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03 May 2020

CoVid-19/4 réouverture de l’école, la grande embrouille

Pauvre École, pauvres enseignants, pauvres parents, pauvres élèves : à quel Saint laïque se vouer ?

 

Au mois de mars, au début de « la crise », un jour le Ministre de l’Éducation nationale annonçait que les écoles resteraient ouvertes, le lendemain, jeudi 12 mars, le président de la République les fermait « jusqu’à nouvel ordre ». Le vendredi le Ministre de l’Éducation nationale déclarait à propos de la durée de fermeture : « On parle forcément de semaines, qui peuvent durer des mois bien sûr », a-t-il indiqué.

 

Promesse tenue, les écoles sont restées fermées jusqu’à la fin des congés scolaires de la dernière zone, et même au-delà puisqu’elles ne rouvriront qu’une semaine après : le 11 mai. Le 21 avril lors de son audition devant la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale, le Ministre, Jean-Michel Blanquer, déclarait que la rentrée des élèves « commencera durant la semaine du 11 mai par le premier degré en grande section de maternelle, CP et CM2. Elle s’effectuera par groupe de 15 élèves maximum à partir du 12 mai. Une semaine plus tard, le 18 mai s’effectuera la rentrée des collégiens et lycéens, 6es et 3es et première et terminales et les classes du professionnel industriel, toujours avec la limite de 15 élèves maximum par classe. Puis le 25 mai tous les autres élèves rentreront avec la même limite. » L’après-midi du même jour, à l’Assemblée nationale, au cours de la séance de questions au gouvernement, le même ministre répondait que le matin il n’avait qu’évoqué des hypothèses à propos desquelles il annonce : « Par ailleurs, selon les hypothèses que j’ai présentées ce matin, le retour à l’école sera progressif, notamment afin de pouvoir constituer les demi-groupes indispensables pour respecter les règles de distanciation sociale. Là aussi, ces hypothèses sont faites pour être débattues. Il me paraît souhaitable de commencer par les classes considérées comme charnières. Je reste très ouvert à toutes les propositions qui pourraient être faites pour améliorer encore le dispositif que nous commençons à envisager. »

 

Tout le monde, y compris la presse et ses journalistes, resta fixé sur l’idée que la réouverture des écoles se fera suivant les « hypothèses » déclarées par le ministre qui n’a démenti à aucun moment, et les maires, responsables des écoles, ont préparé la rentrée du 11 mai suivant ces règles. Surprise, le mardi 28 avril le Premier ministre vient, en bon camelot, vendre son plan de déconfinement devant les députés : « Ainsi, nous proposons une réouverture très progressive des maternelles et de l’école primaire à partir du 11 mai, partout dans le territoire et sur la base du volontariat. Ensuite, à partir du 18 mai, seulement dans les départements où la circulation du virus est très faible, nous pourrons envisager d’ouvrir les collèges, en commençant par les classes de 6e et de 5e. Nous déciderons fin mai si nous pouvons rouvrir les lycées, en commençant par les lycées professionnels, début juin. […] Les enfants devront pouvoir suivre une scolarité, soit au sein de leur établissement scolaire, dans la limite de quinze élèves par classe, soit chez eux, grâce à un enseignement à distance qui restera gratuit, soit en étude si les locaux scolaires le permettent ou dans des locaux périscolaires mis à disposition par les collectivités territoriales, si elles le souhaitent, pour des activités sportives, culturelles, civiques ou liées à la santé. » Faut-il voir là que le Premier ministre contredisait, une fois encore, son ministre de l’Éducation nationale, mais puisque celui‑ci n’avait annoncé que des hypothèses sept jours avant devant les députés, il ne s’agissait donc que de la transformation des hypothèses en stratégie. Pourtant le flou s’installa chez les Maires, chez les enseignants, chez les parents, chez les partenaires de l’école.

 

Au lendemain de cette déclaration qui semblait remettre en cause celle du Ministre de l’Éducation nationale, on s’aperçut que la compréhension du discours orientait vers deux décisions contradictoires autour du mot « progressive ». Certains entendaient que la progressivité était celle décrite précédemment par le Ministre de l’Éducation nationale, d’autres réduisaient « progressive » au seul fait de l’étalement des rentrées : l’école primaire, puis les collèges et, peut-être un jour, les lycées. Contredit lors d’une réunion par ceux qui avaient compris que l’ensemble de classes des écoles primaires rentrerait le 11 mai alors que je tenais que le Ministre n’ayant pas envoyé de nouvelles directives aux académies, j’ai procédé à une rapide enquête[1] auprès d’une vingtaine de mes amis enseignants, inspecteurs de l’éducation nationale et seulement parents d’élèves. Les deux tiers en restaient au premier discours du Ministre de l’Éducation nationale, le dernier tiers comprenait que toutes les classes d’école primaire étaient appelées à reprendre la classe le 12 mai.

 

Au-delà de la désignation des classes et de la désignation du jour de leur rentrée deux éléments posent question : le volontariat des parents avec le maintien de l’école à distance, et l’organisation de l’accueil des élèves dans des espaces différents des classes. Il faudrait aussi rajouter une foultitude d’autres aspects matériels et humains : comment les enseignants assureront-ils en même temps la classe face à élèves et l’enseignement à distance. En outre de tous ces aspects « techniques » dont certains, suivant l’association des maires de France, seront difficiles voire impossibles à mettre en place, que faut-il penser des propos suivants du Premier ministre : « Je veux laisser le maximum de souplesse aux acteurs de terrain en la matière. C’est ainsi que les directeurs d’école, les parents d’élève, les collectivités locales trouveront ensemble, avec pragmatisme, les meilleures solutions. Nous les soutiendrons et je leur fais confiance. »

 

Là où chacun est en droit d’attendre des directives claires, une fois de plus c’est le flou qui prédomine et le gouvernement renvoie sur d’autres l’obligation de décider. Pour les masques dont le pays était (est toujours) dépourvu on nous racontait qu’ils ne servaient à rien ou, comme le ressassait la porte‑parole du gouvernement, que nous ne savions pas nous en servir. Concernant l’école, au contraire, nous savons tellement ce qu’il faut faire que c’est à nous de décider. Tout d’un coup le citoyen et le « local » trouvent grâce aux yeux des macroniens.

 

Toutefois, les parents et les enseignants sont dans le flou, dans la crainte et les maires font ce qu’ils peuvent, en se protégeant et protégeant autant que faire se peut leur personnel. Ainsi, certains ont décidé de ne pas ouvrir les écoles de leur ville, d’autres de s’en tenir au plan annoncé par le Ministre de l’Éducation nationale le 21 avril comme à Poitiers : « Suite à une réunion organisée avec le directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) le 30 avril 2020, la Ville de Poitiers a décidé d’ouvrir, conjointement avec l’Éducation Nationale, la première semaine de reprise des écoles aux grandes sections de maternelle, CP et CM2 ainsi qu’aux enfants des professions prioritaires, d’enseignants, animateurs des maisons de quartier et agents de la ville intervenants dans les écoles. Au total, cette rentrée concernera 2 300 élèves sur les 6 300 scolarisés dans les écoles de la Ville[2]. », et d’autres ont repoussé la rentrée à plus tard comme la ville de Grenoble : « Nouveau point d’étape d’Éric Piolle mercredi 29 avril, suite aux annonces du Premier ministre la veille. Le maire de Grenoble présentera son propre plan de déconfinement le jeudi 7 mai, mais il annonce déjà une réouverture des écoles élémentaires pour le jeudi 14 mai et des écoles maternelles le lundi 25 mai.[3] »

 

Que d’incohérence, à moins qu’il s’agisse d’une stratégie qui viserait à faire porter à d’autres la charge de la décision et donc de la responsabilité, morale et pénale, en cas d’échec. En outre une telle stratégie permet de masquer ses propres insuffisances et ses incompétences, sans compter les aspects financiers : faire payer par l’autre ce qu’on est incapable de payer. Une telle stratégie n’est pas de nature à rassurer les citoyens ni à annihiler la défiance qu’ils manifestent à l’égard des gouvernants.

 

[1] Bien sûr sans valeur scientifique.

[2] Relevé sur le site de la Ville de Poitiers le 1er mai à 17h. L’histoire ne dit pas si les parents d’élèves et les enseignants ont participé à la discussion.

[3] Source : article Quel déconfinement pour Grenoble ? | Place Gre'net - Place Gre'net consulté le 1er mai, https://www.placegrenet.fr/2020/04/30/deconfinement-les-ecoles-elementaires-de-grenoble-rouvriront-le-jeudi-14-mai-et-les-maternelles-le-25/292807

03 May 2020

Macron nous a volé le 1er mai

Le 1er mai 1886, aux États-Unis, 200 000 travailleurs obtiennent la journée de huit heures grâce à une forte pression des syndicats. Mais un affrontement avec la police cause la mort de plusieurs personnes.

 

En souvenir de cette victoire amère, le 20 juin 1889 les syndicats européens, sur une proposition du Français Raymond Lavigne, décident qu’une grande manifestation sera organisée toutes les années à date fixe de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, au cours de laquelle les travailleurs mettront les pouvoirs publics en demeure de prendre en compte leurs revendications en vue d’améliorer les conditions de travail. Le 1er mai fut choisi comme date de la « journée internationale des travailleurs » ou « Fête des travailleurs ». C’est donc bien improprement qu’on l’appelle parfois « Fête du Travail », le 1er moi on ne fête pas le travail mais on rend hommage aux travailleurs notamment, en France, en souvenir des ouvriers qui furent assassinés par la police et les militaires le 1er mai 1891, à Fourmies, une petite ville du nord de la France. La manifestation a tourné au drame lorsque la troupe tire à bout portant sur la foule pacifique des ouvriers. Elle fait dix morts dont huit de moins de 21 ans, l’une des victimes, l’ouvrière Marie Blondeau, défilait habillée de blanc et les bras couverts de fleurs d’aubépine. L’aubépine devint le symbole de cette journée. Alors il y a de l’indécence à ce que Monsieur Emmanuel Macron vienne, dans une vidéo sur Twitter, fêter le 1er mai en des termes d’une incroyable malhonnêteté : « Car c’est bien grâce au travail, célébré ce jour, que la Nation tient. », « ce jour si symbolique ». De quel travail se revendique-t-il ? À quel symbole raccroche-t-il sa pensée politique ?

