « citoyen » (mais on peut être citoyen et dépourvu d’humanité et d’honneur) qui entendant dans un train cinq pauvres bougres raconter comment ils s’étaient emparés de quelques bibelots à la suite des saccages de magasins à Paris, s’est cru obligé d’alerter la police qui s’est empressée d'interpeller les « voleurs » à leur descente du train. Triste sire, triste pays !

 

Voilà, d’un côté on essaie d’exister, de défendre sa peau, et de l’autre on dénonce, on frappe, on blesse et on tue (il ne faudrait pas oublier la vieille dame assassinée par une cartouche de gaz lacrymogène lancée par un policier) pendant que les chefs font du ski ou se trémoussent dans une boîte de nuit. Alors, faut-il rejoindre le camp des pleureuses ou celui des résistants ? Mais, les Gilets Jaunes vont finir non pas par rentrer chez eux mais n’en plus sortir effrayés des conséquences de manifester et du risque d’être molesté, blessé ou tué par les sbires du ministre de l’intérieur. Certains ont déjà déserté, comme une des plus célèbres Gilets Jaunes sans doute assurées d’une place sur une liste électorale. Que restera-t-il : une France divisée par la haine où plus personne n’osera bouger. Jupiter aura gagné : il sera de fait Imperator, blet mais Imperator jusqu’au jour inévitable où un nouveau mouvement social le déboulonnera.

 

Me revient le chant des Partisans que nous apprenions à l’école, de mon temps, il y a 60 ans, quand la France se souvenait des combats de ses Mères et de ses Pères :

 

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?

Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?

Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.

Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.

 

Montez de la mine, descendez des collines, camarades !

Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.

Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite !

Ohé, saboteur, attention à ton fardeau : dynamite…

 

31 Dec 2018

Gilets Jaunes : le temps de la contre‑manifestation.

Après plus d’un mois de manifestations des Gilets Jaunes qui contestent la politique du président de la République et, au-delà, la gouvernance du pays, voilà comme en mai 1968 les réactionnaires, ceux qui n’aiment pas le Peuple, vont descendre dans la rue pour défendre le « Boss ». L’analogie s’arrête là.

Le contexte et la structuration socioculturelle des deux mouvements sont dissemblables même si des similitudes peuvent être trouvées. Aujourd’hui, point d’étudiants dans le mouvement, pas de syndicats puisque disparus depuis longtemps du paysage social, et surtout les revendications de Gilets Jaunes vont bien au-delà de celles des étudiants, des « jeunes » et des ouvriers de 1968. D’autre part une étude plus approfondie des deux populations de manifestants montrerait sans doute une plus grande hétérogénéité en 2018 qu’en 1968. Cette hétérogénéité empreint aussi la population des « soutiens » aux mouvements. Peut‑être pourrait-on aussi avancer qu’en 1968 la séparation entre groupes d'opposants et groupes de « soutiens » se faisait sur une base politique classique droite‑gauche autour de la figure du général de Gaulle, aujourd’hui il s’agit moins d’une opposition organisée sur une base politique ou idéologique qu’un clivage c’est-à-dire une séparation par plans ou par niveaux avec des zones de recouvrement. Retenons qu’aujourd’hui le mouvement des Gilets Jaunes est soutenu par plus de 70% de la population au sein desquels des niveaux d’adhésion peuvent être discriminés sans doute corvéables à l'appartenance socio-économique des personnes. Les 30% d’opposition aux Gilets Jaunes correspondent à l’électorat, à peine augmenté, qui avait voté en faveur d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de mai 2017 ; ce groupe d’opposition est sans doute lui aussi clivé mais grosso-modo il est constitué par les Français les mieux nantis et vivant plutôt dans les villes. On ne voit pas dans les sondages et les études apparaître un véritable clivage politique mais plutôt une ligne de partage entre les « riches » et les « pauvres », entre ceux qui peuvent aller au ski et ceux qui galèrent pour finir les fins de mois, ceux pour qui acheter une voiture électrique n’est pas impossible et ceux qui peinent à remplacer leur vieille guimbarde…

Au-delà de la configuration des camps, l’analogie entre les deux mouvements est largement battue en brèche par la nature même des actions des manifestants : les blocages de rond-point ne sont pas des occupations d'usines, et aujourd’hui il n’y a pas de grève générale comme en 1968. Quoi qu’en disent certains le pays n’est pas bloqué et son économie n’est pas mise à mal comme elle le fut en 1968.

Il n’y a donc pas de véritable analogie entre Mai 68 et Novembre 2018 (on évitera de limiter l’écriture à « novembre 18 ») sauf en ce qui concerne l'existence d’un groupe d’irréductibles soutiens au Pouvoir en place, bien qu’ils soient moins nombreux que ceux du Général de Gaulle ils se constituent en mouvement : « les Foulards Rouges » et « Stop, maintenant ça suffit » ? Ces mouvements de soutiens au président de la République appellent à manifester le 27 janvier 2018 ; Emmanuel Macron amènera-t-il 1 million de personnes sur les Champs Elysées pour le soutenir et plébisciter sa politique ?

