Le PS et la censure, trahison ou fanfaronnade
Dimanche 2 février 2025, à l’heure où je mets la dernière main à ce billet les médias nous informent que François Bayrou aura recours au célèbre article 49-3 de la constitution. Quelle seront la position du PS et celle du RN ?
Lundi 3 février à 14hje mets en ligne ce billet ; le PS et le RN n’ont pas encore décidé de leur position vis-à-vis de la motion de censure déposée par LFI.
Incroyables socialistes qui ne présentent jamais d’objectifs ni de stratégie clairs et cohérents : un jour on vote la censure contre le gouvernement Barnier, le lendemain on ne vote pas la censure contre le gouvernement Bayrou (pourtant connu comme étant un roublard) et on négocie (sans ses partenaires) avec le gouvernement pour se donner une excuse pour éviter de voter la censure, puis vint un mot : la submersion migratoire, pas forcément stupide mais inopportun dans le climat politique et social actuel en France et, hop, voilà que les socialistes veulent à nouveau voter la censure, avant que ça ne change encore… Même si cette danse du scalp n’est pas complètement dénuée, sinon de bon sens, d’une teinte de stratégie politique, comment voulez-vous que le bon peuple, qui n’aspire qu’à une vie apaisée, s’y retrouve ?
En un mot : que cherche le Parti Socialiste ? À redorer une image déjà bien écornée par les deux septennats de François Mitterrand durant lesquels les valeurs socialistes ont été amplement noyées dans la soumission au monde de la finance sous-couvert de sociale démocratie[1]. Cette position idéologique voudrait qu’on puisse passer progressivement et sans révolution violente du capitalisme au socialisme, une définition qui peut si on n’approfondit pas l’analyse s’appliquer aux trois premières années de la présidence de F. Mitterrand. Après le renvoi, le 17 juillet 1984, du Premier ministre Pierre Mauroy et son remplacement par Laurent Fabius la teinte de sociale démocratie fut bien ternie et ouvrait grand la porte sinon au capitalisme du moins à une idéologie proche du libéralisme économique. Ainsi, après avoir « englouti » leur ennemi principal : les communistes, dans le Programme Commun de gouvernement, le PS mitterrandien avait les coudées franches pour mettre en œuvre une politique centriste, donc plus proche de l’idéologie « droitière » et conservatrice. À l’échéance du mandat de F. Mitterrand, en 1995, le PS représenté par Lionel Jospin arriva en tête au premier tour de l’élection[2] devant Jacques Chirac qui, au second tour, recueillit l’ensemble des suffrages de droite qui s’étaient dispersés entre plusieurs candidats notamment en raison de la présence d’Édouard Balladur. Les causes de l’échec du parti socialiste à l’élection présidentielle de 1995 sont multiples, variées et complexes, mais il en est une qu’il faut relever : le PS et le PC avaient perdu une grande partie du « vote populaire » qui pour une part non négligeable commençait à être attentif aux sirènes de Front National, ce dernier obtint 15 % des suffrages au premier tour ce qui le plaçait en quatrième position. Ces résultats marquaient la déception des électeurs face à un gouvernement qui n’arriva pas à enrayer les crises économiques et sociales du pays, et la prise de conscience par ces électeurs que le PS n’était plus le parti des ouvriers et des employés.