 

Qu’il soit né avec une cuillère en or dans la bouche, qu’il ait été bercé dans un berceau en velours, qu’il ait eu une tirelire toujours débordante, importe peu ; après tout cela lui fut donné et il n’en porterait pas la responsabilité s’il était moins orgueilleux et plus respectueux des humbles. Or, ce freluquet à l’allure d’un dandy, d’un mondain plus que d’un sage ou d’un philosophe humaniste, est à l’origine de la destruction, lente et méthodique, des conquêtes des travailleurs sur leurs oppresseurs.

 

La première décision qu’il a prise dans le cadre de la lutte contre l’épidémie qui assaille le monde, fut d’organiser les dérogations au droit du travail par l’ordonnance du 25 mars[1]. Ainsi, la durée quotidienne maximale de travail peut être portée à 12 heures même pour un travailleur de nuit (sous réserve pour ce dernier de l’attribution d’un repos compensateur). La durée du repos quotidien peut être réduite jusqu’à 9 heures, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pu bénéficier. La durée maximale hebdomadaire peut monter jusqu’à 60 heures et cette durée maximale calculée sur 12 semaines consécutives peut être portée jusqu’à 48 heures (44 heures pour le travailleur de nuit). Rien ne justifie ces dispositions sinon l’intention, bien connue des historiens, de juristes et des politologues, de créer une exception qui se figera dans la durée jusqu’à devenir la nouvelle norme. Venir s’associer à la fête des travailleurs alors qu’on massacre le droit du travail, relève de la fumisterie la plus profonde.

 

Depuis, qu’il fut nommé secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’économie ce suppôt du monde de la finance, n’a de cesse que de réduire les droits des travailleurs. Sa stratégie, un peu contenue par Hollande et Valls, ni l’un ni l’autre parangon de socialisme ni d’idéal social, qui confièrent « la loi travail » à une autre ministre par peur de trop déplaire aux électeurs, consiste à écarter les syndicats à propos desquels il dit aujourd’hui : « je veux avoir une pensée en ce jour pour les organisations syndicales qui ne peuvent tenir les traditionnels défilés », et à humilier les travailleurs des « ceux qui ne sont rien qu’il oppose dans une gare à ceux qui ont réussi » à « celles qui sont illettrées » en passant par « si je peux m’acheter un costume c’est parce que moi je travaille », etc., à ceux‑là il ose envoyer des vœux : « je veux avoir une pensée pour les travailleuses et les travailleurs de notre pays. »

 

N’est-ce pas insultant que d’entendre ce freluquet nous dire : « Avec cette volonté forte : retrouver dès que possible les 1er mai joyeux, chamailleurs parfois, qui font notre Nation. » Qu’entend-il par « chamailleurs » : que les travailleurs passeraient leur temps à se disputer bruyamment, suivant en ça la définition du mot, ou que le 1er mai ne serait plus qu’une vaste foire dépourvue de tous sens politique ? Ne faut-il pas entendre des accents pétainistes dans « qui font notre Nation » et dans « Car c’est bien grâce au travail, célébré ce jour, que la Nation tient. » ? Le 24 avril 1941, le maréchal Pétain instaura officiellement le 1er mai comme « la fête du Travail et de la Concorde sociale », appliquant ainsi la devise Travail, Famille, Patrie. Pétain refusant à la fois le capitalisme et le socialisme (ça rappelle le ni droite ni gauche) recherchait une troisième voie fondée sur le corporatisme, il débaptisa « la fête des travailleurs » qui faisait trop référence à la lutte des classes pour en faire une fête du Travail. La radio (d’État) ne manque pas l’occasion de souligner que le 1er mai coïncide avec la fête du saint patron du maréchal, saint Philippe. L’églantine rouge, associée à la gauche, est remplacée par le muguet. Cette fête disparaît à la Libération en 1945. L’intention de Macron est-elle de ressusciter la fête pétainiste ?

 

Voyez quelques extraits du discours de Pétain le 1er mai 1941 : « Mes Amis, J’ai tenu à passer au milieu de vous cette journée du 1er mai, la première depuis l’armistice, afin de bien marquer le sens et l’importance que j’attache à l’idée du travail autour de laquelle doit s’opérer, selon moi, la réconciliation de tous les Français. Le 1er mai a été, jusqu’ici, un symbole de division et de haine ; il sera désormais un symbole d’union et d’amitié parce qu’il sera la fête du Travail et des travailleurs. […] Mais si le travail est pour l’homme un passe-temps, il est aussi un bienfait. Il est, en effet, une condition de la bonne santé morale et physique, de l’équilibre et du développement des facultés humaines. […] Abandonner tout ensemble le principe de l’individu isolé en face de l’État, et la pratique de coalitions ouvrières et patronales dressées les unes contre les autres. Il institue des groupements comprenant tous les membres d’un même métier : patrons, techniciens, ouvriers. Le centre de groupement n’est plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l’intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise. Le bon sens indique, en effet, lorsqu’il n’est pas obscurci par la passion ou par la chimère, que l’intérêt primordial, essentiel, des membres d’un même métier, c’est la prospérité réelle de ce métier. […] Dès lors l’union de la nation ne sera plus une formule trop souvent trompeuse, mais une réalité bienfaisante. L’ordre social nouveau, tenant compte de la réalité économique et de la réalité humaine, permettra à tous de donner leur effort maximum dans la dignité, la sécurité et la justice. Patrons, techniciens, ouvriers, dans l’industrie comme dans l’artisanat, formeront des équipes étroitement unies qui joueront ensemble, pour la gagner ensemble, la même partie. Et la France, sur le plan du travail comme sur tous les autres, retrouvera l’équilibre et l’harmonie qui lui permettront de hâter l’heure de son relèvement. »

 

Est-ce donc vers cette soumission que veut nous conduire Macron ? Je l’entends, je le crois et je n’entends aucun signe de révolte ; je n’entends que de la résignation, comme en 1941. Les raisons en sont différentes. En 1941 la majorité des Françaises et des Français était apeurée ou désemparée, seuls quelques‑uns avaient rejoint la minorité des lâches collaborationnistes, et d’autres plus hardis qui croyaient en des valeurs humanistes fortes rejoignirent la Résistance, ces derniers constituèrent les bataillons qui, en 1945, ont fait de notre pays une Nation de solidarité à travers ses institutions sociales, son École, son système institutionnel, sa Constitution, son Droit du travail, autant d’œuvres que le macronisme, faisant suite au sarkozysme et au hollandisme, veut détruire pour à nouveau asservir les humble. Et, Macron réussira car aujourd’hui les Françaises et les Français n’ont rien du caractère de leurs aïeux de 1941. Ce n’est pas la peur qui les maintient dans la soumission, c’est la consommation. La seule ambition de la majorité des Français se limite à avoir suffisamment d’argent pour acheter une voiture, les dernières chaussures à la mode, essayer de répondre à des désirs plus qu’à des besoins réels. Le Peuple est trop gras, engraissé artificiellement par l’accès aux désirs, plus qu’aux plaisirs, organisé par les « marchands » qui ont mis au point une soumission réduite aux acquêts. Le mouvement des Gilets Jaunes aurait pu contredire cette perspective en laissant espérer sinon une révolte au moins un sursaut de courage et de volonté de sortir de la résignation, rien ! Macron leur a donné quelques cacahuètes et ils sont rentrés chez eux, puis il envoya sa police, comme à Fourmies en 1891, massacrer les récalcitrants.

 

Qui à la suite de cette ignominieuse intervention de Macron, le 1er mai, osera chanter :

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines,

Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne,

Ohé ! Partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !

Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. »

 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755940&categorieLien=id

14 Apr 2020

CoVid-19 : la bonne volonté, la peur, la solidarité.

Dans une interview Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès de Ministre de l’Éducation nationale, décrivait « le mouvement de solidarité » qui s’exprime sur la plateforme « jeveuxaider.gouv.fr », un torrent de bonnes volontés. Il annonçait aussi le lancement de plusieurs dispositifs d’aide aux hôpitaux et aux personnes âgées, qui seront assurés par des jeunes en service civique. En même temps on constate, sur le terrain, la mobilisation des associations autour des missions essentielles : l’aide alimentaire, l’aide « aux plus vulnérables et aux précaires », le lien à distance, la garde exceptionnelle d’enfants de soignants, la livraison de courses pour les personnes âgées ou en situation de handicap, l’aide aux devoirs, la fourniture d’ordinateurs pour que les enfants de milieux défavorisés puissent bénéficier de la « continuité pédagogique »… Le secrétaire d’État déclarait aussi vouloir lancer « une nouvelle mobilisation en soutien à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et aux établissements de santé, afin que les soignants puissent se concentrer sur leurs missions essentielles » en recrutant « 500 volontaires pour faire du lien avec des malades du coronavirus qui sont chez eux. Ils appelleront les personnes qui ont du mal à remplir l’application mise en place par l’AP-HP pour le suivi des malades à domicile. »

 

Les propos de Gabriel Attal soulèvent, particulièrement dans la situation d’épidémie actuelle, de nombreuses questions : pourquoi n’est-ce qu’en Ile-de-France qu’une plateforme a été mise en place pour un lien entre malades à domicile et soignants, pourquoi le secrétaire d’État ne cite-t-il pas les associations qui déploient des moyens humains importants et une énergie considérable malgré le confinement imposé à leurs bénévoles les plus âgés, pourquoi ne parle‑t‑il pas de tous ceux qui continuent de travailler pour le service des autres… ? Les questions sans doute plus politiques que sociologiques sont nombreuses, toutefois en période de crise : catastrophe naturelle, épidémie, seules deux questions sont fondamentales : qu’elles sont les limites de la bonne volonté, qu’est-ce que la solidarité ?