Comme tout en ce monde, nouveau comme ancien, conserve un caractère d’imprévisibilité je me garderai de toute prévision. Toutefois, l’électorat macronien ne dépassant pas les 21% du premier tour de l’élection présidentielle de mai 2017, certains disent 25%, je ne vois pas de raison à ce que la manifestation des « Foulards rouges » et du collectif « Stop, maintenant ça suffit » puisse rassembler une foule exceptionnelle. En outre du nombre toujours aussi restreint de personnes qui le soutiennent, la cote de popularité d’Emmanuel Macron s'effondre : « En décembre 2018, la popularité du président de la République, calculée à partir des enquêtes publiées par sept instituts de sondage (BVA, Ifop, Elabe, Harris Interactive, Ipsos, Kantar Sofres et Odoxa), n’atteint plus que 23,5 %. Soit une nouvelle baisse ‑cette fois de 4,2 points‑ par rapport à la moyenne des études publiées en novembre. L’an dernier, à la même époque, cette moyenne s’élevait à 47,3 %. » (Ouest France, 21/12/2018) ; ce ne sont donc pas d’éventuels sympathisants qui viendront renforcer les rangs des collectifs de soutien même si ceux-ci se déclarent apolitiques. D’autre part, aussi jupitérien qu’il veuille être, Emmanuel Macron est très loin d’avoir la stature politique du Général de Gaulle y compris à l’international, comme l’illustre l’analyse des résultats des élections présidentielles. Toutefois, une illustration n'est ni une vérité ni même une preuve suffisante donc l’analogie entre les élections présidentielles doit être manipulée avec circonspection. En 1965 l’élection présidentielle est la première de la Ve République à se dérouler au suffrage universel direct. Charles de Gaulle fut réélu avec 55,20 % des voix au second tour. On nous rétorquera qu’Emmanuel Macron a fait mieux : 66,60% au deuxième tour. Mais, la circonspection voulue plus haut oblige à analyser d’autres chiffres qui rendent bien mieux compte des situations électorales de 1965 et de 2017. L’élection du Général avait amené dans les bureaux de vote 84,32% des inscrits soit une abstention limitée à 15,58%, en mai 2017 l’abstention a atteint 25,40% ; en 1965 le nombre de bulletins nuls et blancs étaient au nombre de 2,74%, il fut de 11,47% en 2017. Il est donc hasardeux, si ce n’est présomptueux, que de revendiquer en 2017 d’avoir été élu « par les Français ». Les chiffres bruts des votants sont plus explicites puisque Monsieur Macron a reçu le suffrage de 20,8 millions d’électeurs, alors que ceux qui n’ont pas voté en sa faveur sont aux nombres de 26,77 millions (10,6 millions ont voté Marine Le Pen, 12,1 millions se sont abstenus et 4,07 millions ont déposé un bulletin blanc ou nul) ; ainsi Emmanuel Macron n’a été porté au pouvoir que par moins de la moitié des électeurs qui sont allés dans un bureau de vote et, en outre, les sondages ont montré que 47% de ceux qui ont voté pour lui l’ont fait pas défaut notamment pour faire barrage à Marine Le Pen. Alors, si la légitimité de l'actuel président de la République ne peut pas être remise en cause du fait du fonctionnement de nos institutions, elle se limite à la « légitimité légale », la « légitimité charismatique » est amplement absente. Emmanuel Macron n’est qu’un personnage sorti d’un quasi néant du théâtre politique qui a surgit au moment où un tsunami dû à la rencontre de deux plaques tectoniques : celle de la nullité du précédent gouvernement et celle de l’affaire Fillon, créait un vide dont une faible partie des Français ont cru qu’il pourrait le remplir, l’autre partie (minoritaire en suffrages mais majoritaire en nombre absolu) s’est contenté de laisser faire : quand on ne sait pas quoi faire on laisse faire les autres, pour autant on n’entend pas être méprisé. Cette élection n’est basée que sur une accumulation de leurres sans qu’on se soit aperçu qu’avec du vent et du creux on n’a jamais rempli un désert.

L’Histoire ne se reproduit pas et nous ne pourrons pas écrire après le mouvement des Gilets Jaunes ce que la Fondation Charles de Gaulle[1] conte de la fin de « Mai 68 » : « Le 30 mai 1968, après un mois de grèves, d’occupations des usines et des universités, de manifestations et d’affrontements que le pouvoir en place ne parvient pas à maîtriser, malgré les accords de Grenelle du 27 mai, la situation bascule en faveur du général de Gaulle.

Après avoir réuni le Conseil des ministres, le général de Gaulle prononce une allocution à la radio dans l’après-midi du 30 mai : « Etant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions ».

Renonçant au référendum qu’il avait proposé le 24, il annonce son maintien à la tête de l’État, la dissolution de l’Assemblée nationale – à la demande insistante du Premier ministre Georges Pompidou – et donc de nouvelles élections à tenir « dans les délais prévus par la Constitution ».