En 1981 ce fut l’accord passé entre le PS, le PC et les Radicaux de Gauche qui avait permis l’arrivée au pouvoir de la Gauche, le Nouveau Front Populaire présente une figure analogue bien que n’ayant pas permis de dégager une franche majorité il a assuré une position de leader et surtout permis de sauver le PS. Revenons en 2012 pour retrouver une situation semblable à celle de 1981 avec un écart moindre entre François Hollande arrivé en tête et Nicolas Sarkozy qui devance le troisième candidat : le Front National qui frise les 18 %. Si les communistes étaient absents de cette élection, une nouvelle force de gauche entrait en lice avec comme porte-étendard Jean-Luc Mélenchon représentant le Front de Gauche auquel participaient les communistes. Élu président de la République, François Hollande suivra, en l’empirant, la ligne politique de François Mitterrand. On vit apparaître des lois clairement en contradiction avec les valeurs du socialisme dont les plus emblématiques : la « loi travail » dite « loi El Khomri », et la réforme des retraites entre 2013 et 2014 conduite par Marisol Touraine. Ce qui eut pour effet d’aggraver la crise de confiance des électeurs vis-à-vis de la classe politique comme le relevait déjà Jacques Chirac en 1995 dans son livre programme[3] : « La France souffre d’un mal plus profond que ne l’imaginent les acteurs politiques, les responsables économiques, les intellectuels en vogue et les célébrités du système médiatique. Le peuple a perdu confiance. Son désarroi l’incline à la résignation ; il risque de l’inciter à la colère. Plus de la moitié de la population française n’est ni entendue ni défendue. Les ouvriers, les employés, les cadres, les professions intermédiaires, trame de notre tissu social et forces vives de notre pays, peuvent être sensibles aux sirènes de la démagogie. »
On peut voir à travers ce court résumé des péripéties politiques comment le parti socialiste a abandonné, au profit du monde de la finance, ses valeurs[4] et en même temps trahit ses électeurs. Que reste-t-il en 2025 de l’idéal socialiste ? Que reste-t-il de cet idéal tant le parti socialiste est prêt à abandonner ses partenaires « du moment électoral » pour aller, sous prétexte d’être une gauche et une opposition constructive, se compromettre avec son adversaire politique auprès duquel il quémande quelque menu fretin pour ne pas le renverser ?
Sans la coalition du Nouveau Front Populaire le parti socialiste aurait obtenu, vraisemblablement, moins de la moitié des sièges qu’il a obtenus en juillet 2024 ; doit-on conclure de l’attitude du PS qu’il n’a même pas une once de reconnaissance ? Si l’écart idéologique avec les autres membres de la coalition et notamment avec la France Insoumise est tel qu’on le présente aujourd’hui, raisonnablement le PS n’aurait pas dû s’aligner avec cette coalition. Il semble donc que le PS navigue entre deux moments de trahison : le premier en participant à la coalition du nouveau Front populaire alors que semble-t-il il n’en partageait pas l’idéologie donc en mentant à son électorat traditionnel, le deuxième en allant négocier avec l’actuel Premier ministre dont on connaît la capacité à lui-même trahir et mentir, il tourne le dos aux électeurs qui ont voté sur la base du programme du NFP.
Cette manœuvre semble purement électoraliste : le PS veut se positionner pour la prochaine élection présidentielle en souhaitant que celle-ci n’ait pas lieu avant 2027. Il veut se donner l’image d’un parti raisonnable et progressiste (ce qui n’est pas le cas depuis 1981), raisonnable et responsable en ne votant pas la censure (puisqu’on dit tant que voter la censure est un acte d’irresponsabilité), progressiste en confondant l’obtention de l’abandon de certaines mesures par le Premier ministre avec des propositions de progrès social. Comment les électeurs accepteraient que la remise en discussion de la loi réformant les retraites dans le cadre d’un carcan tel qu’il est proposé par F. Bayrou puisse représenter une quelconque proposition susceptible d’améliorer le bien-être de la société ? Comment pourraient-ils accepter que le renoncement à la suppression de quatre mille postes d’enseignants puisse représenter un progrès quelconque alors qu’en même temps les postes de contractuels ne sont pas renouvelées et que chacun sait bien que si on ne supprime pas ces postes cette année on les supprimera l’année prochaine (il y a là une question de cohérence budgétaire comme le rappelle Nicolas Baverez[5]). La base de négociation proposée par le PS n’est que de la poudre de perlimpinpin. Comment peut-il négliger qu’au-delà des babioles qu’il négocie, le budget prévoit la suppression de tout ce qui concerne l’écologie, qu’il ne prévoit pas d’amélioration du système hospitalier… et que plus globalement la politique envisagée par le Premier ministre est une politique défavorable aux plus vulnérables, déjà ce jour on apprend la suppression du Pass Culture collectif et des contrats du Service Civique… Mais le PS, marketing politique oblige, veut donner de lui une l’image « d’un parti responsable » comme le confirme la déclaration d’Olivier Faure le 16 janvier dernier alors qu’il tentait d’expliquer pourquoi son parti ne votera pas cette première motion de censure en se tournant vers les « forces de gauches » qui le chahutaient : « Si vous êtes gênés, prenez la parole après moi ! Si vous pensez que ce que je dis n’a aucun intérêt pour les Français, qu’ils ne sont pas heureux de voir une gauche qui propose, une gauche qui avance, une gauche qui fait céder le gouvernement, alors dites-le ! »
Qui propose : le PS voudrait, comme le gouvernement, rendre univoque la notion de proposition ; renverser un gouvernement dont on juge que son action est néfaste pour le pays n’est-ce pas une proposition ? Voter en faveur d’une motion de censure n’est pas un acte politique irresponsable contrairement aux discours malfaisants des conservateurs, il faudrait en débattre !