 

Gabriel Attal apporte un élément de réponse à la première question lorsqu’il déclare que « Le nombre de volontaires est très important, mais moins de 20 % sont employés. », À quoi le journaliste opposait la remarque suivante : « N’est-ce pas le signe que les associations n’ont pas besoin de volontaires sans compétences particulières ? »

 

Un volontariat qui ne serait pas assorti de compétences peut gêner la conduite des actions voire il peut être dangereux. On ne se souvient que trop rarement de cet adage « si quelqu’un se noie et que tu ne sais pas nager, ne te jette pas à l’eau sinon il y aura deux morts », le nombre de « héros ignorants » qui ont survécu à leur action de sauvetage est très nettement inférieur à celui de ceux qui sont morts, alors que la proportion est inverse chez les sauveteurs compétents. Dans la situation d’épidémie que nous vivons nous n’en sommes pas là quoiqu’il faille bien réfléchir aux conséquences possibles d’envoyer ou de laisser aller des volontaires n’importe où sans qu’ils aient les compétences attendues et sans prendre en compte le facteur risques : s’infecter eux-mêmes ou infecter les autres, et sans moyens de se protéger. Nous pourrions prendre l’exemple de ces jeunes gens qui, à Nice au début de l’épidémie, avaient décidé d’assurer les courses alimentaires pour des personnes âgées, ils avaient bien des masques mais dont la qualité n’était pas assurée, ils ne pratiquaient aucunes des précautions habituellement exigées dans ces circonstances et aucun d’entre eux ne savait s’il était infecté.

 

Au-delà de cette situation extrême, l’absence de compétences crée une gêne pour les associations qui accueilleraient ces volontaires. Les épiceries solidaires, par exemple, ont vu leur activité augmenter et ont dû accueillir des personnes qui d’ordinaire ne les sollicitaient pas, et elles ont dû faire face à une réorganisation de leur approvisionnement et de leurs modalités de fonctionnement au moment où leurs bénévoles, souvent âgés, devaient rester confinés. Dès lors si elles doivent en marchant, car elles réduisent les temps de rencontre hors distributions, former des gens, le travail s’alourdit voire se complexifie jusqu’à devenir très ou trop difficile. Pareillement l’encadrement de personnes inexpérimentées surcharge la charge de travail des professionnels et des bénévoles aguerris. Il ne s’agit donc pas de refuser les volontaires mais d’ajuster le volontariat aux besoins et à la capacité d’encadrement. D’ailleurs les associations n’ont pas rechigné, bien au contraire, à utiliser les plateformes de mise en relation mais elles requièrent du volontariat à hauteur de leurs besoins et de leurs capacités à encadrer.

 

On voit dans l’interview de Gabriel Attal qu’une fois encore, le gouvernement est à cent mille lieues des réalités de terrain, lorsqu’il déclare : « Dès cette semaine 1 000 jeunes [en Service Civique] sont déployés, grâce à Unis-Cité, pour maintenir un lien par téléphone avec des personnes âgées, ou leur livrer des courses ou des médicaments. Et, dès aujourd’hui, des jeunes en service civique vont venir en soutien aux établissements hospitaliers. Ils participeront pour treize hôpitaux des Hauts-de-France à l’acheminement et la gestion des stocks de masques. […] Non, ils n’interviendront pas sur des sujets sanitaires, mais apporteront un soutien logistique important pour le fonctionnement des structures de santé. » La logistique et le nettoyage dans un hôpital ça ne s’improvise pas ; les propos du secrétaire d’État confrontent « sa bonne volonté » aux deux questions récurrentes : la compétence et le nombre qui s’opposent à la capacité des personnels hospitaliers à former et à encadrer dans le contexte actuel. Dans un reportage à la télévision une cheffe d’un service de réanimation évoquait les faits que des infirmières venues d’autres services, donc pas formées à la réanimation, malgré quelques heures de formation, ne développaient pas les compétences nécessaires ; elle ajoutait que dans cette situation les malades ne sont pas tous soignés avec une égalité de traitement.

 

Rien n’est infaisable, mais la bonne volonté ne suffit pas. Il faut l’organiser.

 

L’organisation de la bonne volonté confronte à la deuxième question fondamentale en période de crise : qu’est-ce que la solidarité ?

 

Pour Gabriel Attal le succès du volontariat évoque « le signe d’un élan de solidarité extraordinaire ». Est-ce de la solidarité lorsqu’on appelle « 20 000 jeunes en service civique », puisqu’ils sont salariés au service d’association ou d’administration (comme les écoles), lorsqu’on évoque les hôpitaux « de province » qui accueillent des malades d’Ile‑de‑France ou du Grand-Est ? La notion de choix est consubstantielle de la notion de solidarité. Dans les deux cas évoqués est-ce que les personnes et les établissements sollicités peuvent exercer un choix véritable, c’est-à-dire peuvent-ils refuser ? Peut-être pourrions-nous répondre par ce proverbe chinois[1] : « Si un homme ne fait que ce qu’on exige de lui, il est un esclave. S’il en fait plus, il est un homme libre. » Celui qui ne choisit pas, celui qui est obligé, ne sont pas solidaires, ils ne font qu’obéir, au chef, aux circonstances ou peut‑être à un intérêt singulier, personnel et intime.

 

Convenons, cependant, que peu importe la motivation, l’important est dans l’action, dans son objectif et dans sa conséquence. Après tout suivant le proverbe chinois[2] « Rendre service aux autres, c’est se rendre service à soi-même » ce qui inscrirait la solidarité dans la théorie du don/contre don de Marcel Mauss qui montre que, contrairement aux idées reçues évoquant le lien entre don, gratuité et désintéressement, le don suppose ici des intérêts ; Mauss allait jusqu’à parler de force, de domination, de prestige, de séduction, de rivalité, et surtout de socialité (c’est-à-dire des relations entre les groupes et les individus). Marcel Mauss parle « d’échange‑don » et décrit plusieurs caractéristiques au don : il est un échange (il suppose une réciprocité) où il s’agit de donner, recevoir et rendre ; il sort du cercle intime et familial ; il a dans les sociétés un caractère obligatoire car il sert à quelque chose : il sert à créer des relations sociales entre les groupes et de la cohésion sociale dans la plupart des cas. On voit que dans la théorie de Mauss on dépasse la simple relation entre deux individus, le don est un système organisé qui concerne tout le groupe humain ou toute la société. Marcel Mauss parle alors de « système social de l’échange-don ». Notons, c’est essentiel, que l’échange évoqué par Mauss n’a rien à voir avec le système d’échange économique ou commercial, qu’il n’en n’a ni les mêmes fonctions ni les mêmes objectifs, tout au plus peut-on considérer qu’il existe parallèlement au système économique. Le système de l’échange‑don de Mauss a ses propres règles, valeurs et objectifs, son premier objectif étant de créer des relations sociales entre les groupes humains. Là, on voit bien combien et comment les séances d’applaudissement de 20 heures entrent bien dans ce système de l’échange‑don ; on est bien dans le contexte de la création d’une relation sociale entre le public (appelons comme ça les gens qui applaudissent) et les soignants où les premiers manifestent un hommage (sincère) aux seconds. Cet hommage exprime une conjuration de la peur et l’espoir d’un salut ; le public a peur d’être malade, il conjure cette peur en soutenant les soignants qui représentent l’espoir de guérison, d’autant plus qu’il n’existe pas pour l’heure de médicament guérisseur, d’ailleurs les applaudissements ne s’adressent pas à d’autres catégories de professionnels pourtant exposés : coursiers, enseignants, policiers… Sans doute sommes-nous là dans une configuration analogue à ce qui s’est passé avec la marche du 11 janvier 2015 après les attentats ou avec ce qu’expriment les marches blanches après un assassinat : l’agrégation des individualités, dans l’idée que le groupe rend plus fort, permettrait de faire face à la peur. Ceci, ici dans le cas de l’épidémie, est d’autant plus vrai que la peur dépasse l’individu, elle s’inscrit dans l’espace de la ville comme ce fut le cas, pour s’éloigner de la maladie et traiter la question par analogie, dans l’affaire[3] des « piqueurs de femmes » : « Précisément, cette menace s’inscrit dans l’espace de la ville, non en ce qu’elle vise spécifiquement tel ou tel espace de dangerosité – les faubourgs, par exemple – ou tel ou tel groupe social stigmatisé – les « barbares » – mais en ce qu’elle englobe la ville tout entière comme espace potentiel de violence, et tous les citadins (hommes) comme agresseurs virtuels. Les attaques de piqueurs ne se produisent pas en situation d’interconnaissance, mais d’anonymat. ». La maladie s’attaque à l’individu, lorsqu’elle devient une épidémie c’est toute la « ville » qu’elle menace créant ainsi un événement nouveau, une rupture d’avec l’avant épidémie autant dans sa dangerosité que dans les mesures de traitement mises en place, provoquant un réel changement d’état propice à changer cette masse divisée qu’est la foule, le public, en un groupe au sens sartrien de la démarche. Ce groupe doit se protéger collectivement et évoquer sa défense face à la peur. Quoi de mieux alors qu’une action commune. En outre, il y a l’effet démultiplicateur dû aux médias qui favorise l’adhésion : il faut en être, il faut se conformer au groupe. Les « applaudissements » sont donc un système de conjuration de la peur par un don aux soignants qui attend en retour un contre‑don sous forme de soins efficaces, qu’elle qu’en soit la sincérité, cela n’est pas la solidarité.