Peu après son allocution, une foule immense se rassemble et défile sur les Champs-Elysées pour lui apporter son soutien. » Cinquante ans après, le 10 décembre 2018, le président de la République n’a rien dit si ce n’est décliner quelques promesses technocratiques dont la plupart sont jugées insuffisantes et dont beaucoup accroîtront les inégalités entre les Français. Alors que le discours de Charles de Gaulle était politique celui d’Emmanuel Macron ne fut que gestionnaire, voire au niveau d’une comptabilité de caisse, de Gaulle parlait à des personnes et leur parlait de la France, Macron ne s’adresse qu’à des « porte-monnaie » et ne leur parle que d’une économie désincarnée !

[1] http://www.charles-de-gaulle.org/espace-pedagogie/dossiers-thematiques/de-crise-de-mai-1968/manifestation-soutien-de-gaulle-30-mai-1968/  

28 Dec 2018

Apprendre et enseigner : du simple au complexe, et vice versa

Regard d’acteur sur un texte de Marcel Crahay.

« Apprendre et enseigner : du simple au complexe, et vice versa »

 

Publié dans « Enseigner » sous la direction de Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle, PUF, mars 2007, et dans Patchwork pour l'école de JJ Latouille, L'Harmattan, 2017.

 

En tant qu’expert en pédagogie, que vous évoque le texte de Marcel Crahay ?

Jean‑Jacques Latouille : C’est d’abord la conclusion de l’article de Marcel Crahay qui m’interpelle à travers la proximité de l’emploi de la locution « sans doute » et du conditionnel. Ainsi, la manière de mobiliser les connaissances chez l’enfant et la façon dont cela aurait de l’effet peuvent apparaître comme situées dans une zone d’incertitude bornée par un possible incontestable et par une hypothèse vraisemblable. On voit là s’ouvrir le champ aventuro‑rationnel de la recherche scientifique. Toutefois, convenons que ce n’est que parce qu’il y a de l’inconnu et de l’incertain dans l’explication du connu que la recherche peut se justifier et qu’elle trouve une légitimité sociale. Mais que devient le praticien dans sa classe face à cette béance ? Comment le professeur peut‑il construire des séquences pédagogiques s’il est dépourvu de certitude à propos du bien-fondé de ce qu’il va mettre en œuvre ?

 

Vous soulignez en fait là toute la distance qui existe entre la recherche scientifique et la pratique de la classe. Comment résoudre, selon vous, ce problème ?

 

JJL : En nous éclairant sur l’évolution des conceptions scientifiques autour de la mise en dialectique et du déplacement l’un vers l’autre de « enseigner » et de « apprendre », fortement indissociable de la connaissance du fonctionnement des structures mentales de l’enfant, le texte de Marcel Crahay met en évidence que nous pourrions attendre du professeur qu’il fût un savant omniscient. En somme, que doit savoir et connaître le professeur pour être efficace auprès des élèves ? La question est trop vaste pour y répondre ici ; je me limiterai à citer Goéry Delacôte : « Ignorer l’architecture et la dynamique cognitives de ceux qui apprennent, revient à faire de la médecine sans tenir compte des connaissances de la biologie moléculaire et cellulaire. ». Mais pour nécessaire que ce soit, tout savoir des neurosciences, des sciences cognitives, de la psychologie voire de la sociologie ne suffit pas pour être efficace en classe.

 

Là encore, M. Crahay nous met sur la voie de la réponse lorsqu’il rappelle comment les recherches ont mis en évidence que les élèves faibles ne fonctionnent pas de la même façon que les forts ; il semblerait que les uns et les autres s’alignent et se font face sur une ligne, un peu comme au jeu du tire à la corde. Implicitement, il montre que dans la pratique du maître, la méthode ne peut pas être unique lorsqu’il s’agit de s’adresser à l’ensemble du groupe‑classe. Une méthode, dans son unicité, n’est efficace que lorsqu’elle rencontre un enfant et chacune de ses particularités. Rousseau écrivait qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode mais de bon ou de mauvais maître, et Freinet racontait que lorsqu’un élève avait échoué, il se demandait ce qui dans sa méthode ne convenait pas à l’élève.

 

L’approche en spirale, que propose Marcel Crahay, vous paraît‑elle possible A utiliser dans la pratique de l’enseignement ?

 

JJL : L’approche en spirale pousse vers une conception du maître explorateur plus que du maître savant. Voilà que notre maître est dans un univers de complexité ; il a en face de lui des êtres complexes qu’il confronte à des situations complexes. Une complexité qui se retrouve dans la conduite de l’articulation des quatre moments didactiques. En ethnologue plus qu’en aventurier, c’est en explorant cet univers comme il le ferait d’une jungle, qu’il observe l’enfant pour le guider. Le maître devra trouver, pas à pas, pour chacun des enfants, la méthode, l’exercice, l’étincelle qui leur permettront de rentrer et de progresser dans « l’apprendre ». Iront‑ils, le maître et l’élève, du simple au complexe ou du complexe au simple ? L’observation que le maître fera de l’enfant et de la façon dont il est élève, jointe à une bonne connaissance des « sciences de l’apprentissage et de l’enfant », permettra d’éviter une pédagogie qui ne s’adresserait qu’à un élève idéal‑typique.

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