Qui avance : on peut avancer vers de multiples horizons, rien ne garantit que le PS avance dans la bonne direction ni dans le bon sens, en tout cas pas dans le sens de l’amélioration de la vie des Français les moins aisés (la France d’en bas aurait dit Jean-Pierre Raffarin).
Qui fait céder le gouvernement : en quoi le gouvernement cède-t-il vraiment ? Pas sur la réforme des retraites comme le souligne Nicolas Baverez[6] : « Un improbable « conclave » républicain est convoqué pour renégocier « sans tabou » la réforme des retraites… » Chacun a eu connaissance des conditions de fonctionnement de ce « conclave » et peut apprécier que « improbable » soit un mot faible pour décrire la supercherie gouvernementale.
Le PS n’a pas voté la censure le 16 janvier alors que ce choix ne faisait pas l’unanimité au sein du parti : « Personne n’était d’accord au parti. Ce n’était ni une question de courants, ni de générations, ni de circonscriptions. On était même tous un peu partagés à l’intérieur de nous-mêmes[7]. » Toutefois le matin du 16 janvier, à la suite d’une visioconférence avec les maires socialistes puis à la suite d’une réunion de groupe le rejet de la motion de censure a été majoritaire (53 pour le rejet / 10 contre) Nous pouvons donc raisonnablement penser que le PS ne votera pas la prochaine censure ( de février) qui fera suite, dans quelques jours, au recours par F. Bayou à l’article 49-3, bien qu’il ait laissé entendre le contraire : « On a obtenu des avancées pour les Français, après ça ne veut pas dire que c’est un chèque en blanc pour le gouvernement. On se réserve tout à fait de voter la censure lors du prochain 49-3[8] »
Ainsi, en négociant de couper la poire en deux dans un cadre où le partage n’est, d’emblée, pas équitable, pour ne pas censurer le gouvernement Bayrou, le PS oscille entre la trahison et la fanfaronnade. Entre un PS sénescent, un Premier ministre gonflé d’orgueil d’avoir enfin obtenu le poste convoité depuis des décennies et qui n’a d’objectif politique que de s’accrocher, et un président de la République dont l’ego, victime d’un narcissisme outrancier, est malmené et qui n’a plus comme ambition que de finir son quinquennat, on voit que dans ce marchandage entre le PS et Bayrou il n’y a d’objectif que de conforter chacun sur son perchoir et de flatter l’électorat de chacune des parties : « L’objectif de François Bayrou n’est pas de redresser la France, mais de durer à tout prix. Et cette durée, comme l’a souligné François Hollande, dépend entièrement du PS, qui entend mettre sa position au service exclusif de ses électorats. [...] En parfait accord avec Emmanuel Macron, dont la seule ambition se réduit à ne pas démissionner avant la fin de son quinquennat, François Bayrou a pris le parti d’installer la vie politique française dans une bulle faite de postures et de formules rhétoriques déconnectées du monde du XXIe siècle[9]… »
Il en est ainsi du socialisme qui bâtit sa stratégie politique sur des fondations trop souvent déconnectées des réalités du fonctionnement de la société et qui aujourd’hui n’a plus comme ambition que de maintenir autant que faire se peut les ruines de son château qui n’est plus qu’un échafaudage de cartes. Peut-être aussi veut-il aujourd’hui se détacher de la critique qu’on pouvait faire jadis du socialisme : « C'est pourquoi le socialisme n'a jamais pu acquérir la force de bâtir ; alors même que, sans le vouloir et sans le savoir, il suscitait chez ses adversaires cette force de construction, il ne comprenait pas les plans qui étaient proposés et les rejetait. Il n'a jamais été capable d'indiquer un but clair ; ses discours passionnés n'étaient qu'accusations et réquisitoires, son activité se bornait à l'agitation et à des procédés policiers[10]. »