 

Peut-être que solidarité est un de ces mots vertueux comme les définissait Michel Cattla dans sa thèse, ces mots comme innovation, projet dont on ne sait plus très bien ce qu’ils disent, ce qu’ils recouvrent. Comme l’évoque, dans son blog sur Médiapart, Yves Faucoup : « Le mot « solidarité » est à la mode, il apparaît dans beaucoup d’expressions actuelles, de sigles : Pacte Civil de Solidarité (le PACS) ; Revenu de Solidarité Active (le RSA) ; Impôt de Solidarité sur la Fortune ; journée de la Solidarité (lundi de Pentecôte) ; Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL), et je passe toutes les associations caritatives avec le Quart-Monde ou le Tiers-Monde. » Si la solidarité s’arrête à donner à quelqu’un on situe l’action dans le champ de l’aumône comme le ferait un donateur charitable ou une action publique charitable ; c’est sur la base de cette charité que fonctionnaient les hôpitaux de jadis, c’est comme ça qu’on fonctionne encore lorsqu’on lâche une pièce dans la sibylle d’un mendiant. Là s’introduit toute l’ambiguïté de la polysémie qui couvre le mot solidarité en en faisant un mot plus vertueux qu’opérationnel : est-ce que cette action individuelle, qui contient l’impératif de choix que j’exprimais plus haut, exclurait les notions d’entraide, de coexistence et de lien proches de l’échange-don de Mauss, consubstantielles elle aussi à la solidarité ? Ce n’est pas la dimension individuelle ou collective, voire institutionnelle, qui définit la solidarité, c’est la présence des caractères suivants : possibilité de faire ou de ne pas faire, notion d’entraide, et présence d’une « relation entre personnes ayant conscience d’une communauté d’intérêts, qui entraîne, pour les unes, l’obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance. […] Agir par solidarité c’est se serrer les coudes[4]. »

 

On voit alors que dans la foultitude d’actions et d’initiatives rapportées par les médias bien peu relèvent d’une solidarité réelle, ou peut être au contraire sont-elles des actions solidaires car peut-il y avoir une société sans lien intime entre tous ses membres car « Cette réalité, comprise et rectifiée en fonction de l’idéal de justice, peut devenir le principe des obligations de l’être en société à condition d’être voulue par la masse des individus. Si l’on veut ménager la liberté, il importe que les volontés individuelles soient prêtes à se plier d’elles-mêmes aux nécessités de la justice. Si l’on veut substituer l’union pour la vie à la lutte pour la vie, il faut que les personnes aient l’habitude de se placer d’elles-mêmes au point de vue du collectif. Ces deux objectifs, liberté individuelle et justice sociale, peuvent paraître incompatibles à celui qui ne voit pas que sa propre liberté ne peut être assurée que par l’unité du groupe. La solidarité passe nécessairement par l’éducation du « sens social »… », ainsi se concevait la notion de solidarité à la fin du 19e siècle sous la IIIè république selon Marie-Claude Blets[5] qui fait part d’un renouveau de la notion à la fin du 20e siècle : « En 1981, peu de temps après la création en Pologne du syndicat Solidarnosc (1980), le président Mitterrand crée un ministère de la Solidarité, qui sera reconduit par la droite. En 1987, une encyclique du pape Jean-Paul II, Sollicitudo reisocialis, fait de la solidarité la « vertu chrétienne par excellence » ; la Charte européenne l’adopte parmi les valeurs fondamentales de la communauté, et, partout en Europe, les politiques sociales prennent désormais le nom de politiques de solidarité. La société civile n’est pas en reste : les organisations et entreprises solidaires se multiplient. La solidarité est devenue une idée fédératrice revendiquée à droite comme à gauche. ». Toutefois l’auteur souligne qu’aujourd’hui la solidarité « c’est aussi une sorte d’auberge espagnole recouvrant des significations très diverses. Nous ne savons plus vraiment ce que nous mettons sous ce terme. » Sans doute faudra-t-il repenser et redéfinir la notion de solidarité dans des sociétés éclatées, individualistes à l’extrême ?

 

La solidarité définie au 19e siècle, notamment par Léon Bourgeois, articulait la liberté personnelle et la responsabilité de tous, rapprochant ainsi la solidarité de l’idée consubstantielle de choix, alors qu’aujourd’hui la solidarité se reconnaîtrait moins au niveau des intentions et des actions que dans un impératif de gestion de la société comme l’évoque Marie-Claude Blais : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis nouveaux. Avec la mondialisation financière et les menaces sanitaires et environnementales, la solidarité factuelle ne cesse de s’étendre. Nous ne pouvons plus être seulement solidaires de nos contemporains, nous sommes responsables de la terre que nous laissons à nos enfants. Tel est le sens profond de l’idée de solidarité : nous ne formons qu’une seule humanité et nous sommes solidaires de tous nos contemporains comme de toutes les générations futures. ». L’humanité, au-delà de la société, se resserrait-elle autour du « commun », du bien commun et de l’intérêt général ? Pour autant il ne faut pas écarter d’une réflexion sur la solidarité les dimensions de l’altruisme et du lien.

 

Où est alors la crainte ? S’agirait-il d’une possible confusion entre bonne volonté et solidarité où la première ne serait qu’une réaction pulsionnelle face à une situation périlleuse déconnectée de toute dimension sociale ? Faut-il craindre que les actions individuelles ou collectives par opposition à institutionnelles ne soient que des réponses à un besoin de satisfaction personnelle et pouvant parfois masquer des besoins singuliers comme conjurer la peur ? Ou, enfin, ne doit-on pas s’interroger sur l’utilisation politique de la solidarité afin de gouverner le peuple par la peur ? J’emprunterai, non pas la réponse mais une prémisse, à Marie-Claude Bais : « La solidarité peut-elle retrouver sa dimension de contrat collectif, ou se réduira-t-elle à une version moderne de l’ancienne philanthropie, ou encore à un projet de société construit autour de la peur et de la recherche de sécurité ? » On voit bien là comment un gouvernement pourrait se décharger, par exemple, de la charge financière des hôpitaux en renvoyant aux citoyens le fait que leur solidarité pourrait en permettre, comme ils le montrent par leurs dons massifs, d’en financer le fonctionnement.

 

 

 

PS : je conseille vivement la lecture du journal Bruxelles Santé, numéro spécial 2003 intitulé « Peur et prévention ».

 

 

[1] https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/28460

[2] Robert Darrobers, Proverbes chinois, Point Seuil, p.121.

[3] Emmanuel Fureix, Histoire d'une peur urbaine : des « piqueurs » de femmes sous la Restauration, Revue d’histoire moderne & contemporaine 2013/3 (n° 60-3), pages 31 à 54.

[4] Yves Faucoup, La Solidarité, simple valeur morale ou exigence de la République ?, 26 juin 2012, blog sur Médiapart.

[5] Marie-Claude Blais, La solidarité, Presses universitaires de Caen | « Le Télémaque », 2008/1 n° 33 | pp 9 à 24.

24 Mar 2020

CoViD-19 : une épidémie entre orgueil et bêtise

Comme l’a dit récemment sur une chaîne de télévision la porte-parole de EELV « l’heure n’est pas aux règlements de comptes », d’autant moins qu’il est certain que les deux gouvernements précédents n’auraient pas mieux fait, d’ailleurs ne sont-ils pas largement responsables de l’état de décrépitude dans lequel se trouve le système de santé français. Toutefois l’heure est à l’analyse des « paroles » et des comportements, ceux du gouvernement, ceux des médecins, ceux des journalistes ainsi que ceux des citoyens.

 

Jeudi 19 mars, Elisabeth Lemoine et Patrick Cohen (de C à vous sur France 5) recevaient Michel Cymes, le médecin le plus médiatisé, qui revint sur son mea culpa de lundi 16 mars qui déclarait :  « J’ai juste dit que je regrettais peut-être une chose, c’est de ne pas avoir alarmé suffisamment et inquiété suffisamment les Français, puisque le fait de dire la vérité scientifique du moment - et chaque spécialiste/expert qui vient sur votre plateau vous donne la vérité scientifique au moment où on la dit. […] Il y a quinze jours ou trois semaines, quand je m’exprimais, je le faisais avec la vérité scientifique du moment. J’étais pas dans l’intuition, j’étais dans la vérité scientifique. Et effectivement, à l’époque, personne, aucun scientifique, ne pensait que ça allait prendre cette ampleur. Donc, je rassurais les gens en disant : « Oui, c’est compliqué, oui, on ne sait pas ce qui va se passer, mais quand on attrape le coronavirus, a priori, on attrape une grippe un peu cognée. Voilà c’est tout ». Et je me dis que finalement, je rassurais beaucoup les gens. Qu’est-ce que ça a eu comme conséquence, le fait de rassurer ? Et bien que personne n’est resté chez soi. »

 

Pauvre docteur Cymes, plein de science mais pas de celle de la communication ni de la gouvernance qui inclus l’anticipation. Lorsqu’on rassure les gens en leur racontant que la maladie n’est pas grave, que 98 % des malades guérissent, il ne faut pas s’étonner que les gens réagissent et agissent en conséquence. Ils se disent que si ce n’est pas grave il n’y a aucune précaution à prendre. Pour moi, pendant une période assez courte j’étais dans cette tendance, mais d’une part je suis un grand sceptique et d’autre part je lis beaucoup la presse et la littérature médicale ce qui m’a permis de m’interroger sur le décalage entre la situation en Chine, les alertes de l’OMS et ce que j’appellerai la sérénité du monde médical français du moins celui médiatisé.

 

De quelle vérité scientifique parle Michel Cymes quand on voit que la Fondation Bill Gates a donné 100 millions de dollars à l’OMS pour lutter contre le CoViD-19 : « SEATTLE, February 5, 2020 – The Bill & Melinda Gates Foundation today announced that it will immediately commit up to $100 million for the global response to the 2019 novel coronavirus (2019-nCoV). » (site de l’OMS) C’était le 5 février et déjà depuis janvier la situation en Chine alertait sur la dangerosité de la maladie : « Si la Chine a tardé à reconnaître la dangerosité de l’épidémie, n’hésitant pas à arrêter des médecins qui tentaient de donner l’alerte fin décembre 2019, ses premières mesures ont été radicales. Le 20 janvier, le président chinois, Xi Jinping, déclarait que la situation était « grave », et l’épidémiologiste de renom Zhong Nanshan expliquait à la télévision nationale que le virus était bien contagieux entre humains. » (Le Monde) Si les Chinois mentent sur les chiffres, ils ne prennent de telles mesures pour faire de l’image médiatique !

 

Alors, qu’on ne sache pas tout de la nature du virus, de son mode de transmission et de sa dangerosité est compréhensible à la lumière des difficultés à embrasser ce que sont les virus. Pourtant la lecture d’un petit livre simple écrit par des chercheurs (Les virus – ennemis ou alliés, éditions Quae) qui, en même temps que le livre montre l’immensité du monde des virus, fait éclater en pleine lumière leur dangerosité potentielle et les aléas de raisonnement auxquels ils confrontent les chercheurs et les médecins. La vérité scientifique, en présence d’un nouveau virus, c’est de dire qu’on ne connaît pas grand-chose de son identité, de sa capacité de mutation, de la façon dont il rejoint et attaque les cellules hôtes et peut-être même qu’on ne sait pas vraiment qu’elles sont ces cellules, partant on ne minimise pas la dangerosité, on prévient (dans toutes les acceptions du terme).

 

Les médecins, dans ce moment d’ignorance, nous disaient : « vous ne savez pas nager, mais allez‑y, quand l’eau vous chatouillera les narines vous ferez demi‑tour. » Nous sommes partis nous amuser dans la rivière, nous pensions qu’en sachant nager ou avec une bouée (le paracétamol) quoiqu’il arrive nous nous en sortirions sains‑et‑sauf ; sauf qu’il y avait un trou et du remous ignorés par notre conseilleur ! La sagesse eût été de dire « j’ignore s’il y a un trou et du remous, alors ne t’aventure pas ».

 

L’excès d’optimisme ou de confiance n’est-il pas un signe d’orgueil ?

 

Oui, l’attitude des « sachants » début mars comme déjà en février relevait plus de l’orgueil que de la pure ignorance ou de la bêtise ; il s’agissait de cacher son ignorance et de faire montre d’un optimisme débordant qui devait montrer que nous, en France, on saurait mieux faire que les Chinois. Or, comme écrivait Sophocle dans son Antigone : « La sagesse est de beaucoup la première des conditions du bonheur. […] Les orgueilleux voient leurs grands mots payés de grands coups du sort, et ce n’est qu’avec les années qu’ils apprennent à être sages. » Nous sommes en train de vivre un grand coup du sort et il n’est absolument pas certain que la sagesse vienne aux « sachants » ni aux politiciens. Déjà Molière dans le « Médecin malgré lui » avait cette réplique merveilleuse : « Les bévues ne sont point pour nous, et c’est toujours la faute de celui qui meurt. » Cette réplique est en exergue du livre d’Alexandre Minkowski (Le mandarin aux pieds nus, 1975) où j’espérais trouver de l’aide pour étayer ma thèse présente, mais je ne l’ai pas relu et je me suis arrêté sur le titre d’un chapitre : « Où le mandarin rappelle qu’il vaut mieux prévenir que guérir » !

 

Pendant les quinze années durant lesquelles j’ai été cadre dans un organisme de secours en étroite collaboration avec la Protection Civile (aujourd’hui la Sécurité Civile) j’ai été confronté à cette incapacité des uns et des autres à prévenir, mais nous étions remarquablement performants en matière d’intervention post-incident et en gestion de crise, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui semble-t-il, mais l’anticipation était encore à l’ordre du jour ; nous n’étions que trente après la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide était là. La coordination des secours était réelle et efficace, les querelles d’ego attendaient le débriefing pour éclater. Aujourd’hui on se demande qui pilote l’avion. Comment se fait-il que dans une situation épidémique, désormais avérée, toutes les forces, civiles et militaires, ne soient pas entièrement mobilisées et sous les ordres d’un seul commandement ? Il aura fallu attendre le 16 mars pour que le président de la République fasse appel au service de santé de l’armée dont on s’aperçoit qu’il est bien démuni, en d’autre occasion ‑mais les dirigeants du pays avaient un autre envergure‑ il fallut moins de temps pour faire intervenir les véhicules de l’armée pour pallier l’absence de transports en commun ou prendre en charge le ramassage des ordures suite à une grève massive.

 

Après l’orgueil, en France nous sommes meilleurs, voilà que vient la bêtise, autre élément d’un couple infernal qui refuse de voir la réalité, qui s’enferme dans ses « doctrines » et son dogmatisme, et qui méprise l’Autre, mais qui, de nos jours, communique.

Les gouvernants ne gouvernent plus, ils gèrent et ils communiquent. Macron et ses ministres dans un vaste mouvement de « business is first » se préoccupent prioritairement de l’économie et si peu de la santé, les gens, les personnes ne les intéressent pas. Certes les mesures économiques sont importantes pour limiter une trop grande chute après l’épidémie mais présentement elles se font, trop nombreuses, au détriment des plus humbles à qui on enjoint d’aller au travail sans se soucier de leur santé ni de leurs conditions de travail. La porte‑parole du gouvernement, n’a-t-elle pas déclaré que le travail est meilleur pour la santé que le masque ? Le gouvernement soumis aux financiers n’hésite pas à rogner sur les droits des salariés, comme le montre, par exemple, le projet de loi relatif à l’État d’urgence sanitaire, voté à l’unanimité par les sénateurs notamment de droite trop contents de faire la peau au droit du travail ; ce projet contient dans son article 7 cet alinéa qui par ordonnance du gouvernement permettra aux chefs d’entreprise : « de modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du Code du travail, les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique. » Ainsi, les « héros du quotidien » comme dit Macron sont taillables et corvéables à souhait et sans compensation ; l’ineffable Bruno Le Maire craignant une levée de bouclier social a invité « toutes les fédérations et les grandes entreprises à verser cette prime de 1.000 euros défiscalisée. Nous devons faire mieux pour toutes ces personnes dont nous avons impérativement besoin », bien sûr il est soutenu par le Medef qui soulignait, dans Les Échos, l’importance de récompenser "les héros du quotidien".

 

Qui sont ces héros du quotidien ? Ceux qui sont en télétravail au chaud chez eux bien que très ennuyés par les enfants qu’il faut occuper et auxquels il faut « faire classe » ? Ceux-là sont majoritairement des cadres, des informaticiens, des membres de professions intellectuelles, et plus rarement des employés de bureau ou des commerciaux… en tout cas ils ne sont pas des salariés soumis aux métiers les plus pénibles qui subissent le bruit intense, portent de lourdes charges, peinent sous les intempéries… Ces métiers-là sont dévolus aux humbles, ceux qui n’ont pas bien travaillé à l’école comme l’a dit une députée LREM dans une émission de télé consacrée à la réforme des retraites. Ces travailleurs sont les grands oubliés des « applaudissements de 20 heures » : caissières, livreurs, coursiers, ouvriers du bâtiment, chauffeurs de bus et de taxi, ouvriers des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d’énergie… facteurs et manutentionnaires, non seulement ils sont d’autant plus oubliés que ceux qui applaudissent sont ceux qui utilisent leur service. Si on peut comprendre que certaines activités industrielles doivent continuer parce qu’elles sont indispensables au maintien d’un bon état sanitaire et aux besoins premiers (alimentaires et d’hygiène) des personnes, on comprend mal en quoi fabriquer des soutiens-gorges ou des voitures qui iront gonfler des stocks dormants présente un intérêt majeur pour le pays en ce moment.

 

Là on atteint le point de la bêtise de certains citoyens. Christophe Castaner a eu raison de qualifier d’imbéciles ceux qui ne respectent pas les consignes liées au confinement mais il pourrait faire de même à l’endroit de certains « savants » comme le sociologue Jean Viard qui déclarait, face à l’inquiétude d’un coursier, que les entreprises doivent mettre en œuvre les consignes mais qu’il n’est pas possible d’arrêter l’activité du pays, alors les coursiers doivent travailler coûte que coûte. On ne pouvait pas s’attendre à un autre discours de la part d’un « macronien » ; extrait du journal la Provence : « Jean-Philippe Agresti se lance à son tour dans la course aux municipales. Le doyen de la faculté de droit d’Aix, né à Marseille il y a 45 ans, annoncera ce soir sa candidature à ses soutiens, parmi lesquels la députée LREM Claire Pitollat et le sociologue Jean Viard. », Jean Viard fut le candidat, battu, investit par LREM dans la 5e circonscription de Vaucluse en 2017. Si Jean Viard est un affidé de Macron et que son discours relève de la bêtise la plus profonde et du mépris à l’égard des humbles (j’en resterai là sur la façon de qualifier ce personnage), c’est aussi le comportement des gens, de ceux qui restent chez eux, qui est en cause et qui met à mal la santé des « héros du quotidien ». Castaner aurait aussi pu adresser son compliment à la « conne », vue dans un reportage, qui laissait éclater sa joie de pouvoir encore recevoir des vêtements commandés « en ligne » ; « ça fait du bien » disait-elle dans un vaste élan altruiste car à n’en pas douter elle participe à la séance d’applaudissement de 20h.