Le parti Socialiste, comme opportunément les forces conservatrices, est sensible aux plaintes et autres jérémiades des associations et autres lobbies qui pleurent de risquer de ne pas voir leurs subventions arriver ; faut-il pour autant accepter une politique de misère ? Déjà en 1994 Jacques Chirac écrivait[11] : « Au lieu de gouverner, les hommes politiques se sont mis à communiquer en vase clos. Ils ont pris la pose devant les miroirs déformants des médias. L’obsession de leur image a orienté leur stratégie ; ils ont abandonné la sphère de l’action pour les mirages du narcissisme. Une esthétique de pouvoir a remplacé l’exercice du pouvoir, concédée à des entourages mondains, des experts technocratiques, des analystes financiers, des éminences lovées dans des cabinets ministériels plus habiles à flatter qu’à trancher. Peu à peu, des clans parisianistes ont pris le contrôle des leviers de commande de l’État, réduisant toute initiative à un effet d’annonce, la soumettant à l’appréciation des sondages, voire de la mode. D’où une dictature sournoise de l’émotion dans une atmosphère de cour, ou de bas‑empire, aggravée par une dérive monarchique dans le fonctionnement des institutions. » Si, le Parti Socialiste était une force de proposition responsable son but aujourd’hui serait de faire échec non pas au seul budget mais à l’ensemble de la politique du gouvernement Bayrou et de susciter un retour aux urnes en septembre prochain.
[1] Définition de « sociale démocratie » sur le site Équipe Perspective monde : Perspective Monde
[2] Résultats de l'élection présidentielle 1995 | vie-publique.fr
[3] Jacques Chirac, La France pour tous, éditions NIL, 1994.
[4] Les valeurs du parti socialiste sont assez bien résumées par Alain Savary dans son livre « Pour le nouveau parti socialiste » paru en 1970 : « Mais tout autant, la gauche, qui avait l'initiative du programme du conseil national de la résistance, fut ainsi à l'origine d'une profonde transformation des relations sociales. C'est à partir de ce programme que de grandes nationalisations furent faites, que la Sécurité sociale fut établie et que, prolongeant et amplifiant alors de 1936 la classe ouvrière se sentir enfin véritablement intégrée dans la Nation. »
[5] Nicolas Baverez, Durer quoi qu’il en coûte, Le Point, 23 janvier 2025.
[6] Nicolas Baverez, Durer quoi qu’il en coûte, Le Point, 23 janvier 2025.
[7] Mathieu Dejean, Pauline Graulle, Motion de censure, les socialistes préfèrent Bayrou au Nouveau Front Populaire, Médiapart, 16 janvier 2025.
[8] Mathieu Dejean, Pauline Graulle, Motion de censure, les socialistes préfèrent Bayrou au Nouveau Front Populaire, Médiapart, 16 janvier 2025.
[9] Nicolas Baverez, Durer quoi qu’il en coûte, Le Point, 23 janvier 2025.
[10] Rathenau, Walther. Où va le monde ? Considérations philosophiques sur l'organisation sociale de demain, Payot et C°, 1922.
[11] Jacques Chirac, La France pour tous, éditions NIL, 1994.