 

La séance d’applaudissement de 20h sera à analyser, plus tard comme le fut l’amalgame de janvier 2015, pour ce qu’elle est : une séance de conjuration des peurs, et pour ce qu’elle n’est pas : une prise de conscience de la situation épidémique et de sa dangerosité. Si cette prise de conscience était là les gens seraient capables de surseoir à leurs envies de consommation ; qui a un besoin si pressant de vêtements et de chaussures neuves, qui n’est pas capable de se préparer à manger et ne peut se passer des pizzas et autres repas livrés ? Outre l’absence de prise de conscience de la situation, ce comportement manifeste le mépris dans lequel ces gens tiennent les humbles qui les servent, car il s’agit bien d’un service qui vire à une forme d’esclavage : demain on entendra à propos de la mort d’un coursier, « ce n’était qu’un coursier » et pourvu qu’il ne soit pas d’origine africaine sinon quels seront les mots…

 

À qui profite le crime ? Comme d’habitude, et l’épidémie exacerbe le phénomène et n’y changera rien, à l’élite : un premier groupe avec les financiers, les soiffards du fric comme Amazon, les riches comme certains chefs d’entreprise et les politiciens trop heureux de trouver une occasion de rejeter la faute de leurs insuffisances sur ceux qui vont mourir, et un deuxième groupe avec les bobos installés dans un confort de discours intellectuo-politiques alimentés par les éditocrates qui ont le cul plus usé par un usage effréné de leur chaise que ne le sont leurs yeux par l’observation de la vie sociale « profonde », et les « insuffisants mentaux » intoxiqués à la consommation comme le cas cité plus haut .

 

Ainsi, nous vivons coincés entre l’orgueil et l’avidité du premier groupe et la bêtise et la béatitude du second. Les sachants dont je parlais plus haut choisiront en conscience leur camp : celui de l’élite ou celui des humbles, des « héros du quotidien » ; « La première qualité d'un héros, c'est d'être mort et enterré. » écrivait Marcel Pagnol, et un mort ne réclame rien à personne même pas à son assassin.

15 Feb 2020

Éduquer : querelle de méthodes.

Dans une époque où certains nous expliquent que les neurosciences vont organiser et faire réussir toute éducation, où le ministre de l’éducation nationale se présente comme un addicte des neurosciences matinée d’autoritarisme, il est peut-être reposant, sinon intéressant, de se replonger dans la littérature du 19e siècle pour y voir que la querelle des méthodes ne date pas d’aujourd’hui et qu’en tout cas l’éducation n’est pas chose simple et qu’on ne peut pas la réduire, fusse à propos de l’apprentissage de la lecture, au seul fonctionnement du cerveau.

 

Anatole France et son roman Le Crime de Sylvestre Bonnard nous offre cette distraction et ouvre à la réflexion à propos de l’éducation. Lisons :

 

« Une éducation qui n’exerce pas les volontés est une éducation qui déprave les âmes. Il faut que l'instituteur enseigne à vouloir.

 

Je cru voir que maître Mouche m’estimait un pauvre homme. Il reprit avec beaucoup de calme et d'assurance.

Songez, monsieur que l'éducation des pauvres doit être faite avec beaucoup de circonspection et en vue de l'état de dépendance qu'ils doivent avoir dans la société.

 

Le notaire s'appliqua, de nouveau, à justifier le système d'éducation de Mademoiselle Préfère, et me dit, en matière de conclusion :

On n’apprend pas en s’amusant.

On n’apprend qu'en s'amusant, répondit‑je. L'art d'enseigner n'est que l'art d'éveiller la curiosité des jeunes âmes pour la satisfaire ensuite, et la curiosité n'est vive et Scène que dans les esprits heureux. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent. Pour digérer le savoir il faut l'avoir avalé avec appétit. Je connais Jeanne. Si cette enfant m'était confiée, je ferais d'elle, non pas une savante, car je lui veux du bien, mais une enfant brillante d'intelligence et de vie et en laquelle toutes les belles choses de la nature et de l'art se reflèteraient avec un doux éclat. Je la ferais vivre en sympathie avec les beaux paysages, avec les scènes idéales de la poésie et de l'histoire, avec la musique noblement émue. Je lui me rendrai aimable tout ce que je voudrais lui faire aimer. »  

 

Et si enseigner n’était qu’une question d’amour et de passion pour les choses et les êtres, et une volonté de partage avec les autres, avec l’Autre ?

11 Dec 2019

Regard sur la querelle des méthodes d'apprentissage de la lecture

Regrettons l’impossibilité de discuter du fond du problème, argumente de telle façon qu’il ne peut que générer des crispations chez les principaux acteurs de l’apprentissage de la lecture que sont, après les enfants, les enseignants. Nous pourrions penser que le choix d’une méthode de lecture pourrait être soutenu par une orientation politique quand on voit qu’un ministre de l’éducation nationale de droite fait interdire l’accès de l’école de formation des cadres de l’éducation nationale à un chercheur, en l’occurrence Roland Goigoux et réprimander un inspecteur, moi, parce qu’il avait signé une pétition de soutien à ce chercheur.

Laisser croire, comme certains l’ont fait, que la méthode globale ne serait le fait que des « forces de gauches » est une sottise car le tournant a été pris dans les années 1970, dans le cadre d’un vaste mouvement qui interrogeait à la fois les systèmes et les méthodes d’éducation, en France mais aussi dans de très nombreux pays. En outre, il ne me semble pas que le ministre qui signa les programmes de 1972 fut de gauche. Au-delà des interrogations sur les méthodes d’éducation et conséquemment sur celles d’apprentissage, à cette époque les pays occidentaux étaient confrontés à « l’échec scolaire » qui de problématiques scolaires se transforma en problème de politique publique. Si avant cette époque la société pouvait se satisfaire d’un nombre important d’enfants qui ne réussissaient pas bien à l’école, avec l’accès de tous au collège et l’augmentation du chômage conséquence entre autres du choc pétrolier la société n’était plus autorisée à envoyer dans la vie active des enfants peu lettrés. Ce qu’on oublie souvent d’écrire c’est que ce changement de méthode, mais ce fut bien plus que la seule méthode de lecture, voulait d’abord répondre au défi de la réduction de l’échec scolaire qui, de surcroît, touchait très majoritairement les enfants des classes sociales les moins favorisées, celles dont les enfants devenaient garçons de fermes, cantonniers, autant de métiers qui se raréfiaient. Du coup il n’est pas surprenant que ceux qui avaient inventé l’éducation populaire, rencontré ou mis au point d’autres approches éducatives aient voulu promouvoir des approches différentes d’organisation et de conduite de la classe et qu’ils se soient orientés vers les idées leaders à cette époque promues, entre autres, par Henri Wallon, Françoise Dolto, Jean Piaget et Ovide Decroly qui mettaient en avant l’enfant, son développement (physiologique et psychique) et sa capacité à s’émerveiller.

Ainsi, ils promurent une approche différente de la lecture et de son apprentissage, la méthode globale mais bien d’autres aussi qui s’adressaient à l’enfant dans sa globalité, dans son intelligence, dans sa créativité, dans sa curiosité. Sans doute ont-ils parfois trop stupidement dénoncé la méthode syllabique comme étant une méthode bêtifiante, qui en appelle plus aux ânonnements qu’à la compréhension ; mais en même temps ils n’ont jamais renoncé au déchiffrage et à une approche syllabique dans l’apprentissage de la lecture. La méthode globale voulait répondre à l’échec de certains élèves, bien plus nombreux que les 150 000 d’aujourd’hui cités par l’auteur (un chiffre dont il ne nous dit pas la provenance). Car certains élèves, de tout temps, ne réussissent pas à apprendre avec la méthode syllabique ; ainsi Nicolas Adam pensa en 1787 que d’unifier l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pouvait être une solution. Je n’irai pas jusqu’à écrire que l’inventeur de la méthode globale d’apprentissage de la lecture s’inspira des théories de Adam, mais le fondement était semblable : apporter une aide aux enfants en difficulté, déficients intellectuels (pour reprendre une terminologie de l’époux) dont certains pouvaient être porteurs de pathologies qui entravaient les apprentissages ; tous ces enfants n’arrivaient pas à lire en utilisant les méthodes habituelles. Ainsi, Ovide Decroly, médecin, pédagogue et psychologue, a mis au point et expérimenté au début du 20° siècle un processus global d’apprentissage de la lecture et de l’écriture qu’il expérimenta avec des élèves en difficulté mais aussi avec des élèves « normaux ». La promotion de cette méthode fut le fruit d’au moins trois causes : la recherche en linguistique, l’évolution des connaissances en psychologie de l’enfant mais aussi l’émergence des sciences cognitives, et les démarches des mouvements de l’Éducation nouvelle en opposition à la tradition qui notons le ne datent pas des années post 1968 mais qui dès la fin du 19° siècle s’opposaient à la tradition et souhaitaient actualiser de méthodes pédagogiques d’un point de vue individualiste. Ils étaient en cela les héritiers de la Renaissance et des humanistes (Érasme, Cornélius, Montaigne, Rabelais) en voulant organiser la classe et les apprentissages en les recentrant sur les centres d’intérêt proche de l’enfant pour, disaient-ils, s’adresser à l’esprit d’exploration et de co-opération qui existe chez l’enfant, c’est la période où l’école invente les activités d’éveil. Ils prônaient une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs : intellectuels, artistiques, physiques, manuels et sociaux.

 

C’est aussi cette histoire qu’il faut raconter si on veut qu’un débat serein puisse s’établir. Il faut aussi dire que si ceux-là se sont trompés, ont fait fausse route ce n’est ni à cause d’un militantisme borné ni en raison de je ne sais quel crétinisme mais peut-être simplement parce que la science de l’époque ne permettait pas de les détromper. Il n’empêche que si aujourd’hui la science, qu’elle soit « sociale », « humaine » ou « neuro », nous dit que la méthode syllabique serait meilleure que tout autre, elle ne nous dit toujours pas pourquoi elle ne fonctionnait pas jadis pour tellement d’enfants et pourquoi tellement d’enfants ont appris (dont sans doute l’auteur de l’article) avec d’autres méthodes que « la syllabique ». On ne peut pas dire que les autres méthodes sont nulles alors que la très grande majorité des élèves depuis 1970 ont appris avec elles et qu’aujourd’hui certains sont ingénieurs, polies, chercheurs… et même sociologues. Cela n’enlève rien à la valeur des découvertes des neurosciences sur l’importance de la découverte et de la construction de la liaison graphème-phonème, et donc du décryptage syllabique.

 

Mais surtout, opposer sans précautions oratoires, sans expliquer les fondements historiques des évolutions et des choix, c’est ne pas vouloir reconnaître une réalité bien connue de tous ceux qui ont enseigné : l’apprentissage c’est complexe et ça ne se limite pas à la physiologie, enseigner c’est tout aussi complexe. Ne pas reconnaître et surtout ne pas écrire cela, c’est d’une part méprisant et insultant pour les enseignants qui mettent tout leur cœur, toute leur énergie pour faire en sorte que les enfants, devenus élèves, aient accès aux apprentissages, et c’est scientifiquement faire une erreur qui consiste à ne fonder ses analyses, ses hypothèses et donc ses résultats que sur une variable là où elles sont multiples. Déjà à la fin des années 1990 deux chercheurs mandatés pour réfléchir à la réforme du système scolaire irlandais écrivaient dans leur rapport que les méthodologies des sciences sociales utilisées pour collecter les données sur les écoles ne peuvent jamais donner lieu à des résultats clairs et sans ambiguïté, tant les questions éducatives sont complexes.

 

Il n’y a pas de débat à avoir à propos des méthodes de lectures, il n’y a que des faits scientifiques à poser. Si effectivement le déchiffrage syllabique est fondamental il faut le dire simplement, plus modestement et plus humblement que ne le font certains neuroscientifiques à la mode, et il faut former les enseignants en conséquence. Mais cela ne suffit pas car savoir lire ne se limite pas à savoir décoder et bon nombre des élèves en difficulté de lecture à l’entrée au collège savent décoder mais ne savent pas lire par méconnaissance du sens des mots qu’ils lisent : alors ils hésitent, ont une lecture hachée… et si l’individu n’entretient pas sa compétence en lecture il la perd et devient un illettré.

 

Sur cette question des apprentissages, en lecture et pour d’autres choses, chacun gagnerait à se couvrir d’un manteau d’humilité et en cessant, comme c’est trop régulièrement le cas, de parler des choses sans les décontextualiser. Apprendre à lire ça ne se limite pas à un tunnel d’IRM ni même à une expérimentation sous la tutelle d’un chercheur. Apprendre à lire ou à compter c’est un face-à-face quotidien entre un enseignant et des élèves (le plus souvent entre 25 et 30) dans un contexte social et matériel particulier. Les enseignants, depuis des siècles, sont fatigués d’entendre ces « beaux messieurs » avec chapeau haut de forme et redingote leur donner des leçons avec arrogance, déjà aux 19° siècle on leur reprochait de ne pas utiliser les avancées de la science, mais que ces messieurs descendent de leur chaire et qu’ils viennent tous les jours seuls face aux élèves. Que les scientifiques expliquent et que, guidés par eux plus que sermonnés, les enseignants en déduisent leur pratique, il y a des instances pour les aider à transformer la science en pratique pélagique (le CETRQ au Québec, l’IFE anciennement INRP en France qui portait bien son nom : institut national de recherche pédagogique).

 

 

29 Sep 2019

Deux morts opposées l’une à l’autre : Jacques Chirac / une directrice d’école

J’ai signé une drôle de pétition.

 

Ici, on prendra le mot drôle dans cette acception où il évoque la bizarrerie d’une chose. La pétition que j’évoque n’a rien d’amusant, en elle-même elle n’est pas bizarre ; ce qui l’est c’est la contradiction dans laquelle elle mettra la plupart des signataires et peut-être aussi des non-signataires. Sans doute ce recours à la bizarrerie permet de poser un voile de pudeur sur de l’incohérence ou une pensée paradoxale.

 

J’ai rencontré cette pétition grâce au blog de « patchanka » sur Médiapart dont le billet s’intitule « On ne commémore pas la mémoire d’un délinquant dans les écoles » qui reprend le titre de la pétition https://www.change.org/p/blanquer-on-ne-commémore-pas-la-mémoire-d-un-délinquant-public-chirac?recruiter=339753163&utm_source=share_petition&utm_medium=copylink&utm_campaign=share_petition&use_react=false.

 

Dans ces textes l’hommage à Jacques Chirac est mis en opposition avec le décès, par suicide, d’une directrice d’école à Pantin. Est-ce raisonnable ? Est-ce inévitable ? Est-ce exagéré ?

 

Je ne sais pas répondre. Si j’ai signé malgré une réticence forte, c’est parce que je connais bien le malaise des enseignants qui comme les policiers, comme les infirmières, comme les agriculteurs se suicident « en masse » tant ils sont déboussolés et fatigués par leurs conditions de travail et l’absence de reconnaissance sociale suffisante. Dans le cas des enseignants, peut‑être aussi pour d’autres, il faut ajouter une absence totale de prise en compte de leurs problèmes, professionnels et personnels, par une hiérarchie obnubilée, elle-même, par sa sauvegarde dans un système de plus en plus déshumanisé, de plus en plus technocratisé, de plus en plus financiarisé.

 

Au moment où j’allais apposer ma signature je trouvai la charge contre Jacques Chirac exagérée dans ce moment où la mort devrait nous éloigner provisoirement des querelles. Mais, faut-il oublier ? Non, il ne faut pas oublier, ni le bien ni le mal, et il faut le dire. Est-ce le moment opportun ? Là aussi je ne sais pas répondre. Pour, ma part je ne vouais aucune admiration au Président Chirac tout en lui reconnaissant des erreurs mais aussi des actes de courage. Étant en situation de handicap, je lui reconnais les lois relatives au handicap… Mais ça ne suffit pas à faire oublier Malik Oussekine, et le discours du Vel d’Hiv ne peut pas gommer le massacre de la grotte d’Ouvéa. Seulement la politique et la direction des affaires publiques ne sont pas chose simple et l’histoire qu’on en fait ne peut pas se réduire à quelques faits. L’article de Edwy Plenel le montre avec la justesse d’analyse propre à l’auteur (Si faible et si fragile démocratie française, 28 septembre 2019 par Edwy Plenel) : « Devoir patriotique, le chagrin semble devenu obligatoire. Les rares voix qui, à l’instar de Mediapart (lire la nécrologie de Jacques Chirac par notre rédaction), rappellent que la vie publique de l’ancien président ne saurait se réduire à la figure bonhomme des dernières années, au « non » bienvenu opposé à l’aventure américaine en Irak et au choc des civilisations, au nécessaire « discours du Vel d’Hiv » sur la participation de l’État français au génocide des juifs, à l’appel solennel d’urgence écologique face à une planète qui brûle, ces voix dissidentes sont étouffées, inaudibles ou vilipendées.

Elles ne font pourtant que rappeler des faits d’histoire face à un décès qui, s’agissant d’un homme public, n’est pas une affaire de famille, où les secrets dérangeants devraient être éclipsés ou oubliés, mais le moment, au contraire, où une nation devrait avoir la force de se regarder en face. »

 

C’est sans doute cette phrase « où une nation devrait avoir la force de se regarder en face », lu après que j’ai signé, qui me conforte dans le choix que j’ai fait : rendre hommage pour le travail accompli sans oublier les erreurs, les fautes et, surtout, ne pas utiliser l’hommage à quelqu’un pour masquer les fautes présentes des autres. Il fallait signer cette pétition pour rappeler à la hiérarchie de l’Éducation nationale le poids et les conséquences de ses fautes de gestion des ressources humaines.

 

31 Aug 2019

Amazonie Macron se moque de nous

Voilà E. Macron de plus en plus écologiste, au point de se fâcher avec le président du Brésil et à ne pas signer le traité du Mercosur qu’il encensait en juin dernier. C’est sûr, le CETA est bien mieux même si Trudeau encourage l’extraction du gaz de schiste.

 

Alors, on annonce la création d’un fond « Amazonie » pour que les pays concernés achètent des bombardiers d’eau, des équipements pour leurs sapeurs‑pompiers, etc. En même temps les membres du G7 qui ne représentent qu’une infime partie de la population mondiale et moins de la moitié des ressources économiques sont prêts renier le droit à la souveraineté du Brésil en traitant directement avec les gouverneurs de province. La première ministre du Danemark l’a pourtant bien dit à Trump à propos du Groenland, l’époque où une minorité de pays pouvait acheter « terres nationales et les habitants » est révolue. Mais, Macron démocrate en chef rêve d’être à la tête d’un vaste empire.

 

Revenons, à la forêt en feu. Les propositions du G7, inspirées par l’incroyable intelligence de Jupiter 1er, sont une fois de plus un cataplasme sur une jambe de bois et en même temps une remarquable entreprise d’enfumage… Finalement Macron récupère la fumée amazonienne pour nous endormir comme si nous étions des insectes.

 

Une fois encore on ne traitera pas la cause des incendies. Bien entendu qu’il est hors de question de s’attaquer aux propriétaires terriens qui veulent augmenter leurs territoires pour produire encore plus de soja puisque les éleveurs des pays du G7 et notamment la France l’achètent en quantités démesurées mais à coût faible. En même temps les mêmes éleveurs se réjouissent de la volte-face de Macron sur le Mercosur, ils seront ainsi protégés d’un surplus d’importation de viande de bœufs brésiliens.

 

Donc le ministre brésilien de l’Éducation n’a pas totalement tord quand il écrit : « Macron n’est pas à la hauteur de ce débat [sur l’Amazonie]. C’est juste un crétin opportuniste qui cherche le soutien du lobby agricole français ». Le mot « crétin » n’est peut-être pas approprié car Macron est un stratège comme beaucoup de narcissiques autoritaires.

 

Et nous, pôvres français franchouillards, nous sommes ravis et prêts à croire en la révolution écologiste de Jupiter.

18 Aug 2019

Cyril Dion et la Convention Citoyenne

Il y a quelques jours Cyril Dion était interviewé sur France Inter à propos, notamment, de la Convention Citoyenne dont il est l’un des promoteurs. Cette Convention qui doit réunir 150 personnes tirées au sort doit réfléchir aux problèmes écologiques du moment et émettre un certain nombre de propositions qui seront transmises au président de la République qui avait été séduit par cette initiative et l’avait reprise à son compte à l’issue du fameux « Débat national ».

J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’interview de Cyril Dion et lu attentivement le billet qu’il a rédigé sur son blog https://blogs.mediapart.fr/cyril-dion/blog/090819/si-l-continue-comme-ca-une-partie-de-notre-civilisation-risque-de-seffondrer , et je lui ai écrit le commentaire qui suit. Aujourd’hui j’agrémente ou j’augmente ce commentaire de quelques réflexions venues par la suite. Ces ajouts sont en italique.

 

9 août 2019 Par Jean-Jacques LATOUILLE

Bonjour

Je viens de lire votre billet de blog et surtout d'écouter l'intégralité de l'interview. Globalement j'adhère à vos analyses. Toutefois je m'interroge beaucoup à propos de la "convention citoyenne" dont on n'entend pas parler dans les médias comme si on voulait la cacher aux citoyens, avant même qu'elle soit née. Quand j'évoque les médias je pense essentiellement aux médias télévisés, mais ma lecture quotidienne et assidue de la presse écrite (environ 2 heures par jour) ne m'a pas amené à repérer une information la concernant.

Soit, vous venez d'annoncer qu'elle va voir le jour. Que vous en soyez le "garant" (avec d'autres semble-t-il) ne me dérange pas mais vu ce qu'il est advenu de la "garance" [un néologisme que j’assume pour la couleur du symbole attachée] de Pascal Perrineau pour le "grand débat" je m'interroge sur l'efficacité de cette pratique.

Une autre interrogation porte sur la composition de la convention et le mode de sélection. Pourquoi celui-ci est-il confié à une officine privée (capitaliste s'il en fut) qui sera rémunérée par l'État : quelle indépendance. Pourquoi ne pas avoir sollicité deux laboratoires universitaires qui ont ce savoir-faire ?

D’autre part 150 personnes, je parle en termes de sociologie et de statistiques, ça ne peut pas être représentatif de 47 000 000 de personnes inscrites sur les listes électorales et moins encore de l'ensemble des 67 millions de citoyens. Le panel est de mauvaise qualité et un de mes étudiants m'aurait proposé un tel travail que je l'aurais renvoyé dans ses manuels d'études en matière d'enquête sociologique.

Enfin, j'aurais envie de dire plein d'autres choses mais le temps est compté, croyez-vous vraiment que quelques émissions de télé ou sur internet amèneront de la transparence si les citoyens ne peuvent pas intervenir ? J'ai l'impression que cette convention risque d'être vécue comme étant une "image" ou un mirage dans le système de communication de M. Macron.

Je n'ai jamais été tiré au sort pour quoi que ce soit, même pas pour un jury d'assise, alors je serai privé d'une participation à ce qui devrait être un débat citoyen comme beaucoup le seront qui penseront, comme pour le "grand débat" que ce n'est que l'affaire des "messieurs de Paris".

Nous ne nous rencontrerons sans doute jamais ce qui nous privera de discuter du fond de cette "opération" mais vous vous arrogez, vous l'intellectuel parisien" (c'est ce que vont penser les "humbles") un droit de représentation des autres; vous êtes l'émanation d'un groupe dont, merci de m’en excuser, je n'ai pas retenu le nom, mais qui étaient ces gens, quel rapport avec le mouvement des Gilets Jaunes ? etc.

Votre mouvement « Les Gilets Citoyens » est-il plus représentatif que les Gilets Jaunes ou, contrairement à eux, n’a-t-il comme supériorité que d’avoir su formaliser une plateforme revendicative ? Le nom de votre mouvement interroge : Gilets Citoyens, les autres « gilets » ou « bonnets » seraient-ils moins citoyens ? J’ai lu avec attention la liste des participants à votre mouvement : quelques chercheurs (sont-ils tous déclarés), beaucoup de « simples citoyens-nes », quelques « Gilets Jaunes » mais lesquels. Cette diversité apporte de la crédibilité aux Gilets Citoyens mais aucun caractère de meilleure représentativité de la société moins encore de la population. Mais, vous avez fédéré autour d’une proposition : la Convention Citoyenne, une idée qui a séduit le président de la République alors vous avez le droit de cité en tant que force de proposition alors que les autres « Gilets » ne sont que des révolutionnaires voire des casseurs (sans le vouloir vous cautionnez le discours du gouvernement qui vise à discréditer les Gilets Jaunes). D’ailleurs vous-même dans l’interview vous indiquiez que de vouloir renverser le gouvernement ça ne se fait pas, en démocratie on doit parler… Seulement je ne crois pas, quelles que soient les propositions que vous ferez, que les personnes qui ont livré leurs souffrances au moment de manifestations, vous accordent de la crédibilité parce que, entre autres, vous serez vu comme un intellectuel de surcroît soutenu par le président de la République et que, comme l’écrit Chomsky, « les intellectuels sont généralement privilégiés ». Pour donner de la crédibilité à votre Convention il aurait fallu la démultiplier et la rapprocher des gens, on n’est pas obligé d’organiser des « grandes messes » médiatisées on peut aussi aller s’assoir à la table et converser avec les personnes. Je vous invite dans cette démarche à lire Pierre Bourdieu, et d’autres comme Florence Aubenas et ses confrères (en voie de disparition) journalistes d’investigation.

Sur un plan plus général dans votre démarche vous semblez (mais peut-être n’ai‑je pas compris) ne pas remettre en cause le système capitaliste actuel et la mondialisation. Chomsky, dans son dernier livre, cite John Dewey qui décrivait la politique comme « l’ombre de la grande entreprise sur la société, ombre dont l’atténuation ne changera rien à la substance. » Je ne vous suivrai donc pas sur le chemin de l’accommodation avec le système politico‑financier du moment ; pour autant je ne suis pas un fana (aujourd’hui on dit un fan) des révolutions dont l’histoire nous dit qu’elles n’aboutissent que rarement à de états heureux de la société, mais prenez garde à ce que votre mouvement, si policé, ne ressemble pas à une « révolution confisquée » comme l’écrit Jean Tulard à propos des mouvements sociaux de 1830. Autant de choses à lire et à méditer quand on veut « faire du social », je ne parle pas de politique car il y a trop longtemps qu’elle s’est détachée de la société.

Cependant, même si mon commentaire ne le montre pas, je soutiendrai (y compris sur mes blogs) votre initiative en croisant les doigts pour qu'il en sorte quelque chose de positif. Mais je n'y crois pas beaucoup parce que tout ça est trop coupé du monde citoyen de la base : les campagnes profondes, les usines, les cités... J’étais ce matin au bistrot dans une cité, où on boit de la bière et du vin rosé à 9h, et je n’ai pas perçu que les personnes qui étaient‑là percevaient un moindre frémissement d’amélioration de leurs conditions de vie depuis les déclarations du président de la République ; aucune avait entendu parler de votre initiative et après mes explication c’était « et alors ? ». Mon expérience n’a pas de valeur scientifique mais elle raconte les gens, ceux qui ne vont plus voter, ils deviennent de jour en jour une majorité, la majorité.

Si, comme je crois vous l'avez fait l'année dernière, vous passez par Poitiers notre maison vous sera ouverte.

04 Jun 2019

critique du livre

Bonjour Jean-Jacques, cher collègue,

Je voulais vous remercier pour votre dédicace qui m'a fait très plaisir. J'ai en effet pu parcourir aujourd'hui votre essai "Gilets Jaunes" que j'ai trouvé très bien renseigné, factuel, et d'une très bonne analyse que je partage entièrement. Il de surcroit bien écrit, très facile à lire, ce qui rend les aspects techniques agréables (notamment sur la démonstration que l'augmentation de la prime d'activité n'est en réalité que "de la poudre de perlimpinpin", pour reprendre le président... Vous avez raison, le droit (le droit positif et aussi naturel) a été évacué, ce qui est, paradoxalement parfois, le propre d'un discours sur l' "Etat de droit" où l'ordre public a prévalu sur l'intérêt général (comme pour Thiers à l'époque ayant eu recours au Maréchal de Mac Mahon pour réprimer). Et que dire encore du "bloc bourgeois" représentant des intérêts particuliers qui ont fait basculer les choses dans le sens de l'ordre et de la préservation de la rente, au seul profit politique de ce président autiste et de son équipe de cyniques. La réduction progressive en servitude et le mépris pour la France périphérique et rurale, le déficit d'humanité, le refus de la dignité marquera du sceau de l'infamie ce quinquennat. C'est donc un essai qui apporte une pierre, managériale, mais surtout politique au sens noble du terme. Je reste toujours disponible pour en parler, si vous passez à l'IPAG pour une occasion ou une autre.

Encore un grand merci. Bien respectueusement,

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